Les points de vues narratifs – exemples

[Lorenzo]

Salut à toutes les grenouilles !
Il y a quelque temps, j’ai lu cet article sur les choix narratifs, ce qui m’a inspiré l’idée d’un petit post : une même microscène, écrite sous plusieurs points de vue narratifs différents, pour bien en comprendre les nuances.

Tout d’abord, voici les différents types de narrateurs dont je vais parler :
– Le point de vue interne − personnage principal : On suit un personnage, en adoptant son point de vue : ses états internes, ses biais, ses croyances, sa vision du monde… On peut décider de suivre plusieurs personnages en alternant les points de vue entre les chapitres/scènes.
– Le point de vue interne − personnage secondaire : même chose que ci-dessus, mais on a le point de vue d’un personnage secondaire qui accompagne le protagoniste. Une sorte de secondant ; l’exemple le plus connu est le Docteur Watson dans Sherlock Holmes
– Le point de vue interne − alternance : On alterne entre plusieurs points de vue internes, au sein de la même scène. Ça peut être vite confusant si on n’est pas clair lors des changements de point de vue.
– Le point de vue externe : le narrateur est un spectateur de la scène, qui n’a pas accès aux sentiments et états internes des personnages.
– Le point de vue omniscient − narrateur transparent : le narrateur ne prend pas parti, et se contente de restituer les évènements
– Le point de vue omniscient − narrateur impliqué : cette fois-ci, il participe à la construction du récit ; par exemple en mentant ou en cachant volontairement des éléments au lecteur
– Le personnage-narrateur-auteur : D’après ce que j’ai compris, c’est quand le personnage, narrateur et auteur se mélangent ; on ne sait plus vraiment qui parle. C’est notamment utilisé dans les autobiographies ou autofictions.

Petit aparté sur le point de vue interne : On peut utiliser à la fois la 1re ou la 3e personne du singulier (je/il). La 3e personne est ce qu’il y a de plus courant, donc de moins risqué. Quant à la première personne, certains n’aiment pas du tout, mais ça apporte une plus grande proximité avec le personnage.

Voici mon exemple de microscène, déclinée autant de fois qu’il faut. Je suis loin d’être à l’aise sur tous les types de narration, alors n’hésitez pas à me faire un retour là-dessus !
– Le point de vue interne − personnage principal  (1er personne)

Spoiler: montrer

J’arrive dans un amphi beaucoup trop peu rempli. On est le premier jour, il n’y aurait pas dû y avoir plus de monde ? Bah, c’est mon premier jour à la fac, c’est sans doute normal. Je m’assois un peu au hasard. Quelques rangées plus bas, je vois un pote de lycée. Le cours va commencer, j’ai la flemme d’aller le rejoindre, mais je le salue d’un geste de main discret. Il me répond d’un clin d’œil. Ça va, il a pas l’air vexé que je reste dans mon coin.
À ce moment, je vois une fille arriver et s’installer à ma droite, sans un regard. Et merde. Je viens de me rappeler que je me suis promis de dépasser ma timidité maladive avec les femmes cette année. Bon, je lui dis juste bonjour. Rien de plus. Juste, être normal.
— Salut, lui fais-je avec un grand sourire.
À ces mots, elle me regarde avec de grands yeux. Comme si elle voulait s’indigner d’un « non mais, qu’est-ce que tu viens de dire, là ? ». Je détourne le regard. Dix longues secondes plus tard, elle se lève sans un mot et part.
J’enfonce ma tête entre mes mains. Super début à l’université.

– Le point de vue interne − personnage secondaire (1er personne)

Spoiler: montrer

Bon, j’espère que les cours seront moins chiants cette année. Je me retourne pour voir combien de gens sont présents. Pas des masses. Mais attends… Le gars que j’aperçois, quelques rangées plus hauts, c’est pas un pote de lycée ? Ah si, il me fait un signe de main. Je lui réponds avec un clin d’œil et reste à ma place. Il est pas relou, il m’en voudra pas de ne pas me bouger pour lui taper un check.
Une super nana vient s’asseoir à côté de lui. Le pauvre, il est super timide, il va pas pouvoir en profiter. Attend, si ? Il est en train de lui parler, là ? Aïe… La meuf à l’air de mal l’avoir pris, vu sa tête. Il s’est motivé pour dire une dinguerie direct ? Putain, il a changé en deux mois !
La fille se casse, et mon pote enfonce sa tête entre ses bras. Il a l’air désespéré, le pauvre.

– Le point de vue interne − alternance (3e personne)

Spoiler: montrer

Marc arriva dans un amphi beaucoup trop peu rempli. Il trouva ça étrange qu’il y ait si peu de monde dans l’amphithéâtre le premier jour. Mais il ne savait pas vraiment ce qui était normal à l’université. Il s’assit dans une rangée, un peu au hasard et remraqua, quelques rangées plus bas, un pote du lycée. Le cours allait commencer, et le jeune homme avait la flemme d’aller rejoindre son ami. Marc salua son ami d’un geste de main discret et ce dernier lui répondit d’un clin d’œil. Ouf, il n’avait pas l’air vexé que Marc reste dans son coin.
À ce moment, il vit une fille arriver et s’installer à sa droite. Sans un regard pour lui. Et merde. Il se rappela alors qu’il s’était promis de dépasser ma timidité maladive avec les femmes cette année. Bon. Il allait juste lui dire bonjour. Rien de plus. Juste, être normal.
— Salut, lui dit-il avec un grand sourire.
Mélanie regarda la personne qui venait de la saluer. Elle l’examina un instant… Mais non, elle ne le connaissait pas ! Pourquoi il venait lui parler, alors ? Encore un gars bizarre. Elle leva les yeux au ciel. Que faire. Être impolie et partir dès le premier jour ? Oui, il valait mieux.

– Le point de vue externe

Spoiler: montrer

Marc arrivait dans un amphi beaucoup peu rempli. Il fronça les sourcils ; quelque chose semblait le perturber. Il alla s’asseoir dans une rangée quasi vide et sortit ses affaires. Il salua une personne quelques rangs plus bas, qui lui rendit son bonjour d’un clin d’œil.
Quelques instants plus tard, une jolie blonde vint s’assoir à côté de Marc. Les doigts de ce dernier s’agitèrent. Après quelques instants où il sembla hésiter à fuir, il décida enfin de parler à la nouvelle arrivante.
— Salut, fit-il avec un sourire un peu gêné.
À ces mots, la jeune fille regarde Marc avec de grands yeux. Comme si elle voulait s’indigner d’un « non mais, qu’est-ce que tu viens de dire, là ? ». Le jeune homme détourna le regard et une dizaine de secondes plus tard, son interlocutrice se leva sans un mot et partit. Marc enfonça alors sa tête entre ses mains. Le pauvre semblait dépité.

– Le point de vue omniscient − narrateur transparent

Spoiler: montrer

Marc arriva dans un amphithéâtre qu’il trouva beaucoup trop peu rempli. Il trouva ça étrange qu’il y ait si peu de monde dans l’amphithéâtre le premier jour. Mais il ne savait pas vraiment ce qui était normal à l’université. Il s’assit dans une rangée, un peu au hasard, et remarqua, quelques rangées plus bas, un pote du lycée. Le cours allait commencer et l’homme avait la flemme d’aller rejoindre son ami ; un sentiment partagé par ce dernier. Il répondit à signe de main discret de Marc par un clin d’œil.
Ce fut à ce moment que Mélanie décida de s’installer vers de Marc. Le pauvre ne le savait pas, mais elle voulait seulement être tranquille. Elle détestait être dérangée. Il n’aurait sans doute pas dû lui dire :
— Bonjour, fit Marc avec un grand sourire, un peu forcé.

– Le point de vue omniscient − narrateur impliqué

Spoiler: montrer

Marc arriva dans un amphithéâtre qu’il trouva beaucoup trop peu rempli − et à raison : un cinquième des élèves manquaient déjà. L’absentéisme était une tare que Marc ne possédait pas ; mais il en avait d’autres pour compenser. Constatez par vous-même : il s’assit sur une rangée quasiment vide dans le but d’être seul. Il vit son ami, mais fut trop paresseux pour aller je rejoindre ; et le pire était que son ami reste immobile pour le même motif !
Quand une jeune fille vint s’asseoir à côté de lui, Marc se ridiculisa une fois de plus. Inutile que je vous raconte l’histoire une fois de plus ; mais sachez que jamais par la suite il ne parvint à dépasser sa timidité. Les gens ne changent pas. Il est né avec cette tare, il mourra avec.

– Le personnage-narrateur-auteur (1er personne)

Spoiler: montrer

C’est le point de vue narratif pour lequel j’ai le plus de mal. Franchement, dans une mini-scène j’ai du mal à voir ce que je peux faire. Je suis censé écrire que je suis arrivé le premier jour dans cette salle de classe, et que les choses ne se sont pas vraiment passées comme ça ?
Qu’il n’y avait aucun ami à moi dans cette classe parce que je venais de changer de ville ? Que je me moquais bien du nombre de gens présent dans l’amphithéâtre ? Que ma timidité était en fait une anxiété sociale qui touchait autant mes relations avec les gars que les filles ? Et que, oui, l’anecdote avec cette fille est bien réelle ?
Ça a été pour moi le début d’une blague récurrente : le « bonjour parisien ». C’est étonnant, parce que, par la suite, je ne me souviens pas avoir eu pareille expérience dans la capitale…

N’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez !

[Catofsky]

Hello Lorenzo, juste pour t'indiquer que cette question à plus ou moins été abordé dans la focalisation de point de vue par Miléna

[MiSouCoLi]

Chouette un sujet pour moi !
Si tu me permets Lorenzo, j'essaie d'affiner un peu tout ça avec des connaissances un peu plus poussées.

J'avais déjà un peu (beaucoup et passionnément) parlé de ce sujet dans un autre fil de Masque et tuba et ça me fait rire parce que j'avais aussi fait ces petits exemples
Du coup je reprends mon analyse :

Déjà, première chose à dire : cette manière de voir - qui est celle enseignée a l'ecole - est datée (Genette - années 60) et que je vais revenir après, dans mon prochain post, sur la référence moderne en la matière (Rabatel - années 90) que je trouve plus efficace finalement. Et aussi plus simple à appliquer.

Point important avant de commencer :
Dans l'ensemble, je suis d'accord avec ton post mais il y a une chose qui n'est pas tout à fait bien située : il y a une différence fondamentale entre les types de narration et les types de point de vue.
En gros : le type de narration ne change pas (sauf cas très spécifiques, comme quand il y a un récit enchâssé, une lettre, un mail, etc.) un texte écrit à la première personne restera TOUJOURS à la première personne, et un texte à la troisième personne restera TOUJOURS à la troisième personne.

En revanche, le point de vue, c'est différent (et c'est là que Genette et Rabatel ne sont pas d'accord).
La focalisation/le point de vue détermine à partir d'où on se situe pour avoir accès aux informations et quelle quantité d'informations on peut avoir. Et surtout, la focalisation peut changer :

• Point de vue interne : ça correspond au point de vue du personnage - c'est à dire aux fois où le narrateur se met à la place du personnage (ou est le personnage dans le cas d'une narration à la première personne, NP1). Du coup, la description de l'action et du "décors" se fait du point de vue du personnage, avec son vocabulaire propre. Il y a des modalisateurs (émotions, jugements) comme avec le NP1 mais cette fois-ci, ils montrent ce que le personnage pense et ressent et pas ce que le narrateur pense et ressent.
  Caractéristiques du pdv interne :
  - On ne sait ce qu'un seul personnage pense au moment de l'action. C'est à dire que, même s'il connaît son propre passé, un personnage décrit en FI ne l'évoquera que si ce qu'il est en train de vivre s'y prête (il vient de voir l'urne funéraire de sa mère et se remémore des souvenirs d'enfance – il n'y pense pas en plein rendez-vous amoureux).
  - on a accès très précisément à un personnage et on peut montrer ce qu'il ressent et pense de manière très expressive.
  - la description de l'action et du "décors" se fait du point de vue du personnage, avec son vocabulaire propre - elle est donc limitée.

• Point de vue externe : ça correspond à l'absence de point de vue, à la description objective ou à la description impersonnelle. Il ne fonctionne jamais tout seul (seulement dans un cas de récit omniscient temporairement en externe).
  Caractéristiques du pdv externe :
  On le retrouve par exemple dans les descriptions de paysage ou de lieux (ex : « un voyageur qui s'arrêterait pour admirer le panorama remarquerait d'abord la haute tour du clocher »... - il ne connaîtrait ni le nom du clocher, ni la date de sa construction), ou dans certains genres comme dans les romans policiers (scène qui décrit le meurtre mais parle de l'assassin comme d'une silhouette sombre sans donner plus de détail par exemple)

• Point de vue omniscient : ça correspond au point de vue du narrateur. Le narrateur sait toute l'histoire racontée. Le narrateur est le Dieu de son histoire. La focalisation omnisciente (dominante s'entend) est la plus polyvalente. Elle permet de jongler entre plusieurs personnages et elle intègre très facilement des passages dans TOUS les autres points de vue. Autrement dit, alterner les focalisations internes, passer en omniscient, revenir en externe, etc. Elle est mobile. Et le narrateur peut choisir d'être transparent / caché ou d'être visible.
  Caractéristiques du pdv omniscient :
  - on peut tout connaître de TOUS les personnages, TOUS les lieux, etc. Que ce soit leur passé, leur avenir, leurs opinions, leurs pensées (même celles dont ils n'ont pas conscience).
  - on peut montrer des événements qui ont lieu à plusieurs endroits différents au même moment sans changer de chapitre.
  - on peut être didactique et précis sur les chiffres et les dates sans se soucier de si le personnage pourrait avoir accès à ces informations.
  - on peut être ironique, se moquer de ses personnages ou même être moralisateur.
  - on peut donner libre cours à ses pulsions poétiques.
  - on peut décortiquer ses personnages dans une confortable position de surplomb en mode je sais mieux qu'eux.
  - permet moins l'identification du lecteur

Autrement dit, pour Genette, le narrateur transparent qui fait alterner les points de vue est un cas de narrateur omniscient, même s'il n'a aucune des caractéristiques listées si-dessus.

En fait, le défaut que j'aurais à dire du coup par rapport à ton analyse (en dehors du fait que ton point de vue externe n'est pas vraiment externe...), c'est que, finalement, il n'y a pas de différence entre le point de vue interne alterné et le point de vue omniscient avec narrateur transparent... Dans tes deux exemples, la vraie différence n'est pas le type de point de vue, c'est juste l'intensité de la plongée dans le point de vue interne. Mais les deux sont en point de vue omniscient temporairement interne.

Mais en vrai, je suis juste pas d'accord avec Genette !

[MiSouCoLi]

Le point de vue - version Alain Rabatel, La construction textuelle du point de vue

Si on reprend l'analyse habituelle, version Genette, il y a trois points de vue (omniscient, interne, externe), et la focalisation omnisciente est particulière puisqu'elle montre le pdv du narrateur, et peut inclure tous les autres types de focalisation - et donc qu'on peut faire de la focalisation omnisciente sans omniscient en se contentant de l'interne et l'externe > narrateur transparent).

Pour Rabatel, la situation est différente : il n'y a que deux points de vue, le point de vue interne (subjectif) et le point de vue externe (objectif).
En revanche, il y a un point de vue externe, mais aussi un point de vue interne du personnage, un point de vue interne du narrateur.
Autrement dit, le "point de vue omniscient - narrateur transparent" où le narrateur ne se montre pas et se contente d'alterner les focalisations est... du point de vue interne du personnage et du point de vue externe, sans point de vue du narrateur.

Première étape : distinguer entre le point de vue interne et le point de vue externe :
Comment on fait la différence ? On part du texte et on se demande : est-ce que c'est subjectif (point de vue interne) ou est-ce que c'est objectif (point de vue externe) ?

Marques de subjectivité :
- tout ce qui concerne les émotions, les perceptions, les pensées, les jugements appréciatifs ou moraux
- le choix du vocabulaire, des adverbes, des verbes qui montrent une appréciation ou une dépréciation, ironie
- la capacité de se projeter dans le passé et le futur
Dès qu'on a un de ces éléments, on est dans du point de vue interne. Et s'il n'y a aucun de ces éléments, par élimination, on est dans du point de vue externe.

Mais ce qu'il est bien important de comprendre, c'est que ce point de vue n'est pas fixe.
Si je reprends l'un des passages cités par Lorenzo plus tôt :

Marc arriva dans un amphi beaucoup trop peu rempli. Il trouva ça étrange qu’il y ait si peu de monde dans l’amphithéâtre le premier jour. Mais il ne savait pas vraiment ce qui était normal à l’université. Il s’assit dans une rangée, un peu au hasard et remraqua, quelques rangées plus bas, un pote du lycée. Le cours allait commencer, et le jeune homme avait la flemme d’aller rejoindre son ami. Marc salua son ami d’un geste de main discret et ce dernier lui répondit d’un clin d’œil. Ouf, il n’avait pas l’air vexé que Marc reste dans son coin.
À ce moment, il vit une fille arriver et s’installer à sa droite. Sans un regard pour lui. Et merde. Il se rappela alors qu’il s’était promis de dépasser sa timidité maladive avec les femmes cette année. Bon. Il allait juste lui dire bonjour. Rien de plus. Juste, être normal.
— Salut, lui dit-il avec un grand sourire.
Mélanie regarda la personne qui venait de la saluer. Elle l’examina un instant… Mais non, elle ne le connaissait pas ! Pourquoi il venait lui parler, alors ? Encore un gars bizarre. Elle leva les yeux au ciel. Que faire. Être impolie et partir dès le premier jour ? Oui, il valait mieux.

Les passages en bleu sont tous les passages en vision interne, ceux en vert sont en vision externe (c'est objectif), et les passages soulignés sont tous les marqueurs de subjectivité.
En réalité, le point de vue externe n'existe pas vraiment, c'est juste tous les moments où on est pas en vision interne (ou rien ne nous montre qu'on est en vision interne).
Mais cela ne veut pas dire que ce ne sont pas des moments importants ! Typiquement, ce sont des moments de transition entre deux visions internes du personnage différentes (entre Marc et Mélanie par exemple) ou entre la vision interne du personnage et la vision interne du narrateur.

Deuxième étape : distinguer entre le point de vue interne du narrateur et le point de vue interne du personnage.
Cette étape n'est valable que dans le cas d'une narration à la troisième personne : c'est logique, dans une narration à la première personne, le narrateur EST le personnage donc il n'y a pas besoin de faire de distinction.
En gros, il s'agit simplement de voir qui est subjectif : est-ce que c'est le narrateur qui parle ? Ou est-ce que le narrateur se met dans la tête du personnage (c'est la subjectivité du personnage qui est montrée) ?
Pour le coup, ça se fait plus au cas par cas.

Donc, petit récap des types de textes (je reprends mon exemple des joueurs de poker de la dernière fois) :

Narration à la première personne - vision interne majoritaire :

Spoiler: montrer

Même si je m'efforce de garder un masque impassible, je jubile. J'ai une super combinaison de cartes. Martha a l'air d'hésiter mais je ne me fais pas de soucis. Elle va probablement relever le défi, comme d'habitude. Elle aime trop le goût du risque.
Je n'ai plus qu'à attendre encore un peu pour remporter le pactole. Après ça, je m'en vais.
Martha soupire et finit par renoncer. Je serre les dents. Pas idéal, mais pas perdu non plus, d'autant que Béatrice se lance... et joue une quinte ! P*** de m*** ! Mais quelle c***** ! Je balance mes cartes sur le plateau et part sans demander mon reste.
En sortant, nettement moins riche qu'en arrivant, je m'interroge. Cette quinte... et s'il y avait eu triche ?

Narration à la première personne - vision externe majoritaire
Type de texte qui n'a pas beaucoup d'intérêt en vrai... (à priori on passerait certainement en vision interne majoritaire).

Spoiler: montrer

[C'est le croupier qui parle] Je surveille les joueurs. Paul fait quitte ou double et surveille Martha du regard. Celle-ci soupire et finit par renoncer. Le visage de Paul se crispe. Béatrice joue ses cartes : une quinte. Le visage décomposé, Paul lance ses cartes sur le plateau dans un geste rageur et quitte la table en fulminant.

Narration à la troisième personne - vision interne du personnage (Paul) majoritaire

Spoiler: montrer

Même s'il s'efforçait de garder un masque impassible, Paul jubilait : il avait une super combinaison de cartes. Martha avait l'air d'hésiter mais il ne se faisait pas de soucis. Elle allait probablement relever le défi, comme d'habitude. Elle aimait trop le goût du risque.
Il n'avait plus qu'à attendre encore un peu pour remporter le pactole. Après ça, il s'en irait.
Martha soupira et finit par renoncer. Paul serra les dents. Pas idéal, mais pas perdu non plus, d'autant que Béatrice se lançait déjà... et jouait une quinte ! P*** de m*** ! Mais quelle c***** ! Il balança ses cartes sur le plateau et partit sans demander son reste.
En sortant, nettement moins riche qu'en arrivant, Paul s'interrogea. Cette quinte... et s'il y avait eu triche ?

Narration à la troisième personne - vision interne des personnages en alternance

Spoiler: montrer

Même s'il s'efforçait de garder un masque impassible, Paul jubilait : il avait une super combinaison de cartes. Martha avait l'air d'hésiter mais il ne se faisait pas de soucis. Elle allait probablement relever le défi, comme d'habitude. Elle aimait trop le goût du risque.
Il n'avait plus qu'à attendre encore un peu pour remporter le pactole. Après ça, il s'en irait.
Les yeux rivés sur son misérable double, Martha soupira. Malgré son air imperturbable, elle sentait bien que Paul était un peu trop fébrile. Inutile de tenter le diable. Elle finit par renoncer. Mais, au fond d'elle, elle était dégoutée : est-ce que cet abruti de Paul allait vraiment gagner une fois de plus ?
De l'autre côté du tapis, Béatrice révéla une quinte, ce qui fit exploser Paul. En le voyant quitter la salle avec rage, Martha sentit un sourire fleurir sur ses lèvres. La soirée ne s'annonçait pas si mal finalement...

Narration à la troisième personne - vision interne majoritaire du narrateur

Spoiler: montrer

Autour du tapis, la tension était à son comble. Combien de destin se sont ainsi retrouvés suspendus à un fil, à une carte, à un frémissement de paupières ? D'ailleurs, notre Paul était bien loin de savoir tout le retentissement que cette soirée allait avoir sur lui. Non, pour l'instant, il était heureux : derrière son masque impassible, il avait une excellente combinaison de carte. Il faisait ses pronostiques, étudiait les gestes de ses comparses, évaluait les risques. Se sentait sûr de son coût en somme.
C'est cette certitude qui lui coutât la victoire. Pendant que Paul dirigeait toute son attention sur Martha, Béatrice, la petite et timide Béatrice, n'était pas en reste. Passée maître dans l'art de la triche qu'elle pratiquait sans vergogne depuis plus de dix ans, elle échangea habilement une de ses cartes avec celle qu'elle avait dissimulée dans ses manches et en profita pour remporter la manche.
De dépit, Paul jeta ses cartes sur le tapis et partir en fulminant. Je laisse à ta discrétion, cher lecteur, de te demander comment l'histoire aurait tourné, s'il n'avait pas quitté la table de jeu, s'il ne s'était pas trouvé sur l'avenue du Maine en ce jour fatidique du 9 août 1932, si honteusement passé à la trappe de l'histoire.

Narration à la troisième personne - vision externe majoritaire (personnage / narrateur) :

Spoiler: montrer

Paul fit quitte ou double et surveilla Martha du regard. Celle-ci soupira et finit par renoncer. Le visage de Paul se crispa. Béatrice joua ses cartes : une quinte. Le visage décomposé, Paul lança ses cartes sur le plateau dans un geste rageur et quitta la table en fulminant.

Et bien sûr, une fois ces distinctions établies, en vrai, au sein de chaque catégorie (sauf celle de la vision externe qui de mon point de vue n'a aucun intérêt quand elle est majoritaire et prolongée sur plusieurs paragraphes), on peut faire des différences sur
- l'intensité du point de vue
- les manières de montrer la subjectivité (ex : on pourrait écrire le même texte que la NP3 vision du narrateur en supprimant les adresses au lecteur ou les explications sur Béatrice, tricheuse depuis un certain temps)
- le savoir du personnage focalisé (ex : le jeu de Paul et ses appréciations mentales auraient été différents s'il n'avait pas connu Martha)
- le ton du narrateur (ex : même si Flaubert veut faire un "narrateur présent partout, visible nulle part", son oeuvre est clairement ironique > indice de subjectivité > point de vue interne du narrateur)

[Lorenzo]

Merci pour cette sacré réponse, j’ai de quoi la méditer pour un bout de temps là !

[questionmarc]

Bonjour à tous,

Je me pose une question au croisement des deux techniques : l'utilisation des points de vue et l'usage des temps dans un récit au passé.

Dans mon texte, le protagoniste écrit ses mémoires à la troisième personne du singulier. Une question technique a émergé lors d'une BL réalisée par Jiba. J'aimerais savoir si d'autres que moi partage l'avis de Jiba pour être sûr de pouvoir recourir à cette technique afin de faciliter l'immersion du lecteur. Cette suggestion est si nouvelle pour moi que j'ai du mal à savoir si elle serait intelligible pour le lecteur.

Convention des termes pour comprendre ma question : « Sylvia-la-vieille » est la narratrice du récit ; elle écrit ses mémoires et met en scène « Sylvia-la-jeune » qui vit l'action du moment an utilisant la focalisation interne.

Ma question : dans un paragraphe raconté du point de vue de Sylvia-la-vieille au plus que parfait, est-il possible de faire un aller-retour avec l'imparfait pour nous replonger dans l'aciton du moment de Sylvia la jeune ?

Intérêt : raconter au plus-que-parfait rajoute de la lourdeur et crée une distance avec le lecteur, l'imparfait/le passé simple qui est alors le "présent" de l'action combiné au discours indirect libre favorise l'immersion du lecteur. Il serait précieux de pouvoir faire cet aller retour dans un même paragraphe raconté au plus-que-parfait pour replonger oportunément le lecteur dans le cœur de l'action.

Voici le commentaire de Jiba dans l'extrait (concernant le texte entier qui se trouve ici) :

Elle aurait pu ralentir, admirer la mer qui léchait les rochers cent mètres plus bas, apprécier la chaleur d’un soleil d’hiver déclinant, fermer délicieusement les yeux au bord du vide pour imaginer les effluves poivrés du maquis d’antan et le chant des cigales disparues. Mais elle les avait gardés bien ouverts pour ne pas se laisser distancer. Elle avait brûlé (peut-être mettre ce verbe à l'imparfait, pour nous replonger dans l'action du moment ?) d’en savoir plus sur la raison de ce rendez-vous secret ; Éperon l’avait bien compris !Le texte compte sec.

Voici ma réponse à son commentaire :

Ce commentaire "tout simple" ouvre un nouveau monde devant moi : pouvoir replonger le lecteur dans l'action du moment (imparfait) dans un paragraphe qui adopte le point de vue rétrospectif du narrateur (plus-que-parfait). J'ai même encore du mal à concevoir que cela puisse être "correct" sur le plan de la cohérence du point de vue dans un même paragraphe. Mais l'effet est étonnant : cela permettrait de faire une transition subtile avec le paragraphe d'après en annonçant le retour à l'action du moment (et même si la dernière phrase dans le paragraphe reste au plus que parfait !). Le texte compte sec.

viewtopic.php?p=1982072&hilit=focalisation#p1982072

[NaNa]

C'est une technique que j'ai déjà utilisée (pour ma part, passage du plus-que-parfait au passé simple). Je trouve que ça peut donner des effets intéressants.

Je suis allée sur ton papyrus pour voir comment ça marcherait sur l'ensemble du texte et je pense en eff et que tu peux remplacer sans souci ton selon plus-que-parfait par un imparfait. Pour moi, le fair qu'elle se souvienne et le "elle les avait gardés bien ouverts" indique suffisamment qu'on ait dans son souvenir. Je vois peut-être un peu moins le moment où le souvenir s'arrête mais c'est sans doute car je n'ai pas lu tout l'extrait !

Je ne sais pas si c'est correct niveau concordance des temps, mais en tout cas cela crée des effets intéressants à la lecture et je pense que c'est le plus important. Le plus-que-parfait peut être lourd quand on l'utilise sur tout un long paragraphe. L'important pour moi c'est de bien travailler la transition entre les temps pour que le lecteur ne s'aperçoive pas du "problème".

[questionmarc]

Merci Nana pour ta réponse et la peine que tu as prise à regarder dans le texte original.

Voici donc un nouvel outil pour mon couteau suisse
Par-ci par-là, je vais donc pouvoir faire un sort à ce plus-que-parfait qui porte si mal son nom !


(D'ailleurs, je suis preneur d'un exemple issu d'un de tes propres textes pour mesurer l'effet produit d'un oeil neuf.)

[Pi.]

Ah, merci, j'ai le même soucis dans une partie qui était racontée en temps réel du pdv du premier concerné mais qui désormais est racontée en flash back par une tierce personne !

[NaNa]

(D'ailleurs, je suis preneur d'un exemple issu d'un de tes propres textes pour mesurer l'effet produit d'un oeil neuf.)

Chez moi c'est pas la même ambiance et c'est du premier jet mais ça donnait ça :

Ils l'avaient fait asseoir dans le salon et lui avaient demandé s'il n'avait pas quelque chose à leur dire, à propos de certaines révélations qu'il aurait pu faire, par exemple. Lui, effaré, ne put que les regarder avec des yeux aussi ronds qu'horrifiés. La femme s'agaça alors il sortit de sa stupeur et bafouilla quelques mots.Le texte compte sec.

Après ça continue, la scène de flash back est vraiment longue, c'est d'ailleurs pour ça que je l'ai mise au passé simple : près de 6 ksec au plus-que-parfait, ça aurait été long.

[questionmarc]

Merci pour cet extrait qui sonne bien déjà.
Si je comprends bien, ce qui indique le flashback, c'est le plus-que-parfait au début du paragraphe, ensuite, on bascule dans le "présent" du flashback avec le passé simple à partir de "lui effaré" ?
Si c'est le cas, ça a l'air de fonctionner pas mal ?

(D'ailleurs, je suis preneur d'un exemple issu d'un de tes propres textes pour mesurer l'effet produit d'un oeil neuf.)

Chez moi c'est pas la même ambiance et c'est du premier jet mais ça donnait ça :

Ils l'avaient fait asseoir dans le salon et lui avaient demandé s'il n'avait pas quelque chose à leur dire, à propos de certaines révélations qu'il aurait pu faire, par exemple. Lui, effaré, ne put que les regarder avec des yeux aussi ronds qu'horrifiés. La femme s'agaça alors il sortit de sa stupeur et bafouilla quelques mots.Le texte compte sec.

Après ça continue, la scène de flash back est vraiment longue, c'est d'ailleurs pour ça que je l'ai mise au passé simple : près de 6 ksec au plus-que-parfait, ça aurait été long.

[NaNa]

Oui c'est tout à fait ça ! Ravie que tu me dises que ça fonctionne, je n'avais jamais fait lire ce texte avant.