Un lecteur, de toute façon, ça n’a ni visage ni consistance. Ce n’est pas un flan, juste quelqu’un qui peut être allergique aux adverbes ou en carence d’histoires à l’eau de rose. Un lecteur, c'est tout le monde et n'importe qui. Le lecteur se projette dans votre texte en attendant que vous le fassiez vibrer, que vous lui donniez de belles choses. Et le bât blesse déjà : même si vous écrivez pour le lecteur et pas que pour vous, son désir va au delà de ses espérances. Presque toujours. Le texte fini ne peut plus s’adapter au désir du lecteur.
Par contre, le bêta-lecteur est un tyran. Un salaud d’autocrate qui va vous dire ce qui ne va pas. Ce qui va chagriner mille autres lecteurs. Et il vous explique « là, regarde, si tu règles ce problèmes, tu vas éviter de faire hausser le sourcil de pas mal de monde. Allez, au boulot maintenant ! » L’outrecuidant !
Vous voilà bien embarrassé(e). Le bêta-lecteur a travaillé pour vous, il attend que vous donniez du vôtre, un tant soit peu. Il vous faut corriger un truc, déposséder votre textes des petites idiosyncrasies qui le font vôtre. Qui le commettent à vous. C’est dur. Vous n’avez pas envie. Que faire ?
Voilà ce que je ne conseillerai jamais. Par contre, il y a un peu de vérité dans cela. Voici le vrai intérêt du vitriol ci-dessus :1/ Le bêta-lecteur a toujours raison.
OK. Et si vous choisissiez d’avoir tort ? Vous pourriez laisser inopinément plein d’adverbes inutiles parce que ça vous donne un genre. C’est votre parti pris. D’ailleurs, il y a des épigraphes sur la thermodynamique dans votre livre de SF, à chaque chapitre. Ou si c’est de la fantasy, des passage dans la langue des anciens, celle que vous avez inventée avec tant d’amour et qui défie les règles de la linguistique. Si on vous dit que c’est incompréhensible, ignorez-le. Vous le comprenez, vous. C’est tout ce qui compte.
2/ La logique ne sert à rien.
Vous écrivez au feeling et vos super pouvoirs d’écrivain vous affranchissent de toute cohérence. Ne corrigez pas les incohérences. De toute façon le BL n'a rien compris.
3/ Style
Depuis quand les bêta-lecteurs se permettent-ils de critiquer le style ? Quels fanfarons. Ils croient mieux faire ? Qu’ils essaient. S’ils vous pointent des lourdeurs, c’est qu’ils n’ont pas compris la grandeur de votre génie. Là, encore, ne corrigez pas. À part cette histoire d’orthographe. Ça vous rappelle vaguement quelque chose qui fait grincer des dents.
1/ Le bêta-lecteur a toujours raison.
Effectivement. Ce n’est pas une raison pour corriger dans le sens de ses remarques. Le bêta-lecteur ne voit pas tout, n’a pas tous les éléments. Parfois, il n’a pas vu votre démarche. S’il veut voir la scène de fesses comme un moment de détente entre deux scènes plus fortes en action, soit. S’il n’a pas vu que la scène devait servir à lier les deux personnages et à en rendre jaloux un troisième pour un conflit-résolution de plus tard, ce n’est pas si grave. Considérez sa vision du projet comme incomplète et ré-évaluez sa remarque. Tient-elle toujours ? Met-elle en lumière un problème d’informations mal distribuées ? Tirez parti de là où votre BL échoue. Il a raison, même quand il a tort. Toute remarque a un fondement, en fait.
2/ La logique ne sert à rien.
Heureusement, si. Si vous ne corrigez pas les incohérences ou ne les contournez pas, vos lecteurs le feront pour vous et s’en irriteront. On dit que les lecteurs de livres/BD ou spectateurs de théâtre/films le QI qui augmente de 15 points lorsqu’ils sont face à une œuvre. C’est vrai. Et rappelez-vous l’effet que ça fait de voir un truc incohérent. Regardez un navet. Tirez-en des leçons.
3/ Style
Là, j’ai envie de vous conseiller d’être tête de mule. Votre style vous appartient effectivement, mais le bêta peut pointer des choses dignes d’intérêt. Ne vous pensez pas maître du monde. Les gens ont tous des sensibilités différentes ; vous vous trouverez des admirateurs, des haters. Va falloir faire avec.
C’est une bonne occasion de repenser votre style. C’est quoi, votre style ? Posez-vous la question et prenez le temps d’élaborer. Faites une liste de tics. Demandez-vous ce qui pourrait le raffiner et l’élaborer, au-delà de la simple correction grammaticale/syntaxique/orthographique. Profitez des remarques positives comme négatives que l’on vous fait. Des petits cœurs justifiés peuvent aider.
Ensuite, vous pouvez entamer les corrections en toute sérénité. Sans l’ombre du bêta-lecteur qui se penche sur vous pour vous déposséder de votre bébé. Au contraire, le BL doit vous faire face ; c’est avec lui un dialogue qui s’établit. Profitez de ce jeu de miroirs pour voir votre texte différemment. Pour le reconsidérer, et pas seulement là où votre bêta-lecteur vous l’a indiqué.
Et n’oubliez pas de remercier l’humain qui a confronté son esprit à votre texte. Il vous veut probablement du bien.
PS. J'envoie plein de coeurs à mes bêta-lecteurs. Le dialogue avec vous est formidable. Sans ironie !