Quelques extraits :
Pour autant, même si les ateliers de création littéraire sont bien mieux perçus aux Etats-Unis ou en Angleterre qu’en France, leur pertinence y fait aussi l’objet de débats. Car ils soulèvent une question à haut potentiel polémique : peut-on réellement apprendre à écrire ? L’écriture peut-elle être considérée comme un métier, au même titre que la plomberie ou la chirurgie, qui nécessiterait l’enseignement de techniques et d’un savoir-faire? Sans compter le risque de formatage qu’une telle conception implique. Les ateliers d’écriture fabriquent-ils des écrivains-clones ? Pour David Delannet, cogérant de la librairie anglophone Shakespeare and Co à Paris, qui accueille des ateliers d’écriture, ce risque est une réalité : “Je me souviens que nous avions reçu, dans le cadre de nos ateliers, Justin Torres, l’auteur de Vie animale. Son premier roman est un très bon livre, mais on y perçoit clairement l’influence de Marilynne Robinson, la grande gourou de l’Iowa workshop.” Les “gourous” du creative writing ont leurs mantras et leurs modes. Dans les années 50, la tendance fut au “show, don’t tell” (montrez, ne dites pas) ; l’heure semble aujourd’hui au “trouver sa voix”, dans un esprit plus “développement personnel” qui colle bien à l’époque.
La France reste encore hermétique à ce genre de pratiques. ”Ici, la plupart des ateliers d’écriture sont perçus comme des animations socioculturelles destinées à une population jeune en voie d’insertion, en prison ou dans des lycées, constate le sociologue Bernard Lahire, spécialiste du champ culturel et auteur de La Condition littéraire. Ce ne sont pas des lieux où l’on apprend à devenir écrivains. Cette idée-là choque profondément les romanciers français. C’est un mystère si on compare l’écriture à d’autres arts qui ont le même type de légitimité, les mêmes ambitions, le même mythe du génie créateur. Personne ne s’offusque de l’idée que la musique ou la peinture s’apprennent. Mais pour beaucoup d’écrivains, l’écriture est quelque chose de très personnel, de l’ordre d’une nécessité intérieure. Leur pulsion expressive est très éloignée de l’idée de compétence et de métier.”
“En France, on croit encore que l’on naît écrivain”, déplore pour sa part Alain André, directeur des ateliers Aleph, qu’il a fondés en 1985 : ”Jeune prof de lettres à la fin des années 70, je n’aimais pas trop ce qu’on me demandait de faire. Alors j’ai commencé à me renseigner sur les ateliers d’écriture. A l’époque, il y en avait de deux sortes : les formalistes dans la lignée du Nouveau Roman, et les spontanéistes, plus baba cool, dont le but était de créer du contact, voire de se toucher et plus si affinités.” Alain André témoigne du mépris dans lequel sont tenus les ateliers : “Quand j’ai publié mon premier roman chez Denoël, Olivier Rubinstein (ancien directeur de la maison d’édition – ndlr) m’a dit : ‘Pas un mot sur vos ateliers d’écriture en quatrième de couverture ! Ça sent trop la sueur’.”
Editrice et romancière (son dernier livre, Soliste, vient de paraître chez Inculte), Laure Limongi est intervenue, comme d’autres auteurs, dans le cadre du master havrais. Elle préfère mettre les choses au point :
“Il faut être clair et ne pas vendre aux étudiants qu’on leur apprend à devenir écrivain. Si on leur dit qu’ils vont tous être publiés chez Gallimard, on va finir cloués à une porte. Il faut déjà apprendre à écrire. Il y a aujourd’hui un vrai problème rédactionnel. Les gens ne savent plus écrire. Je vois des stagiaires qui ont fait leur mémoire sur Borges et qui ne savent pas aligner deux phrases correctes.”
Reste que le regain d’intérêt que suscitent les ateliers de création littéraire traduit un attachement très fort à la chose écrite et au livre. C’est plutôt une bonne nouvelle.