Page 1 sur 4

[I] Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mar. juil. 24, 2012 6:59 pm
par Elhyane
Bonjour

Je sais qu'il existe un fil sur le fusil de Chekov, mais ma question étant à mon sens séparée du thème de ce fil, je me permets d'en ouvrir un autre. Cependant, que les modérateurs n'hésite pas à fusionner s'ils l'estiment nécessaire/plus utile/plus simple (barrez les mentions inutiles s'il y en a)

Pour vous permettre de mieux situer mon problème, voici la situation : il y a peu, j'ai repensé à certaines remarques concernant le Cycle de l'Héritage, et j'avais noté à l'époque que beaucoup de lecteurs râlaient car des détails avaient été décrits sans que cela resserve par la suite. A tord ou à raison, la question n'est pas là. Seulement, en faisant le lien avec mon propre roman, je me suis aperçue que certaines choses pourraient prêter à confusion. Mon meilleur exemple est la description plus ou moins détaillée d'une légende elfique concernant deux arbres soit-disant habités par l'esprit de deux sœurs. Je crains que le lecteur ne s'attende à quelque chose là-dessus... alors qu'il ne s'agit que d'une simple légende me servant à étoffer la culture de mes oreilles pointues.

A partir de là, je me suis posée l'interrogation suivante : à partir de quand le lecteur s'attend-t-il à un procédé style "fusil de Chekov" ? Ou plutôt, quels éléments vont pousser le lecteur à guetter quelque chose en relation avec ce qui est écrit ? Lorsqu'il finira le roman, en repensant à certaines choses, qu'est-ce qui va lui permettre de se dire "Ouais, c'était un détail intéressant, mais un détail quand même" et pas "Rah, le narrateur nous a balancé ça et il ne s'en est même pas resservi, l'arnaque !" (en exagérant un poil bien sûr).

Oui, je sais, je m'explique très mal, mais j'arrive pas à mieux ordonner ma pensée. Et pourtant, ça fait trois jours que je suis dessus... Bref, votre avis si vous avez compris ?

PS : à noter que quand je parle de "fusil de Chekov", ce n'est pas seulement en terme d’élément "vital" à l'intrigue, mais plutôt de manière plus large d'un élément qui va être utile sans forcément être nécessaire.

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mar. juil. 24, 2012 7:57 pm
par tigrette
Je suis partisane de ne mettre dans mes romans que des éléments qui sont utiles de près ou de loin à l'intrigue. Je fais partie des lecteurs qui aiment que tous les fils de l'intrigue, toutes les pistes, tous les touches permettant de comprendre les personnages s'imbriquent à la fin.

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mar. juil. 24, 2012 8:12 pm
par Nicéane
De mon point de vue en tant que lectrice, effectivement, je suis assez dérangée par ce genre de parenthèses culturelles qui ne servent pas l'intrigue. Enfin, surtout quand on s'étale dessus... En parler pendant deux ou trois phrases, pourquoi pas... mais disserter sur tout un paragraphe ou même raconter toute la légende, ce serait de trop à mon avis ! C'est à partir de là qu'on se dit : ça y est c'était un délire culturel (idem avec délire géographique/historique...) C'est vrai que quand on a une petite anecdote-légende assez sympa à raconter on a tout de suite envie de la caser, mais je pense que c'est un piège dont il vaut mieux se méfier.
tigrette a écrit :Je suis partisane de ne mettre dans mes romans que des éléments qui sont utiles de près ou de loin à l'intrigue. Je fais partie des lecteurs qui aiment que tous les fils de l'intrigue, toutes les pistes, tous les touches permettant de comprendre les personnages s'imbriquent à la fin.
Je rejoins totalement tigrette !

EDIT: je dis ça, mais en lisant le cycle de l'héritage, je n'ai pas été particulièrement gênée par les digressions. Il faut trouver le bon dosage je présume.

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mar. juil. 24, 2012 8:21 pm
par Lùani
A partir de là, je me suis posée l'interrogation suivante : à partir de quand le lecteur s'attend-t-il à un procédé style "fusil de Chekov" ? Ou plutôt, quels éléments vont pousser le lecteur à guetter quelque chose en relation avec ce qui est écrit ? Lorsqu'il finira le roman, en repensant à certaines choses, qu'est-ce qui va lui permettre de se dire "Ouais, c'était un détail intéressant, mais un détail quand même" et pas "Rah, le narrateur nous a balancé ça et il ne s'en est même pas resservi, l'arnaque !" (en exagérant un poil bien sûr).
A première vue, je dirais que ce qui attire l'oeil du lecteur, c'est "tout ce qui dépasse", tout en ayant l'air gratuit.

Si le texte est homogène et que rien ne dépasse, avec de multiples détails "inutiles" (je mets des guillemets, car pour moi les détails d'ambience ne sont jamais inutiles), et que ces détails se fondent pour former un décor riche/une culture particulière/une histoire tourmentée, les lecteurs ne se focaliseront pas sur un point particulier. Je pense à Tolkien, qui a truffé sont oeuvre d'informations qui ne servent pas forcément la trame principale, mais qui contribuent à la vie d'un monde unique.
Alors que s'il n'y a qu'une seule description détaillée dans toute l'histoire, on se dit forcément que cela risque de resservir.
(Là, je n'ai pas d'exemple célèbre, mais je pense à mes erreurs de débutante où on savait rien qu'en lisant la description d'un personnage s'il allait être important ou pas par la suite.... :roll: )

Au contraire, si quelque chose "dépasse" mais sert un objectif perceptible comme renforcer une caractérisation, monter en sauce une ambiance, il n'aura pas cet aspect "gratuit" qui fera tilter le lecteur.

D'ailleurs, la difficulté, quand on essaie de mettre en place un "Fusil de Chekov" est d'attirer suffisamment l'attention sur quelque chose (sinon le lecteur va l'oublier), sans pour autant le mettre trop en lumière (sinon le lecteur va s'attendre à une réutilisation). Réussir un tel exploit relève de l'art de la prestidigitation. Il faut attirer l'oeil puis détourner l'attention : un détail mit en lumière, mais de telle sorte qu'on imagine un autre but à cette présence...

Conclusion : il faut que rien ne dépasse... mais pas trop sinon ça risque d'être saoulant. J'ai vu un film récemment (même si le film, lui, n'est pas récent) qui s'appelle "Signes". Visiblement, le scénariste est un habitué du "twist" final. D'où un jeu du chat et de la souris épuisant : le spectateur traque le détail significatif, donc le scénario est truffé de détails significatifs... et à la fin, dix fusils de tchekov tirent dans un bouquant infernal.

Tout est une affaire de dosage. *Soupir

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mar. juil. 24, 2012 9:02 pm
par Lily
Idem que Tigrette!

J'adore d'ailleurs voir à la fin comment des évènements anodins décrits au début se recoupent pour construire l'intrigue finale, et du coup je suis au contraire déçue s'il n'y a aucun but derrière!

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mer. juil. 25, 2012 8:14 am
par Beorn
Je suis d'accord avec ce qui a été dit, je pense que l'histoire doit former un tout.

Si, comme le dit Bergamote, ton récit est truffé d'anecdotes sur le monde, que ton roman est construit ainsi, alors pourquoi pas : cet élément s'intégrera dans cette manière de raconter les choses.

En revanche, dans le cas général, si tu mets un élément en lumière de façon ce que le lecteur le retienne, alors il y a des chances pour que tu desserves ton roman : le lecteur risque d'en attendre quelque chose, ou au contraire de passer à côté d'un autre élément qui, lui, sera important par la suite.

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mer. juil. 25, 2012 9:16 am
par Mélanie
Beorn a écrit :En revanche, dans le cas général, si tu mets un élément en lumière de façon ce que le lecteur le retienne, alors il y a des chances pour que tu desserves ton roman : le lecteur risque d'enattendre quelque chose, ou au contraire de passer à côté d'un autre élément qui, lui, sera important par la suite.
Je me pose la même question que Beorn. Comme tu parles de cette légende en particulier, je me demande si c’est vraiment occasionnel que tu détailles des points de la culture de ton monde. Parce que, en tant que lectrice, si je trouve exceptionnel que l’auteur me décrive une légende, alors que ce n’est pas tellement dans ses habitudes, je crois que je pourrais en être intriguée et voir une manœuvre pour amener un quelque chose à l’intrigue. Alors, c’est vrai que ça serait frustrant si finalement tu n’en fais rien.

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mer. juil. 25, 2012 9:40 am
par Eva
A mon avis, si le détail fait partie de l'intrigue, le lecteur s'attendra à le voir utilisé plus tard. Ex : Les personnages de ton roman rencontre un elfe qui prend le temps de leur raconter spécifiquement la légende des arbres soeurs. Dans ce cas, la découverte de cette légende par les personnages devient un des jalons de l'histoire.

Par contre, si le détail fait partie du décor, le lecteur comprendra qu'il n'est là que pour enrichir l'univer. Ex : Quand les personnages de ton roman arrive au village elfique, ils remarquent, entre autres détails, que les habitants s'inclinent en passant devant les arbres soeurs. Ce n'est qu'un des éléments culturels qu'ils découvrent dans le village (en même temps que l'habitude des elfes à porter des bijoux en bois, par exemple) et il n'a aucune incidence sur l'histoire.

Sinon, il me semble que si le lecteur s'attend à voir revenir un détail, par définition, ce n'est pas un fusil de Chekhov. Ou alors, il est raté. ;)

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mer. juil. 25, 2012 12:15 pm
par Beorn
Eva a écrit :Sinon, il me semble que si le lecteur s'attend à voir revenir un détail, par définition, ce n'est pas un fusil de Chekov. Ou alors, il est raté. ;)
Ah mais je pense que le fusil de Chekov doit se voir.
Ou plutôt, il faut prendre le problème à l'inverse : si quelque chose se voit, alors c'est un fusil de Chekov.
Tout l'art de l'auteur, ce n'est pas de le cacher, mais de le faire oublier. ;) Enfin en tout cas, c'est comme ça que je l'ai toujours compris.

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mer. juil. 25, 2012 12:21 pm
par Celia
Je suis assez confuse mais est-ce que quelqu'un pourrait m'expliquer ce qu'est précisément un fusil de Chekov ? La conversation me paraît super intéressante du coup j'aimerai bien connaître la base sur laquelle elle se fonde ^^

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mer. juil. 25, 2012 12:22 pm
par desienne
Moi, à vrai dire, je n'ai jamais vu de fusil dans les mains de Chekov...
En même temps, j'ai pas vu tous les épisodes de Star-Trek. :wamp:

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mer. juil. 25, 2012 12:36 pm
par Siana
Si j'ai bien compris, il s'agit d'un objet qu'on montre à l'auteur (oh, il est beau le katana en déco accroché sur le mur du salon !), qu'on fait ensuite oublier avec tout plein de péripéties, avant de ressortir l'objet en question par qu'il a en fait une importance dans l'histoire/l'intrigue (c'était en fait la seule arme capable de..., c'était le truc convoité du méchant, c'était un héritage ancien de la famille...) ou bien juste parce qu'il devient utile (au moment où la baston arrive jusque dans la maison, le héros décroche le katana in extremis pour réussir à triompher du méchant).

C'est une technique que je trouve intéressante aussi. Et je suis d'accord avec Luani, Eva et Beon pour le cas présent.
De mon côté, j'en ai fait un inconsciemment dans mon tome 1, je ne sais pas encore s'il marche bien ou pas... Mais ce n'est pas le genre de truc que je prévoie, sinon.

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mer. juil. 25, 2012 12:45 pm
par Lùani
Celia a écrit :Je suis assez confuse mais est-ce que quelqu'un pourrait m'expliquer ce qu'est précisément un fusil de Chekov ? La conversation me paraît super intéressante du coup j'aimerai bien connaître la base sur laquelle elle se fonde ^^
En fait, c'est une forme d'exposition : on "montre" un objet au cours du récit, qui sera utile plus tard. (La flasque de gnole ostensiblement rangée dans la poche avant et qui finit par arrêter une balle, la chevalière offerte par papa qui permet de reconnaitre le frère perdu/le descendant de la lignée royale, le fusil qui décore la cheminée et qui finit par servir au moment critique etc...)
Chekov (ou Tchekov ?) en avait fait une règle dans ses pièces de théatre : Il ne fait pas montrer une arme si c'est pour ne pas s'en servir après.

J'étais persuadée qu'un fusil de Chekov était forcément un objet, mais vu le tour de la conversation, j'ai l'impression que la définition s'applique à toute forme de préparation/paiement.

Zut : grillée !

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mer. juil. 25, 2012 1:19 pm
par Maden
C'est intéressant mais pour moi raconter une légende ou un mythe c'est important pour donner de la profondeur au monde/peuple qu'on décrit.

Ca ne veut pas dire que c'est important ou que ce sera utilisé par la suite mais ca aide niveau cohérence, pour moi ce genre de détails culturels servent simplement à donner vie au monde imaginaire en question.

Par contre, comme pour tout c'est une question de dosage. Il en faut mais pas trop. :wamp:

Re: Fusil de Chekov ou détail ?

Posté : mer. juil. 25, 2012 1:53 pm
par Beorn
J'ai trouvé cela sur un site littéraire :
"Si dans le premier acte vous indiquez qu'un fusil est accroché au mur, alors il doit absolument être utilisé quelque part dans le deuxième ou le troisième acte. Si personne n'est destiné à s'en servir, il n'a aucune raison d'être placé là."
— Le dramaturge Anton Tchekhov (Антон Чехов). (D'après S. Shchukin, Memoirs. 1911.)

Le Fusil de Tchekhov est le procédé littéraire où un élément introduit très tôt dans l'histoire ne voit son intérêt devenir clair que nettement plus tard. Par exemple, un personnage peut trouver un objet mystérieux qui deviendra au bout du compte crucial à l'intrigue ; mais au moment de sa découverte, l'objet ne semble pas important.

Même si beaucoup considèrent que l'expression "fusil de Tchekhov" est équivalent à de la Premonition, les propos du dramaturge doivent surtout être compris comme "n'ajoutez pas d'éléments inutiles à une histoire".

(...) Utilisé correctement, cette règle donne à l'objet une certaine présence avant qu'il soit utilisé, afin d'éviter qu'il ne soit Sorti De [nulle part], ce qui ne manquerait d'énerver le spectateur. (...)