Je suis pas sûre que l'intervention qui va suivre soit super pertinente, mais j'ai trouvé vos discussions intéressantes et je m'aperçois que je situe pas la distinction "mené par les personnages" ou "mené par l'auteur" sur le même plan (enfin il me semble).
Je pense en fait qu'y a deux choses tout à fait différentes qui ont été évoquées dans ce fil.
La question de départ, l'impression que c'est le personnage qui guide le texte et non l'auteur, ça fait partie de l'illusion romanesque. Réussir à donner cette sensation au lecteur, c'est un succès de l'auteur (quelle que soit sa technique).
Une histoire qu'on sent guidée par l'auteur (dans ce sens là), c'est une histoire qui laisse voir que le personnage est en fait juste le résultat des choix scénaristiques de l'auteur. Que si Gustave a envie d'aller à la Montagne en Chocolat Au Lait, c'est bien parce que le scénario a besoin qu'il y soit parce que c'est là que l'histoire va démarrer. Alors que ça sonne plus vrai si le lecteur a l'impression que le déclencheur de ce voyage, c'est que Gustave a envie d'aller à la Montagne, vu que sa grand mère lui en a parlé dans son enfance. Et oh ! il s'avère que la princesse y vit et que l'histoire démarre parce qu'il a été là-bas !
En gros, l'histoire menée par l'auteur, ce serait écrire en oubliant le moteur interne qui fait marcher les personnages. Ecrire en se disant "Gustave dois aller à la Montagne de Chocolat Au Lait, je vais dont lui faire prendre la décision d'y aller parce que j'ai besoin qu'il y soit".
Mais, pour répondre à Silène, je dirais qu'à mon sens, c'est pareil que le réalisme d'un texte : c'est une illusion, une construction. Mais c'est ça fait fait tenir l'histoire.
Après, la façon dont l'auteur produit ça, je pense que c'est moins objectif, qu'il n'y a pas une seule façon de faire en somme. Et du coup il me semble que la discussion dans ce fil a un peu mélangé les deux...
Ça dépend de la façon dont l'auteur se place pour construire son histoire. Dans ce sens-là, si on dit que l'histoire est menée par les personnages, ça veut dire que lorsqu'il écrit (ou invente l'histoire), l'auteur est dans un constant va-et-vient entre la posture "je suis le personnage, je fais quoi" et la posture "je veux que l'histoire aille par là".
C'est juste qu'en écrivant, l'auteur se glisse dans un personnage et le fait bouger/réfléchir, et hop il passe dans un autre et le fait répondre, et hop dans un troisième, le tout en gardant en tête l'orientation globale qu'il veut leur faire prendre. Et du coup ça n'implique pas que le personnage soit sacralisé par l'auteur. et ça n'a pas vraiment de rapport avec le fait de vouloir mettre le personnage au coeur du roman ou pas.
En fait, cette année j'ai commencé des cours d'improvisation théâtrale et, bizarrement, je trouve que c'est vachement intéressant pour réfléchir à l'écriture. Au début des cours, la prof nous disait : "non, arrive sur scène en
étant le personnage". Ça voulait bien sûr pas dire qu'on devait se prendre pour le personnage ni baser le personnage sur notre propre personne. Non, ça voulait dire qu'on devait arriver sur scène en ayant une démarche, une façon de parler particulières, démarche et ton qui du coup forcent à avoir toujours en tête la personnalité qui va avec, et cette personnalité entraînait toute l'histoire et la vie du personnage. Ça lui donnait plus d'existence. C'était ça avoir un personnage. Pas se dire "je vais jouer un banquier", mais avoir toujours en tête la façon d'être, de se tenir, les pensées d'un personnage - qui s'avère être banquier. Or, à mon sens, ça ressemble diablement à l'état d'esprit qu'on peut avoir en écrivant
, quand on se met dans la peau d'un de nos personnages pour le faire vivre (c'est juste qu'on l'exprime soit corporellement, soit avec des mots)
Et bref, pour revenir à nos moutons, ce que je trouve intéressant dans l'histoire, c'est la raison de ce conseil de la prof. Ou du moins ce que ça a changé dans la façon dont nous, petits débutons, nous sommes mis à construire l'histoire qui se joue au cours de l'improvisation (oui parce que, l'impro théâtrale, ce n'est rien d'autre que la construction d'une histoire à plusieurs et sans se concerter auparavant). Quand tu arrives sur scène en "étant personnage" comme elle dit, tu joues en te disant "je suis Pierre, que fait Pierre, que fais-je ?" ou plutôt en ne te posant pas la question : tu incarnes Pierre, tu as en tête sa façon de penser, donc tu vas agir en conséquence (tout en gardant bien sûr dans un coin de ta tête tout ce que tu dois faire pour le spectacle, ce qui n'a rien à voir avec les pensées de Pierre). De l'autre façon, on ne se glissait pas dans sa peau et on se disait plutôt : "le perso s'appelle Pierre, qu'est-ce que je pourrais lui faire faire ?". Or, cette deuxième "posture mentale" induisait beaucoup plus de distance avec l'histoire ; et la plupart du temps, l'impro ramait parce que ça laissait voir au spectateur l'acteur (amateur en l'occurrence
) en train de réfléchir à ce qu'il allait faire faire à son personnage - un peu comme s'il y avait deux espèces de pantins sur scène.
Pour en revenir à l'écriture, je sais que personnellement il faut que je sois dans cette posture "d'être personnage", de passer tour à tour dans l'un et l'autre, pour donner cette impression qu'ils mènent l'histoire, qu'ils sont habités par un moteur interne ; pour faire oublier au lecteur qu'ils ne sont pas réels et que c'est une seule personne qui a tout planifié d'avance.
Mais je sais aussi que l'écriture c'est super personnel, et que la façon de faire d'une personne peut être complètement différente d'une autre, et par conséquent je ne me risquerai pas à dire que c'est cette posture-là (au moment de l'écriture) qui fait fonctionner un roman.
Par contre, je suis persuadée que pour qu'un roman fonctionne, il faut être parvenu - peu importe comment - à donner cette illusion au lecteur. L'illusion que l'histoire est menée
par les personnages.
Je dois pas être claire du tout, j'arrive pas à m'exprimer ce soir