Faisselle, considère que je m'incline devant toi, parce que tu as l'air d'en connaître un gros rayon. Bon, j'aurais jamais le temps de lire tous les bouquins que tu cites, mais je te recrutes en tant que conseiller historique \o/ Par contre, c'est bénévole. Voilà.
Après, rapidement, parce que j'ai pas lu autant de bouquins, mais que j'ai suivi trois ou quatre cours sur la question quand j'étais à la fac (alors que c'était même pas mon cursus, mais le prof était tellement bien que j'en ai repris les semestres suivants :p ) du coup je suis assez calé sur ces questions et j'ai des classeurs entiers sur ces périodes
(ATTENTION PAVE AUSSI)
Et du coup, je voulais un peu répondre à la question initiale, parce que je trouve que toutes les réponses parlent plutôt d'organigramme militaire, de certaines batailles, de telle ou telle invention etc. Et pas de tactique à proprement parler.
Parce que oui, petite précision, je pense que la question de Harry portait à la base sur la tactique militaire et pas sur la stratégie.
La stratégie en gros, c'est d'assiéger la forteresse plutôt que de l'attaquer de front. La tactique, c'est quand tu attaques avec un bélier plutôt que des échelles... Je sais pas si vous voyez la différence :/ Bref !
Donc, parlons tactique Moyen-Âge et chevalerie. Parce que globalement, je crois que c'est ça ce qui intéresse - et de toute manière, j'ai pas étudié les autres périodes.
Vous avez tous plus ou moins dit qu'au niveau médiéval, la tactique, la stratégie, disparaît au profit de la mêlée. Et c'est pas tout à fait faux en un sens, mais en fait, c'est surtout que la tactique, la stratégie, devient "roulons donc joyeusement sur l'adversaire". Et bordel, à l'époque, c'est méga efficace.
Je m'explique. En fait, si on regarde les armées qui, à une époque donnée, ont un peu roulé sur tout le monde pour une raison ou pour une autre, on se rend compte que leur stratégie reposait sur une tactique en particulier contre laquelle leurs adversaires n'arrivaient pas à s'adapter. Soit parce qu'ils étaient vaincus trop vite, soit parce qu'ils n'avaient pas les moyens de faire pareil, soit pour d'autres raisons stupides (genre dire : "ouais non, les arcs et les flèches, c'est pas loyal, on va pas les utiliser", crétins de français). Exemple, les oplites grecques (ça s'écrit comme ça ?). En gros, c'est les spartiate dans 300, des rangées de bouclier hyper unies qui peuvent avancer, tenir des charges etc. Que les romains développeront avec les fameuses tortues.
Et bien au temps des chevaliers (même si c'est évidemment un peu plus complexe et évolutif que ça), la tactique qui marche à tous les coups se définit, en gros, par : FONCER DANS LE TAS, YAAAAAAAH !
Oui, tout a fait ! Pour diverses raisons, autant militaires que sociétales, politiques ou techniques, la chevalerie se développe. Attention, je dis bien "chevalerie" et pas seulement "cavalerie lourde", parce que l'avantage des chevaliers, c'est que les gars n'ont vraiment que ça à faire de leur vie, tellement que même quand c'est pas la guerre ils organisent des tournois pour se poutrer gaiement les uns les autres. En fait c'est tellement chiant ces mecs-là que le pape finit par les envoyer en croisade (mais allez donc vous battre ailleurs, bande de branleurs). Ouais, ça part comme ça les croisades, les gars faisaient trop la guerre chez eux, faute d'avoir mieux à faire, on les a envoyé jouer ailleurs... J'aime schématiser.
Donc on a plus des armées de citoyens conscrits ou d'appelés, mais une force militaire de cavaliers lourds dont la seule occupation est la guerre et qui sont tellement forts qu'ils arrivent à faire des trucs que les autres arrivent pas à faire. Genre charger à cheval, en ligne serrée. Parce que ouais, dans la plupart des charges de cavalerie, les chevaux s'éloignent et se dispersent. Mais non, les chevaliers, eux, ils restent en rangs serrés et c'est monstrueusement plus efficace (ouais, dans le seigneur des anneaux, c'est de la gnognotte, c'est plus impressionnant dans Kingdom of Heaven, mais comme ils se battent contre d'autre cavaliers, ça le fait moins).
Et du coup, toute la puissance des chevaliers, c'est la charge de cavalerie. Ils le font mieux que les autres, et il y a pas grand chose qui y résiste. Du coup, oui, toute la stratégie, à cette époque, consiste, pour les chevaliers, à trouver le meilleur moyen de foncer dans le tas adverses avec la plus grande vélocité possible. Du coup, les "et que je te prends par le flanc", les "vas y que je t'encercle" ou les "ah ah, je t'ai eu, maintenant que tu es bloqué ici, je vais te canarder avec mes archers...", bah, on oublie. Maintenant, pour se battre, on trouve un grand champ bien dégagé, on s'assure que le terrain soit pas trop accidenté et on fonce. Parce que ça marche. C'est tout.
Et ça demande du talent de placer l'ennemi au bon endroit.
Pour vous dire à quel point c'est efficace, voici une petite anecdote rigolote. En Espagne, les deux tiers de la péninsule sont occupés par des principautés musulmanes. Au nord, il y a quatre (ou cinq je sais plus) royaumes chrétiens indépendants (Aragon, Galicie, Barcelone, Castille... tout ça quoi). A un moment, le roi d'Aragon veut se marier avec la fille du Comte de Barcelone. Sauf qu'il est en bisbille avec la Castille et du coup, c'est chaud de passer par là. Pas de panique qu'il se dit, on va y aller par le côté Sud, côté musulman donc. Il part tranquille avec une petite escorte de chevaliers (quelques dizaines).
La ville musulmane d'à côté apprend la nouvelle, un peu interloquée. Quel est donc ce barbare chrétien qui croit qu'il peut traverser nos terres aussi impunément ? Il vont voir leur prince musulman et lui disent : "Prince, tu ne peux pas le laisser passer sans rien dire ! Lève donc ton armée pour lui faire payer son impudence !". Le prince, pas con, répond : "Non. Allez vous faire foutre." Les citadins, pas du tout démontés par cet échec, décident de s'armer eux-mêmes et partent ainsi attaquer l'escorte du roi chrétien. Et c'est ainsi que plusieurs milliers de musulmans en colère sont allés tabasser du chevalier un beau matin de je ne sais plus quelle année.
Bon, bah, à plusieurs milliers contre une petite escorte de chevalier, les gars se sont fait rouler dessus. Et le roi est reparti se marier tranquille. Histoire vraie. Chouette, non ?
Du coup voilà, pendant cette période les chevaliers sont une unité d'élite hypra bourrine et super forte, que tout le monde recrute comme mercenaires (oui, oui, les chevaliers sont des mercenaires pour l'essentiel), y compris les musulmans. Et leur tactique de base, qui est la plus efficace de toutes sur le champ de bataille, c'est la charge. C'est sûr que sur le plan intellectuel, c'est un peu moins intéressant, mais sur le plan militaire, le résultat est là.
Et donc, toute la "stratégie", au moyen âge, va consister à trouver le meilleur moyen de charger l'ennemi. Ou, quand on a pas de chevaliers, ou pas assez, à trouver des moyens de s'en protéger.
Et voici une petite liste des tactiques qui vont marcher :
1- Se cacher dans son château. Développée très vite par les européen en général. Parce que ouais, c'est bien rigolo, mais un mur, ça se charge pas comme ça. Et du coup, je pourrais aussi vous parler des tactiques et stratégie pour prendre un château, mais bon... En tout cas, si une armée de chevaliers approche, c'est efficace.
2- Le Long Bow. Développée par ces messieurs les gallois contre les anglais... ça les a pas empêché de perdre cela-dit. Alors attention, les petits arcs et les petites flèches, non, c'est pas des Long Bow. Le Long Bow, c'est quasiment une baliste (jusqu'à 2m10 d'envergure, ils rigolaient pas les gars). ça tire des grosses flèches et tu peux pas super bien viser avec. L'intérêt, c'est que tu tires des volées en cloche sur d'adversaire. Du coup, tu tires loin, tu tires beaucoup et les trais sont suffisamment épais et lourds pour transpercer les armures, abattre les chevaux. Pour rappel, les chevaliers chargent en rang serrés, on est donc presque sûr d'en toucher tout un tas à chaque volée. Du coup, le temps que les gars arrivent jusqu'à toi, leurs rangs sont assez clairsemés pour que leur charge soit sans effet. Ou alors, un peu mieux, qu'ils aient un peu les boules et battent en retraite. (Bataille de Crécy).
3- Les pieux ! Merci aux écossais pour celle-là (voir Braveheart pour plus d'infos). Bon, bah, là c'est pas compliqué, on s'installe derrière des pieux espacés juste comme il faut, on insulte l'adversaire pour qu'il ait bien envie de charger et on le laisse venir. Le problème ? ça impose d'être statique. ça a marché pour les écossais, mais pas tellement ailleurs. A ma connaissance en tout cas.
4- Retraite stratégique ! Ce sont principalement les musulmans qui vont employer cette technique. Un peu tactique et un peu plus subtil ce coup-ci. En gros, tu laisses les chevaliers charger, puis au dernier moment tu dis "fuyez, pauvres fous !". Ton armée se disperse aux quatre vent, les chevaliers (qui sont des gros bourrins) se dispersent dans la poursuite et là, hop !, tout le monde sur le front et tu les charges alors qu'ils sont plus en rangs serrés. Résultat : tu les prends pile dans leur moment de faiblesse. Bon, par contre, faut avoir de la cavalerie légère sous la main pour pouvoir fuir et se regrouper plus vite que les chevaliers.
5- Les rangées de piques. Bon, là dessus, je préfères pas dire. Parce que d'après ce que j'ai compris, ça ne marchait pas tant que ça. De un, le premier problème, face à une charge de cavalerie, c'est que les hommes paniquent lorsque les chevaux viennent vers eux. Et c'est en partie pour ça que les charges de chevaliers étaient si efficaces. Donc pour que ça marche, il faut des soldats aguerris qui ont l'habitude de se faire charger par des chevaliers... Mais sinon oui, la tactique fonctionne... Mais pas parce que les chevaux meurent, simplement parce que les animaux refusent de se jeter sur un tel obstacle qui est trop évidemment dangereux, ça joue sur leur instinct naturel et leur psychologie, par sur l'efficacité d'une rangée de pique. Pour être honnête, un homme ne peut pas espérer tenir le choc si sa pique se plante dans le cheval. La vélocité de l'animal est telle que la ligne serait brisée même si les chevaux mourraient... Mais la raison pour laquelle je ne pense pas que cette tactique ait eu un réel impact est plus historique qu'autre chose.
A partir du moment où l'on commence à parler de régiment de piquiers... les chevaliers ne sont déjà plus ou moins que l'ombre d'eux-mêmes. Mais je me trompe peut-être alors n'en parlons pas plus.
Parce qu'il y a un truc qu'il faut bien comprendre : les chevaliers, ça a pas duré si longtemps que ça. Déjà, à la bataille de Nicopolis (1396), on ne peut plus vraiment en parler, et ils n'apparaissent vraiment qu'à la fin du Xème siècle (si mes souvenirs sont bons). L'Eglise et les monarchies de plus en plus centralisées ont plus ou moins tout fait pour maîtriser leur violence et les pacifier. Les premiers souhaitant protéger les populations chrétienne et leurs églises (qui étaient alors régulièrement pillées) et les seconds avaient tout intérêt à entretenir des armées régulières et dociles plutôt que de reposer sur des bandes de mercenaires ultra-violents. Et finalement, diverses technologies employées contre eux s'avérant de plus en plus efficace... Il a bien fallu se faire une raison.
Du coup, les régiments de piquiers apparaissent vraiment que vers la fin de cette période, au moment où les chevaliers commençaient déjà à être un peu plus fiers que fort, d'où mon léger scepticisme à leur égard...
Cela dit, pas de panique, parce que les chevaliers, ça reste efficace pendant un moment. A la fin de la guerre de cent ans, Charles VII les utilisera effectivement pour bouter les anglais hors du pays (enfin !). En fait, à force de se prendre des flèches dans la gueule à chaque charge face aux "Long Bow", les français en eut un peu marre (ouais cent ans à tomber dans le même piège, c'est long). Ils ont alors trouvé un truc qui tirait plus fort et plus loin : le canon. Joie.
Mais bon, l'idée n'était pas de tirer sur l'adversaire jusqu'à ce qu'il soit vaincu, faut pas déconner, on est des guerriers honorables ! Non, on tire sur ces lâches d'anglais sur la colline, jusqu'à ce qu'ils soient obligés de changer de position et de se mettre à un endroit plus favorable, et là on leur roule dessus en tout bien tout honneur. On est des gens civilisés, quand même.
Du coup oui, malgré l'apparition de nouvelles armes, de tactiques pour les contrer, les chevaliers vont rester en vogue un moment. Et même à Nicopolis, pour être honnête, ils ont fait du dégât, juste que la stratégie ennemie était plus forte.
Voilà, en gros, le résumé des mes cours d'histoire sur la question et de pourquoi rouler sur l'adversaire c'est rigolo et pas du tout plus con que de faire des stratégies alambiquées.
Après, pour les questions de nombre. Je crois que quand Philippe Auguste rassemble son armée contre Jean Sans Terre, il a amassé quelque chose comme 20 000 chevaliers et c'est la plus grande armée de l'époque. Il y a aussi 1 000 chevaliers à la prise de Jerusalem et c'est très très gros comme armée... Pendant ce temps là, en Chine, on t'explique qu'à 300 000, ça risque d'être un peu short. (Tout est relatif...)
N'oubliez pas, cependant, que les chevaliers, ont généralement gagné leurs batailles en étant inférieurs en nombre (c'est beaucoup le cas contre les musulmans notamment, malgré les petits exploits de Saladin :p ).
Mais surtout, surtout, que dans l'immense majorité des cas... les gens se réfugiaient dans leurs châteaux, tout simplement. Du coup, l'essentiel des batailles, c'étaient surtout des sièges ou des escarmouches. Les rencontres armée contre armée, ça arrivait pas souvent.
En tout cas, c'est ce que j'ai retenu des mes cours
J'espère que ça vous sera utile
Il y aurait beaucoup à dire sur les châteaux et les sièges, mais bon...