[A] Ecrire un roman ambigu

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anonymedeux

[A] Ecrire un roman ambigu

Message par anonymedeux »

Salut à tous,

Ce matin, je réfléchissais à la suite d'un article sur un de mes auteurs de SF favoris, Heinlein. Heinlein a écrit un livre nommé Etoiles, garde à vous dont le titre original est Starship trooper. Ce livre a aussi été adapté (et j'insiste sur le adapté) avec talent par Paul Verhoeven.

Tous deux ont été accusés d'être des fascistes et des militaristes à cause de ces oeuvres. En fait, ces oeuvres sont tout le contraire, une féroce remise en cause du fascisme et du militarisme mais elles présentent un souci majeur : elles se basent sur le fait que le lecteur s'interrogera sur son monde et la pratique de sa société à l'aune du roman/livre.

Il faut d'ailleurs savoir que Heinlein prévoyait d'abord que son livre soit destiné à la jeunesse.

Dans la même veine, Scalzi avec son Vieil homme et la guerre présente pareillement un univers fascistoïde et militariste mais au fil de sa série, il dénonce totalement la société qu'il décrit. Néanmoins, certaines scènes du roman sont terriblement choquantes (en tout cas, elles m'avaient choqué).

En clair, il devient difficile de faire un roman ambigu sans que les gens ne le lisent au premier degré. Le fait de vouloir que le lecteur s'interroge face à ce qu'il lit est souvent très mal perçu (et est pourtant un facteur vectoriel de construction de son identité et de la démocratie majeur).

Pour en revenir à Heinlein, son personnage suit un chemin initiatique (tant dans le film que dans le livre) qui le fait passer de simple trouffion à officier. Et il faut lire les phases d'entraînement qui sont épouvantables (le film est très soft en comparaison).

Dans la même veine, je me souviens avoir vu un film à polémique où deux jeunes hommes torturent pour s'amuser une famille... l'escalage de l'horreur est permanente jusqu'à un moment : le premier tueur est mort et le second tueur a perdu le contrôle. Il prend alors une télécommande et parle au télespectateur pour lui dire que ça ne peut pas se passer comme ça et il fait retour arrière pour changer la situation. Le but du réalisateur était de nous choquer et de nous faire quitter la séance, écoeurés. Il voulait voir jusqu'à quel point nous acceptions l'intolérable. Personne n'a quitté le cinéma et le réalisateur a été accusé de prôner l'hyperviolence.

Alors, jouer avec l'ambiguïté pour faire réagir et réfléchir le lecteur est-il si difficile ?

Prenons un autre exemple : Je suis une Légende de Matheson. Il a été adapté en film aussi. Or, le propos final du film diffère totalement du livre. Dans le film, le héros devient une légende car il a fait du bien... Dans le livre, le héros comprend qu'il est devenu une légende car il est un monstre. L'ambiguïté du livre est énorme et la chute est un choc et amène à réfléchir sur sa perception de l'autre. Dans le film, non.

Avons-nous docn tant de mal à notre époque de jouer avec des situations ambigues ? Y-a-t-il un changement du lectorat qui ne comprend plus ?

A mon humble avis, non. Alors, l'ambiguité dans les romans est-elle abandonnée ? Les deux romans dont je parle ont été des claques monumentales pour ma formation intellectuelle et ma réflexion sur le monde et je trouve dommage que la SF (et ptêt la fantasy) actuelle(s) ne sy essaient plus. J'ai toujours l'impression que l'évidence est reine et que mettre mal à l'aise (et je dis bien mettre mal à l'aise, pas choquer) disparaît peu à peu. Mettre mal à l'aise oblige à s'interroger. Actuellement, tout est si évident (je dirais même que les règles du shonen se sont imposés à la littérature, avec le thème permanent de la rédemption, le vilain qui devient l'ami des héros, comme Végéta dans DBZ, Gaara dans Naruto...).

Alors, votre avis sur l'ambiguité dans les romans ?

Je tiens à signaler que j'espère m'être bien exprimé dans ce sujet et qu'il ne portera pas à polémique ni qu'on formera des jugements hâtifs sur ma propre personne (j'ai pas envie de subir ce qu'a subi Heinlein ^^). Donc, pardon d'avance si mon propos est mal formulé.

Mille bisous,
Daerel.

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blackwatch
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Re: Faire un roman ambigu

Message par blackwatch »

Actuellement, tout est si évident
Non. Un seul exemple : Cytheriae de Charlotte Bousquet. Semblable à "je suis une légende" par son ambiguïté et le débat sur la perception de l'autre. Dans le roman de Bousquet, on suit un monstre - aussi bien physique que mental - un être difforme, un hybride, fruit de l'union entre une femme et un démon. Dès son plus jeune âge, Malatesta a été emprisonné et comme pitance, reçoit les condamnés à mort par sa demi-soeur, Violetta, la duchesse de Cytheriae. A la fin (je ne vais pas spoiler tout le roman, il est bien trop beau pour ça) on se demande qui des deux est le monstre : Malatesta, qui se rend compte de sa nature - les extraits de son journal sont très émouvants de ce point de vue là - et prie secrètement pour sa libération ou Violetta, la duchesse, qui le force à se nourrir de cette façon ? Et ce n'est là qu'un des aspects du bouquin, qui force la réflexion.
Donc, non, tout n'est pas évident en fantasy. Je ne l'ai pas lu, mais j'imagine que "Rien ne nous survivra" avec son intrigue politiquement incorrecte met bien mal à l'aise également.
Quant à "Je suis une légende" (comme toi, j'ai lu le livre et vu le film et OK, ca n'a rien à voir dans le ressenti), je ne dirais pas que le type est considéré comme un monstre. Du moins, je ne le vois pas ainsi. Il m'apparaît davantage comme un rebut d'un monde disparu, d'une civilisation qui est au tombeau. Et il ne manque plus que sa mort à lui pour qu'un nouveau monde puisse émerger. C'est là où le lecteur est pris : il est tellement impliqué dans l'acte de résistance du personnage, de suivre son cheminement quant à un éventuel remède qu'il est aveuglé comme lui. Il ne se rend pas compte que le monde ne reviendra plus jamais comme avant et que désormais, ce sont ceux qui se cachent dans l'ombre qui représentent l'avenir.
Spoiler: montrer
N'empêche que j'ai bien apprécié le film aussi ^^

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Isaiah
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Re: Faire un roman ambigu

Message par Isaiah »

Tu me sembles répondre à demi à ta propre question... je te cite :
Y-a-t-il un changement du lectorat qui ne comprend plus ?
[...]
En clair, il devient difficile de faire un roman ambigu sans que les gens ne le lisent au premier degré. Le fait de vouloir que le lecteur s'interroge face à ce qu'il lit est souvent très mal perçu (et est pourtant un facteur vectoriel de construction de son identité et de la démocratie majeur).
Le lectorat, oui il change. Il va de pair avec sa société de divertissement immédiat (pif paf boum, nibards ou torse musclé.) et ne va pas forcément chercher à dépasser le livre qu'il lit. Donc, ce n'est pas qu'il n'est pas capable de comprendre, mais qu'il ne souhaite pas aller plus loin que la basse histoire. Un lecteur, c'est une chose différente. Il peut avoir sa sensibilité et son envie. Dès que tu cibles un lectorat, il faut "cesser de te soucier des détails".

La justice poétique ou les topoï shounen, c'est simple, efficace, et ça règle tous les différends d'ambiguïté. Ne pas obéir à ces canons, ça te pose tout de suite dans la catégorie compliquée. Prends Golding avec Sa Majesté Des Mouches. Il renverse tous, mais tous les poncifs du genre. Et pourquoi est-il ambigu, selon les gens? "Parce qu'il ne donne aucune résolution." C'est tout à fait faux. Golding résout ses conflits, mais pas de manière traditionnelle. Exit les gros sabots, lui règle ça à grands coups d'ironie en plein coeur de l'intrigue.

C'est sûr, que commercialement, le mieux pour rafler la mise, c'est de faire un roman sans accroc, sans caractère. Mais honnêtement, est-ce que ça vous intéresse de lire un plat réchauffé et insipide?

J'ai donné mon point de vue, assez extrême, mais je pense qu'il convient ici de dire : écrivez ce que vous voulez lire !

(concernant I am Legend, le film m'a outré. Le détournement de toute la réflexion de Matheson sur l'autre et la faiblesse vers une bienséance fortement orientée religion monothéiste (suivez mon regard), ça m'a laissé coi. Mais bon, c'est typique des USA après le 11 septembre...)

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EtienneB
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Re: Faire un roman ambigu

Message par EtienneB »

Isaiah a écrit :...J'ai donné mon point de vue, assez extrême, mais je pense qu'il convient ici de dire : écrivez ce que vous voulez lire !
:love: :yata: :yata: :yata:

A écrire en lettres d'or au fronton de toutes nos cheminées !

Ce fil me donne envie de relire "Je suis une légende" et, après avoir la fiche Wiki de Starship Troopers, me confirme dans l'envie de surtout ne pas le lire...

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Earane
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Re: Faire un roman ambigu

Message par Earane »

Isaiah a écrit : Le lectorat, oui il change. Il va de pair avec sa société de divertissement immédiat (pif paf boum, nibards ou torse musclé.) et ne va pas forcément chercher à dépasser le livre qu'il lit. Donc, ce n'est pas qu'il n'est pas capable de comprendre, mais qu'il ne souhaite pas aller plus loin que la basse histoire. Un lecteur, c'est une chose différente. Il peut avoir sa sensibilité et son envie. Dès que tu cibles un lectorat, il faut "cesser de te soucier des détails".
Plus que d'accord. Le lectorat change, c'est évident. De même, nous lisons avec notre propre background. Parfois trop. On ne se base que sur notre ressenti sans aller au-delà. Du moins, la plupart des gens. Or, aller au-delà s'avère souvent nécessaire voire irrémédiable pour la bonne compréhension d'un ouvrage.
Isaiah a écrit : Mais honnêtement, est-ce que ça vous intéresse de lire un plat réchauffé et insipide?
Insipide, non. Réchauffé, peut-être. Mais cela n'est que mon avis personnel. J'entends néanmoins une différence sur le terme même de réchauffé. On peut rester dans un même registre sans que cela soit automatiquement du réchauffé.
Isaiah a écrit : J'ai donné mon point de vue, assez extrême, mais je pense qu'il convient ici de dire : écrivez ce que vous voulez lire !
Je ne peux que plussoyer ! :yata: :heart:

Daerel, je te rassure, je pense que ton propos est clair et appelle davantage à une réflexion qu'à une expression pure et simple d'un point de vue unique. Tu fais part de ton avis, tout en restant nuancé et ton avis est plus que justifié. :heart:
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Celia
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Re: Faire un roman ambigu

Message par Celia »

Le lectorat, oui il change. Il va de pair avec sa société de divertissement immédiat (pif paf boum, nibards ou torse musclé.) et ne va pas forcément chercher à dépasser le livre qu'il lit. Donc, ce n'est pas qu'il n'est pas capable de comprendre, mais qu'il ne souhaite pas aller plus loin que la basse histoire. Un lecteur, c'est une chose différente. Il peut avoir sa sensibilité et son envie. Dès que tu cibles un lectorat, il faut "cesser de te soucier des détails".
Pas d'accord. Le lectorat grand public ne change pas. C'est son accès au divertissement (plus étendu d'années en années) qui change. Plus le lectorat "grand public", apte à tout lire et tout voir au premier degré, s'étend, plus on a l'impression que les livres et les films sont tous lus et vus au premier degré. Ce n'est pas une question d'évolution du public vers plus de paresse et moins de distance, mais une question presque mathématique d'accès aux médias.
De plus cette caricature du grand public est ce qu'elle est : une caricature. Il ne faut pas prendre les gens pour plus abrutis qu'ils ne sont.
Et il existe encore des livres qui choquent. Pour moi ça a été "Rien ne nous survivra" de Maïa Mazaurette et, niveau film, peut-être, "Un prophète", de Jacques Audiard : est-ce que ce qui est écrit et montré est bon ? Est-ce un exemple ? Mais ce sont des oeuvres qui sont, même dans le cas d'Audiard, destinés à un public qui sait déjà prendre ses distances, du moins a priori.
Il est à noter qu'Audiard a été accusé de faire la lie des mafias de banlieue, et de "risquer" de faire de son héros le nouveau Scarface (par les médias bien entendu, qui eux, sont loin de savoir prendre leurs distances). Ce qui est étrange d'ailleurs quand on voit les deux films : aucun des deux ne fait l'apologie du monde mafieux, même si la limite est beaucoup plus trouble chez Audiard que chez De Palma.
Vouloir faire un roman trouble, c'est prendre des risques, non seulement avec le grand public (rare dans nos domaines) ou avec les médias (si aptes à chercher le truc choquant) mais aussi avec le lecteur avisé. JE me souviens par exemple avoir été choquée par "Unica", justement parce que je n'arrivais pas à savoir où l 'auteur plaçait ses limites et ses propres distances (le roman de soft SF, ou thriller, parlant de la pornographie enfantine) Et pour avoir rencontré Fontenaille, je sais qu'elle est loin d'avoir des goûts condamnables sur ce sujet, mais qu'elle cherchait délibérément à écrire un livre "polémique". Et pour moi, lecteur avisé, ça a raté (alors que ça a du très bien fonctionné pour d'autres)
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Acédie

Re: Faire un roman ambigu

Message par Acédie »

Pour vendre, ne pas être ambigu... ça aide. Beaucoup. Enormément.

Pour être lu, ça dépend par qui, d'autres l'ont dit.

En scénario, et de fait, au cinéma, l'uniformisation et la simplification sont encore plus flagrantes. Je n'ai pas vu Je suis une légende, mais l'adaptation/déformation ne m'étonne absolument pas, c'est on ne peut plus classique. On a moins de temps pour installer les choses, on a envie de moins de temps pour comprendre les choses, l'audience est encore plus massive que pour les livres, le spectateur est de plus en plus installé dans une position de passivité, et le spectaculaire l'emporte sur la réflexion.

:wamp:

Enfin bon. Je reste pessimiste sur toutes ces questions en ce moment, je ne m'exprimerai pas plus avant, mais le sujet est intéressant.

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Isaiah
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Re: Faire un roman ambigu

Message par Isaiah »

Celia a écrit :Pas d'accord. Le lectorat grand public ne change pas. C'est son accès au divertissement (plus étendu d'années en années) qui change. Plus le lectorat "grand public", apte à tout lire et tout voir au premier degré, s'étend, plus on a l'impression que les livres et les films sont tous lus et vus au premier degré. Ce n'est pas une question d'évolution du public vers plus de paresse et moins de distance, mais une question presque mathématique d'accès aux médias.
De plus cette caricature du grand public est ce qu'elle est : une caricature. Il ne faut pas prendre les gens pour plus abrutis qu'ils ne sont.
Oui, j'ai caricaturé ! C'est juste que la couverture médiatique obtenue par les gens moins intéressants est plus vaste, puisqu'elle brasse plus de sous. En réalité, je suis tout à fait d'accord avec toi. Mais je crois qu'hier, j'étais trop mou du bulbe pour m'exprimer de manière satisfaisante... :wamp:

Je ne fais pas du grand public une masse d'individus abrutis, même si c'est tentant, mais une masse abrutie d'individus. Combien de fois on vous a dit "oh, lui il est sympa mais alors, en groupe, c'est une plaie !" Non, vraiment, la dynamique de masse tue la profondeur. Essayez d'avoir une discussion littéraire ou philosophique sérieuse quand vous êtes 10 autour d'une table, ça part toujours en cacahuète. Toujours. Et le point Godwin approche très vite.

En tout cas, Daerel, la question du ciblage de ton lectorat se pose, plus que jamais !

@ Acédie : Le cas I am Legend est édifiant. Non seulement on détourne le sens de l'oeuvre originale, mais en modifiant complètement la moitié du roman. Matheson a dû se retourner dans sa tombe, et pas qu'une fois. En gros, ils n'on gardé que la situation de départ. Et encore. Le titre est là pour vendre. Ils auraient pu trouver un titre plus évocateur ; Will Smith le gentil docteur contre les méchants vampires, ç'aurait été tellement plus exact.

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Axolotl-a-besicles
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Re: Faire un roman ambigu

Message par Axolotl-a-besicles »

Personnellement, je crois qu'il ne faut pas sous-estimer la force décérébrante de la culture de masse.
J'ai lu récemment un excellent essai collectif intitulé "Divertir pour dominer" (écrit pas des intellectuels tendance anarchiste, faut-il le préciser ; eux ont une utopie à l'aune de laquelle mesurer les failles de notre société). Eh bien ça fait froid dans le dos, de voir rassemblés tous les aspects qu'on n'aime pas dans la société moderne, surtout quand des gens très intelligents vous démontrent par A+B que le principal effet de la culture de masse, cette "culture mainstream qui plaît à tout le monde", c'est surtout la manière la plus efficace (car "soft", elle est partout mais on ne la voit plus, les bons sentiments paraissent tellement inoffensifs !) de faire accepter les injustices du système capitaliste mondialisé dans lequel nous vivons...
Par conséquent, si on veut écrire quelque chose qui ait autant de poids que de sens, voire qui ait des prétentions artistiques (pas un simple "produit culturel" vite consommé), il ne faut pas s'attendre à vendre des milliers d'exemplaires. Sauf quand on s'appelle Tolkien bien sûr... Mais tout le monde ne peut pas donner à ses contemporains la part de rêve authentique qu'ils réclament, en se basant sur toute une tradition culturelle parfaitement comprise et assumée, discrètement infusée de valeurs chrétiennes (le pardon, la charité, l'Espérance) dans lesquelles tout l'Occident se reconnaît.

AXO qui réfléchit de plus en plus à ses vrais objectifs littéraires, et qui philosophe à ses heures perdues...
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Isaiah
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Re: Faire un roman ambigu

Message par Isaiah »

La culture de masse et le mot tendancieux sont fortement liés. Prenons par exemple la culture de masse. S'y oppose une culture "underground". Celle-ci s'est constituée en réaction à la culture de masse, et y est donc liée. Si la dite culture de masse disparaît, l'underground fera de même. Au fond, "l'underground" est un résidu insoluble de la culture de masse.

Pour le tendancieux, le problème, c'est que justement il a tendance à s'inclure à la culture de masse. S'il est trop subvertif il ne passe pas dans le "mainstream" mais est résidu insoluble. Je préfère donc éviter de parler en ces termes-là.

Pour moi, la fiction n'a pas de limites, elle est maîtresse d'elle-même et est autonome. Les opinions qui sont contenues dedans sont fictives, mais le lecteur peut s'appuyer sur une fiction pour réfléchir et apprendre - parce que oui, le lecteur de SFF apprend votre univers, chers écrivains ! De là, je me dis que toute fiction n'est pas bonne à prendre.

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Tristeplume
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Re: Faire un roman ambigu

Message par Tristeplume »

Yop,

Je ne vois pas trop le rapport entre la (soit-disante) culture de masse et le fait d'écrire un roman ambigu. Il est logique que des question délicates suscitent la controverse, le malaise. C'est bien le but qu'on souhaite en écrivant un tel roman, non ? L'auteur prend un risque, il est logique qu'il en subisse le contrecoup, non ?
D'ailleurs, je ne crois absolument pas que le grand public soit plus décérébré qu'avant (c'était quand avant ?). Bien au contraire, il est bien plus sensible à des questions de fond et ira chercher plus facilement la polémique dans une oeuvre. Pourquoi l'accuser d'être décérébré parce qu'il se tourne vers des oeuvres 100% divertissantes pour pallier l'omniprésence de l'information et des thématiques sensibles ?

Après, il est difficile de faire la part entre l'auteur et l'oeuvre. Ce n'est pas parce que mon héros est un gros beauf macho que je suis moi-même un gros beauf macho (quoique :mrgreen: ). Ce n'est pas parce qu'un auteur expose les justifications du recours à l'assassinat et au terrorisme (ce qui est très facile), que l'auteur milite pour ce type de contestation armée (peut-être, peut-être pas).

La figure du super-méchant qui a tout plein de bonnes raisons d'être super-méchant (enfance malheureuse, physique disgracieux, handicap qui le met à l'écart, pas de cadeaux à Noël et pas de Nutella à son 4 heures, etc.) est une base de réflexion très classique : circonstances atténuantes, qui est vraiment le monstre toussa, toussa.
La risque pris par l'auteur dépend de son adresse à présenter le thème et dans sa volonté d'y apporter une réponse, ou non.
Il y apporte une réponse claire et non-consensuelle (exemple classique : la loi du talion... combien de héros exercent une vengeance en dehors des clous législatifs ? Remember Dirty Harry ! (non, pas le Potter...)), il est logique qu'il soit accusé et vilipendé de justifier un point de vue choquant (du point de vue de la bienpensance).
Dans la plupart des cas, l'auteur prudent se contentera de laisser la réponse en suspens et à l'appréciation du lecteur (ce qui est assez honnête, après tout qui peut prétendre détenir LA vérité ?).

Enfin, il y aussi la manière de l'auteur d'amener ça. Sa capacité à amener le lecteur à adhérer à une thèse délicate (le sérial-killer "sympathique" par exemple). Son honnêteté vis-à-vis de la thématique aussi (le truc très classique "ok, le tueur est un monstre, mais le système est encore plus monstrueux que lui, donc..." qui peut parfois relever de la malhonnêteté et de la manipulation en ne présentant les persos intégrés dans le système que comme de grosses pourritures et en présentant que les côtés négatifs de ce système).

Enfin, il y a peut-être aussi l'auteur qui ne se rend pas forcément compte des interprétations qui peuvent être faites sur son oeuvre. Tolkien en est peut-être un bon exemple ?

Par ailleurs, la SFFF offre certaines libertés avec des contextes originaux dans lesquels les thématiques sensibles peuvent être abordées d'un oeil différent. Par exemple les races ou la "justice sauvage" (en fantasy, on ne se pose pas ou peu la question de la légitimité du héros à exercer sa justice). C'est un atout mais il n'en reste pas moins qu'il faut rester vigilant à la teneur du propos.

Donc en gros, je ne vois pas le souci qu'il y a à écrire un roman ambigu si ce n'est comme pour n'importe quoi, qu'il faut maîtriser son sujet, savoir en éviter les écueils et accepter les conséquences (ouais, j'assume de passer pour un gros beauf macho :wamp: ).
— Malach, avez-vous entendu ça ? Je suis, je cite, "drôle, tourmenté, incompris".
— Je ne vois pas en quoi c'est flatteur.
— Mon cher, cela veut dire que je plais aux femmes !
— Décidemment, je ne les comprendrai jamais.

anonymetrois

Re: Faire un roman ambigu

Message par anonymetrois »

Il est logique que des question délicates suscitent la controverse, le malaise. C'est bien le but qu'on souhaite en écrivant un tel roman, non ?
Ce n'est pas forcément le but, mais un moyen de susciter la réflexion, d'ouvrir des questions dérangeantes.

Ensuite, il se trouve aussi des artistes qui font de la provocation pour en tirer une exposition médiatique, qui souvent prétendent porter un message... et peut-être même pensent vraiment susciter la réflexion. La provocation est un outil de discussion infiniment délicat et difficile à manier. Par contre, comme outil d'autopromotion ou de refus de discussion, il suffit de le mettre entre les mains de n'importe quel chimpanzé glabre.
D'ailleurs, je ne crois absolument pas que le grand public soit plus décérébré qu'avant (c'était quand avant ?). Bien au contraire, il est bien plus sensible à des questions de fond et ira chercher plus facilement la polémique dans une œuvre. Pourquoi l'accuser d'être décérébré parce qu'il se tourne vers des oeuvres 100% divertissantes pour pallier l'omniprésence de l'information et des thématiques sensibles ?
Je pense l'exact contraire. Nous vivons une époque où les débats "sérieux", les questions graves, sont soigneusement mises dans un petit coin obscur. Liberté d'expression certes, mais dans un consensus lénifiant et forcé de divertissement omniprésent.

Quand on regarde d'autres périodes, il n'est pas difficile de voir beaucoup plus de conscience politique (pas forcément bien informée, d'ailleurs, mais très vive) et de convictions revendiquées. Ce qui, d'ailleurs, impliquait aussi davantage de conflits civils, de polémique, voire de violences. Il faut lire les articles écrits autour de l'affaire Dreyfus, par exemple, pour mesurer à quel point la presse actuelle est modérée et policée. La violence de tels échanges n'est pas forcément à regretter... mais ces échanges avaient lieu.
Par ailleurs, la SFFF offre certaines libertés avec des contextes originaux dans lesquels les thématiques sensibles peuvent être abordées d'un oeil différent. Par exemple les races ou la "justice sauvage" (en fantasy, on ne se pose pas ou peu la question de la légitimité du héros à exercer sa justice). C'est un atout mais il n'en reste pas moins qu'il faut rester vigilant à la teneur du propos.
C'est surtout le fait d'auteurs peu soucieux de crédibilité. Si un héros peut faire tout ce qu'il veut dans son univers, c'est qu'il est largement plus puissant que tous les autres réunis, donc le tyran de l'histoire, autrement dit la projection de l'auteur dans un rôle de Bruce Tout-Puissant. Mais bon, je ne crois pas qu'on puisse aborder une quelconque thématique sur ce genre de base.

Car c'est systématiquement le héros qui exerce la "justice sauvage", non ? S'il en est victime, ce n'est plus de la justice sauvage mais une infamie commise par des salauds, une raison pour le lecteur de s'indigner et de justifier la justice sauvage du héros ? Ou alors j'ai mal compris de quoi tu parles.

A la rigueur, j'aimais bien Elric et son "la justice n'existe pas, il faut l'inventer", qui plongeait dans l'amoralité complète sans hypocrisie. Sauf que dans Elric, il y avait des forces du bien clairement désignées (le Runestaff, la Balance), et de quel côté l'albino se retrouvait-il, forcément ?

Et puis, à côté de la fantasy à la Mad Max il existe de nombreuses œuvres de fantasy où le cadre social, légal, existe réellement et où les héros ne se permettent pas n'importe quoi.

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Tristeplume
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Re: Faire un roman ambigu

Message par Tristeplume »

Bélier a écrit :Je pense l'exact contraire. Nous vivons une époque où les débats "sérieux", les questions graves, sont soigneusement mises dans un petit coin obscur. Liberté d'expression certes, mais dans un consensus lénifiant et forcé de divertissement omniprésent.

Quand on regarde d'autres périodes, il n'est pas difficile de voir beaucoup plus de conscience politique (pas forcément bien informée, d'ailleurs, mais très vive) et de convictions revendiquées. Ce qui, d'ailleurs, impliquait aussi davantage de conflits civils, de polémique, voire de violences. Il faut lire les articles écrits autour de l'affaire Dreyfus, par exemple, pour mesurer à quel point la presse actuelle est modérée et policée. La violence de tels échanges n'est pas forcément à regretter... mais ces échanges avaient lieu.
Les réactions de nos jours sont bien plus policées à force de vouloir imposer le "respect de l'autre" comme vertu essentielle... qui en vient à limiter la liberté d'expression (cf le traitement des humoristes).
Après, je ne parlais de la presse ou des médias, je parlais du grand public. De vous, de moi, de nos amis, de nos collègues, etc. Je ne vois pas en quoi le succès de blockbusters signifie que le public est moins averti qu'auparavant.
Bélier a écrit : Car c'est systématiquement le héros qui exerce la "justice sauvage", non ? S'il en est victime, ce n'est plus de la justice sauvage mais une infamie commise par des salauds, une raison pour le lecteur de s'indigner et de justifier la justice sauvage du héros ? Ou alors j'ai mal compris de quoi tu parles.
Oui, oui, je parlais bien de ça.
Et puis, à côté de la fantasy à la Mad Max il existe de nombreuses œuvres de fantasy où le cadre social, légal, existe réellement et où les héros ne se permettent pas n'importe quoi.
Certainement mais il me semble bien plus facile de se débarasser de ce "respect de la loi" dans un cadre de fantasy, même "évoluée" (dans le sens "avec des lois") que dans du contemporain. Enfin, perso, il est clair que pour moi cela me poserait moins de problèmes de "moralité".
— Malach, avez-vous entendu ça ? Je suis, je cite, "drôle, tourmenté, incompris".
— Je ne vois pas en quoi c'est flatteur.
— Mon cher, cela veut dire que je plais aux femmes !
— Décidemment, je ne les comprendrai jamais.

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Re: Faire un roman ambigu

Message par Celia »

Tristeplume a écrit :
Et puis, à côté de la fantasy à la Mad Max il existe de nombreuses œuvres de fantasy où le cadre social, légal, existe réellement et où les héros ne se permettent pas n'importe quoi.
Certainement mais il me semble bien plus facile de se débarasser de ce "respect de la loi" dans un cadre de fantasy, même "évoluée" (dans le sens "avec des lois") que dans du contemporain. Enfin, perso, il est clair que pour moi cela me poserait moins de problèmes de "moralité".

Mais n'est-ce pas la "fantasy à la Mad Max" qui est la plus ambiguë ? :wamp:
Des films faits pour dénoncer l'individualisme, l'hyper violence, l'absence de lois, ont été accusés et/ou sont vus de nos jours (plus leur nom que ce qu'ils sont réellement d'ailleurs) de valoriser ce qu'il dénonce. Parce qu'il est très difficile pour l'auteur de ne pas "esthétiser" la violence, et, des fois, difficile pour le spectateur de ne pas être attiré par cette même violence. L'ambiguïté de telles oeuvres est à double tranchant du coup : Mad Max, Rambo, Rollerball, Starship Troopers, Robocop... Oeuvres individualistes et hyper violents ou films dénonciateurs ? La vérité est entre les deux et c'est pour ça qu'on utilise le terme d'ambiguité.
Parce que dénoncer la violence (je continue sur le thème) en montrant qu'il existe des lois, un "bon" comportement, c'est écrire une oeuvre qui risque (la plupart du temps) de devenir non pas ambiguë mais moralisatrice (morale si l'auteur est vraiment doué, mais... c'est rare)

Mais en fait, est-ce que je n'écris pas tout cela pour justifier le fait que je mets mes propres pulsions violentes dans mes écrits ? (alors que dans la vie je suis un vrai agneau...)
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Tristeplume
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Re: Faire un roman ambigu

Message par Tristeplume »

Celia a écrit : Mais n'est-ce pas la "fantasy à la Mad Max" qui est la plus ambiguë ? :wamp:
Des films faits pour dénoncer l'individualisme, l'hyper violence, l'absence de lois, ont été accusés et/ou sont vus de nos jours (plus leur nom que ce qu'ils sont réellement d'ailleurs) de valoriser ce qu'il dénonce. Parce qu'il est très difficile pour l'auteur de ne pas "esthétiser" la violence, et, des fois, difficile pour le spectateur de ne pas être attiré par cette même violence. L'ambiguïté de telles oeuvres est à double tranchant du coup : Mad Max, Rambo, Rollerball, Starship Troopers, Robocop... Oeuvres individualistes et hyper violents ou films dénonciateurs ? La vérité est entre les deux et c'est pour ça qu'on utilise le terme d'ambiguité.
L'ambiguité est souvent levée de part le contexte (guerre, post-apo). Dans un cadre barbare, les actes de barbarie sont banalisés puisqu'il n'y a quasiment pas d'autres alternatives. Ce n'est pas vraiment de l'ambiguité pour moi puisqu'il n'y a pas vraiment d'opposition entre deux points de vue.
Parce que dénoncer la violence (je continue sur le thème) en montrant qu'il existe des lois, un "bon" comportement, c'est écrire une oeuvre qui risque (la plupart du temps) de devenir non pas ambiguë mais moralisatrice (morale si l'auteur est vraiment doué, mais... c'est rare)
Tout dépend du positionnement de l'auteur, de sa prise de risque, de sa volonté de nourrir une polémique ou un point de vue dérangeant ou bien, comme tu le dis, d'affirmer sa foi en une morale. Il peut aussi laisser le public dans l'expectative et aboutir à ses propres conclusions.
Mais en fait, est-ce que je n'écris pas tout cela pour justifier le fait que je mets mes propres pulsions violentes dans mes écrits ? (alors que dans la vie je suis un vrai agneau...)
Je ne sais pas pour toi mais pour moi, quand Malach file direct un coup de boule à un fâcheux qui lui manque de respect, oui, c'est clair que c'est moi qui me défoule. :mrgreen:
— Malach, avez-vous entendu ça ? Je suis, je cite, "drôle, tourmenté, incompris".
— Je ne vois pas en quoi c'est flatteur.
— Mon cher, cela veut dire que je plais aux femmes !
— Décidemment, je ne les comprendrai jamais.

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