La génétique des textes

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Guy Le Heaume
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La génétique des textes

Message par Guy Le Heaume »

Bonjour à tous !

Je ne crois pas en avoir vu une quelconque mention sur ce forum et pourtant, ce champ d'étude me paraît très intéressant pour les grenouilles. En effet le travail grenouillesque s'articule autour de l'avant-texte, de la rédaction et des corrections induites par les différentes visions sur un même texte. La génétique des textes s'intéresse à la création du texte avant sa publication. Il existe plusieurs ouvrages présentant cette matière que j'ai découverte par un séminaire de M. P.-M. de Biasi.
La génétique des textes, qu'est-ce que c'est ? Je laisse répondre le site Fabula.
fabula a écrit :La génétique des textes est donc définie à la fois comme une entreprise descriptive et une discipline herméneutique : " l'interprétation de l'oeuvre pensée comme processus à la lumière de ses brouillons ou de ses documents préparatoires ".
J'avais proposé de partager mes notes du séminaire mais on peut trouver des articles de M. de Biasi qui expliqueront beaucoup mieux que moi la génétique des textes.

Un article sur l'avant texte
La notion d'avant‑texte

Le texte d'une oeuvre publiée est, à de très rares exceptions près, le résultat d'une construction progressive, de diverses campagnes de corrections dont on découvre les traces en étudiant l'ensemble plus ou moins développé des documents de rédaction, ce que l'usage courant appelle « les manuscrits de l'œuvre ». Ils peuvent comprendre, outre une éventuelle documentation réunie par l'auteur (notes de lecture ou de voyage, recherches, enquêtes sur le terrain, dossier iconographique, etc.) des plans, des scénarios, des ébauches, un dossier de brouillons, des mises au net corrigées, un manuscrit définitif, un manuscrit de copiste effectué pour l'imprimeur, des corrections sur épreuves. C'est l'analyse de tous ces documents qui permet l'investigation génétique dont le but consiste à interroger et à comprendre les textes à partir de leur fabrication, en les envisageant non plus dans leur forme close et achevée, mais dans cet espace natif où le projet de l'oeuvre se trouvait encore traversé par une multiplicité d'autres possibles. Il ne s'agit plus, comme dans la traditionnelle « critique des sources » de retrouver dans quelques autographes les différents emprunts dont l'oeuvre pourrait être tributaire, mais d'étudier systématiquement la totalité des phénomènes repérables dans les manuscrits de l'oeuvre en vue d'élucider son processus de conception et la logique des opérations qui ont progressivement conduit au texte définitif. Bref, il s'agit de reconstituer une dynamique concrète et spécifique qui fut celle de l'écriture du texte, en suivant d'aussi près que possible chaque étape de son développement, du tout premier jet (par exemple l'embryon d'un plan initial) jusqu'aux dernières corrections de détail sur le manuscrit fourni à l'imprimeur. Mais avant de pouvoir reconstruire une image cohérente de ce processus de création qui met en jeu un nombre considérable de variables, le chercheur en génétique textuelle doit faire subir à l'ensemble des manuscrits de l'oeuvre un traitement philologique très précis qui repose sur une série de cinq opérations : établir le dossier des manuscrits (rassembler les pièces autographes en constituant un dossier aussi aussi complet que possible), vérifier l'authenticité des documents et les identifier, spécifier les pièces par types, dater et classer chaque folio, puis déchiffrer et transcrire l'ensemble des documents connus. Ce traitement philologique peut être fort long, en raison de la complexité des écritures et du volume très important des dossiers : un roman dont le texte publié compte cinq‑cent pages peut assez facilement, chez des auteurs comme Balzac ou Flaubert, avoir exigé trois à quatre mille grandes pages de manuscrits de travail. C'est au prix de cette longue analyse qu'il devient possible, dans une seconde étape, de faire passer l'ensemble du dossier du statut indifférencié de « manuscrits de l'œuvre » au statut scientifique et interprétable d' avant‑texte. Car un « avant‑texte" n'existe nulle part hors du geste théorique qui le constitue : c'est le dossier de rédaction rendu intégralement lisible et reconstruit comme un système cohérent de transformations successives. Même l'auteur n'a sans doute jamais disposé, pendant sa rédaction, de la connaissance d'un tel objet, rendu lisible en chacun de ses composants, et redéployé, phase par phase, selon l'ordre chronologique de son développement.
Les recherches en génétique textuelle se sont consacrées à ce type d'exploration verticale qui consiste à suivre dans les dossiers d'un écrivain l'évolution intégrale d'un projet et les transformations qu'il subit à chacune des quatre grandes phases de sa réalisation : la phase pré‑rédactionnelle, où l'idée de l'oeuvre s'esquisse sous forme de plan schématique, de notes , de scénarios ; la phase rédactionnelle où le projet se développe puis se textualise à travers une masse généralement importante d'ébauches, de brouillons, de dossiers documentaires, de plans intermédiaires, de mises au net corrigées ; la phase pré‑éditoriale, où l'avant‑texte s'achemine résolument vers sa transformation prochaine en texte, à travers d'abord un manuscrit définitif, puis des « corrections d'épreuves » qui préparent l'édition imprimée ; enfin, la phase éditoriale, où l'avant‑texte accède au statut de texte proprement dit : c'est le moment de la « première édition » qui pourra encore être suivie de plusieurs métamorphoses génétiques puisque l' écrivain reste en mesure de faire varier son texte à chaque nouvelle réédition (on parlera alors de "variantes d'édition") jusqu'à cette « dernière édition du vivant de l'auteur » qui marque la limite de la zone d'investigation propre à la critique génétique.

Suivre toute cette évolution de l'avant‑texte, éditer les documents autographes et les interpréter dans des études de genèse, est un objectif de vaste amplitude qui ne peut se matérialiser sous la forme d'un livre que pour des oeuvres courtes ou pour des fragments significatifs de textes. Lorsqu'elles portent sur des oeuvres de grande dimension , les recherches en génétiques textuelle doivent renoncer à la publication traditionnelle et se doter de supports informatiques pour enregistrer, traiter et éditer un matériau avant‑textuel qui dépasse largement les capacités physiques du livre imprimé. Il s'agit alors de travaux qui s'adressent surtout aux spécialistes .Mais cette recherche fondamentale n'est pas dénuée retombées d' applications nombreuses, notamment dans l ' édition des oeuvres littéraires : vérifiés sur les manuscrits autographes, les textes ont pu être débarrassés des fautes (parfois considérables) qui étaient jusque là reconduites de réédition en réédition ; des éditions à grand tirages font appel aux spécialistes de l'étude de genèse pour fournir au public un appareil de notes et une nouvelle lecture centrée sur l'avant‑texte de l'oeuvre ; les critiques utilisent de plus en plus fréquemment les résultats de l'analyse des manuscrits pour vérifier (confirmer ou infirmer) les hypothèses interprétatives qu'ils formulent au sujet du texte. Enfin, si l'édition d'évolutions génétiques complètes restent une exception, d'autres formules de publication des avant‑textes semblent promises à un assez bel avenir. Une coupe horizontale dans les manuscrits de l'écrivain permet parfois de mettre en évidence , à l'échelle de son oeuvre entier, une technique de travail , une démarche , un instrument de création qui fournissent des éclaircissements inattendus sur son projet esthétique et l'ensemble de ses textes : c'est la raison du succès public qu'ont pu connaître récemment les éditions des Carnets de travail de Flaubert, de Zola, de Paul Valéry,etc. L'avant‑texte n'est pas seulement un nouvel objet critique, c'est aussi un nouveau regard sur la création, un point de vue intérieur et dynamique où se retrouve un type d'interrogation propre à la culture de notre temps : non plus seulement les questions du sens ou de la forme, mais les problèmes du processus, de l'invention, de la technique, du secret de fabrication. Les premiers travaux de critique génétique laissent entrevoir de profonds renouvellements à venir dans la connaissance des oeuvres et dans les réponses qui pourront être apportées à la question fondamentale : « qu'est‑ce qu'écrire ? »


Tout ceci m'amène donc à vous citer, en partie, un article du même auteur sur la question suivante : Qu'est-ce qu'un brouillon ?
Bref, le brouillon permet d’observer à l’état naissant les parcours, les stratégies et les métamorphoses d’une écriture qui, le plus souvent, travaille précisément à rendre ses mécanismes irrepérables, secrets ou problématiques dans la forme achevée du texte définitif. Le brouillon offre à la critique un champ essentiel de validation des interprétations que le texte laisse souvent à l'état d’hypothèses, et parfois même à l’état de simples conjectures.
Si le brouillon représente un document essentiel pour comprendre l'œuvre à la lumière du processus global dont elle est l’effet, il ne constitue qu’un moment de ce processus : un moment central, qui en fait le cœur même de la genèse, mais un moment intermédiaire et provisoire, pris entre deux autres univers. Entre d’éventuels plans, notes et scénarios initiaux (qui permettent d’étudier l’apparition ou la formation initiale du projet) et les dernières mises au point d’un texte quasiment prêt à être imprimé, les brouillons représentent l’univers même de la rédaction : le moment où le projet passe de l’état labile de désir, d’idée ou de schéma éventuel à l’état de matière verbale structurée et textualisée en s’engageant dans une succession de transformations qui conduisent, de manière plus ou moins imprévisible, à ce qui deviendra le texte définitif de l’œuvre. Ce sont les modalités, la logique et les limites de cette série de mutations que je voudrais préciser ici d’un point de vue typologique, en montrant comment cette étape rédactionnelle, tout en possédant son identité et sa cohérence, est loin de constituer une transition simple dans le processus de genèse mais constitue, au contraire, une médiation complexe mettant en œuvre des fonctions opératoires solidaires mais profondément distinctes.
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Re: La génétique des textes

Message par Iluinar »

Si, un jour, quelqu'un se penche sur mon "œuvre" pour en étudier la génétique, il ne va pas trouve grand-chose. Avec l'informatique, je ne laisse aucune version précédente derrière moi. Tout est irrémédiablement effacé. ^^

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Macada
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Re: La génétique des textes

Message par Macada »

:merci: Guy !
Il y a un site quelque part sur Flaubert ou Balzac, il me semble, qui met en ligne les scans d'originaux de plusieurs versions d'un roman complet. Mais je n'arrive pas à le retrouver.
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Re: La génétique des textes

Message par Aelys »

Oui, j'avais eu une intervention d'un membre du projet au sujet des brouillons de Flaubert, c'était vachement bien :wow:
Mes derniers bébés : I.R.L., éditions Gulf Stream et Quelques pas de plus, éditions Scrineo
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Guy Le Heaume
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Re: La génétique des textes

Message par Guy Le Heaume »

J'ai quelques photocopies des brouillons de Flaubert. Je pourrai les mettre en ligne ou vous les envoyer!
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Niniane
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Re: La génétique des textes

Message par Niniane »

Les brouillons de Flaubert et autre, on peut les trouver sur le projet Gallica, qui dépend de la BNF (si je me souviens bien). Ils ont numérisé pas mal de manuscrits, et on a accès aux images.

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