[A] Le phrasé et la rythmique des phrases

[Lachésis]

Bonsoir,

une question me taraude depuis un moment: avez-vous des astuces pour avoir de "belles" phrases ? En me relisant au premier jet, j'ai souvent des phrases moches que je ne trouve pas "montrables", c'est même ma principale difficulté. Après quelques relectures j'arrive en général à avoir un ensemble qui tourne à peu près bien maintenant, mais ça continue à me faire grincer des dents. Je suppose que c'est l'équivalent d'apprendre à ne pas être maladroit au crayon en matière de dessins.

Je n'ai pas d'idée de règles sur le sujet. Parfois ce sont des phrases sujets/verbes/compléments qui me paraissent trop simples, d'autres fois c'est l'inverse. Dans ces cas là il est évident quelque chose "sonne" faux, et qui peut toujours se corriger (et plus l'expérience vient, moins on y gaspille son énergie je présume) mais ce sujet me travaille particulièrement.

Donc y a-t-il des trucs et astuces reconnus en la matière ou des théories autours de ce phénomène ?

[illiane]

Malheureusement, je crois qu'il n'y a pas de solution... Ou en tout cas je n'en connais pas... Quand je suis confrontée au problème j'essaie d'avancer et quand je repasse sur la phrase (plus tard, pour une V2 par exemple), je trouve en général facilement ce qui ne va pas et je le corrige... Mais des fois ça me bloque complètement dans mon écriture. Dans ce cas, j'arrête un peu et je reprends le projet un peu plus tard...

[Lachésis]

Pareil. Je compare vraiment ça à un brouillon en dessin (je suis une quiche en dessin cela dit, mais je pense tout de même que la métaphore reste juste). Au premier jet, j'essaie de ne pas me relire, au second (après m'être cognée la tête contre le mur si le coeur m'en dit), je corrige une première fois, toujours suivie d'une deuxième, d'une troisième... Et généralement, à ce moment là j'arrive à un truc "potable". Mais la première relecture, toujours...

[Siana]

Pour moi, c'est plus la preuve d'un style qui évolue qu'un véritable problème.
A force d'écrire, on se forge un style, et celui-ci évolue tout le temps. En remarquant qu'on écrit des horreurs, ça nous permet de nous corriger, d'écrire "mieux".
Le seule conseil que je puisse te donner est de réécrire, mais pas phrase après phrase. Je pense qu'il vaut mieux se contenter d'écrire le premier jet, sans corrections. De toute façon, un premier jet est rarement publiable. La réécriture me semble être une phase obligatoire à partir du moment où l'on est un jeune auteur sur l'un de ses premiers manuscrits (j'en ai d'ailleurs fait les frais). Et il est vrai qu'une pause aide beaucoup à mieux voir les problèmes dans un manuscrit. Une technique peut être de travailler sur un autre projet en attendant que le premier repose, puis de reprendre le premier pendant que le second repose, ça permet de se changer les idées et de continuer à faire évoluer son style avant la correction.

[Booz]

Mon seul conseil : lis, relis et rerelis des poèmes (classiques de préférence pour bien intégrer le rythme des vers). Je pense qu'il faut avoir un peu d'oreille ou une certaine habitude mais, à force d'en lire, on fini par repérer les rythmes classiques très rapidement/

Par contre, attention à l'effet inverse : mon amour de la poésie me joue parfois des tours et, à l'inverse de toi, j'ai tendance à faire des phrases trop rythmées et à la jolie tournure mais sur tout un paragraphe (voir plus) du coup, ça devient très très lourd (et j'ai beaucoup de mal à retravailler mon style pour le rendre plus punchy, une vraie plaie -_-').

Je pense aussi que les 'belles' phrases ne sont pas à chercher à tout prix sinon, ça risque de se voir (et, personnellement, je ne déteste rien de plus que de lire un texte et de voir le travail de l'auteur derrière).

[∆Vz]

Je plussoie Illiane et Siana. Pas de formule idéale, juste l'habitude et l'expérience. La méthode de Siana (passer à un autre texte avant de relire le premier) est un bon truc. Ceci dit, même sans recul, tu peux t'apercevoir de beaucoup de problèmes de rythme rien qu'en te relisant à haute voix.

[Celia]

Je remarque plusieurs choses dans mon écriture.
Déjà je lis beaucoup. Et ce que je lis m'influence. Par exemple, je vais faire plus d'essais et d'exploration de style quand je lis des auteurs "ardus" (Damiaso, MacCarthy, voire même GRR Martin ou des auteurs steampunk que j'ai énormément lu ado) Par contre j'ai plus de facilité d'écrire de façon plus direct quand je lis des page turner ou des auteurs plus direct (là aussi ça part de Stephen King que je lisais ado, mais aussi le YA ou la bitt-lit que je lis maintenent)
Donc lire, lire, et lire.
Et au moment de mes corrections, quand je relis un passage qui coince, je... le lis à voix haute. Passer à l'oralité permet quelque fois de vois où ça cloche et même de trouver des solutions

[Siana]

Ne pas oublier aussi que le rythme passe aussi beaucoup par la ponctuation, qui peut souvent être mal placée ou manquante, ce qui crée généralement des phrases bancales.

[Iluinar]

Je crois que té métaphore du dessin est assez juste. Et comme solution, je n'en vois qu'une : écrire, écrire et encore écrire. Mais tu verras, le style s'améliore assez vite. Quand je relis ce que j'écrivais il y a quelques années, j'ai peur !

[Beorn]

Je suis d'accord avec tout ce qui vient d'être dit : lire, écrire, faire confiance à son sens de la musicalité (j'ai entendu à la radio un auteur qui disait que pour écrire, il fallait avoir l'oreille musicale, je ne sais pas si c'est vrai...).

Pour donner quelques astuces techniques, je dirais de faire attention à des trucs, qui ne sont pas du tout des règles, mais des choses à regarder, à avoir en tête. Je conseillerais de ne pas juxtaposer plusieurs phrases :
-de même longueur,
-de même construction grammaticale,
-ou de même sujet.
Eviter aussi les répétitions trop voyantes.
Souvent, un problème de rythme, c'est une monotonie du rythme.

Bien sûr, ce ne sont pas ces "trucs" qui permettront d'écrire à coup sûr de belles phrases... Mais déjà, cela peut régler quelques problèmes à l'occasion.

[Mariedelabas]

Je plussois la méthode de la lecture à voix haute. Elle permet de repérer ce qui ne sonne pas bien : si je bafouille en me relisant, c'est que ma phrase est à revoir...
Je me rappelle avoir lu un article de Jean-Claude Dunyach à ce sujet qui expliquait quelques trucs : mettre de la musique rythmée lorsqu'on écrit (j'ai essayé et je suis en effet influencée par l'ambiance de la musique que j'écoute), lire à haute voix en tapant le rythme du doigt sur le bord de la table, je crois qu'il disait aussi parfois enregistrer des samplers spéciaux de percussion seule pour influencer son écriture. Et il citait Michel Jeury : "le bon rythme, c'est le galop d'un cheval dans une cour pavée". J'adore cette phrase.

[Tsumire]

Je suis d'accord avec les trois règles de base : lire, écrire et persévérer. Je suis également d'accord sur l'importance de la musicalité des phrases. Je me relis très rarement à haute voix mais les mots - ou du moins les syllabes - sont des sons que mon esprit écoute instinctivement lorsque je lis ou j'écris. Plus qu'une question de rime, c'est une question de phrasé - et la même notion existe en musique.

[Macada]

Pareil pour moi : adepte de la lecture, de la poésie (pour le rythme - aussi bien classique que hors-classique ou venant d'autres cultures poétiques (japonaise par ex)) et de la pratique et encore la pratique.
Pour travailler le style plus vite, je me suis pas mal amusé à une époque (et je devrais continuer mais je n'ai guère le temps) à écrire des textes courts avec consigne de style.
Par exemple :
- écrire une histoire où la structure de phrase ne dépasse pas le sujet-verbe-complément (ça c'était pour lutter contre ma tendance à faire des phrases de 10 lignes)
- écrire une histoire où chaque phrase à un nombre de syllabes multiple de 4 (4, 8, 12) : pour "sentir" les rythmes classiques
et à l'inverse :
- écrire une histoire où chaque phrase à un nombre impair de syllabes : pour ne plus tomber dans la "déclamation chantonnante" d'alexandrins non voulus
- écrire à une histoire "à la manière de" (j'ai testé Steinbeck, Damasio, Hugo)

[Lachésis]

Merci pour tout ces conseils. Je n'avais pas du tout pensé à compter les syllabes (pour moi c'était une notion totalement décorrélée de la prose) mais je testerais ce soir.

[Milora]

Je suis d'accord avec ce qui a été dit, en particulier Siana, Booz et Beorn.


Ceci dit je distingue deux choses dans ce que tu demandes : des phrases "jolies" ? Ou des phrases "qui vont bien ?".

Par ce que dans les phrases jolies, comme dit Booz, d'une ça dépend du ton du texte, et de deux s'il y en a trop, ça peut vite alourdir. Ce serait le genre de phrases sur lesquelles le lecteur s'arrête en se disant : "tiens, c'est joli, ça".

Mais dans des phrases qui se lisent facilement, qui sonnent bien à l'oreille, qui s'intègrent parfaitement dans un texte, qui ne sonnent pas maladroites ou répétitives (comme dit Beorn, la monotonie du rythme, c'est un gros effet d'essoufflement du texte) : dans ces phrases-là aussi, la rythmique rentre beaucoup en jeu, même si le lecteur n'est pas censé s'en apercevoir. Et pour celles-là, en plus de ce qui a été dit, je dirais qu'il faut garder une chose en tête en écrivant/corrigeant : les phrases ne sont pas là uniquement pour transmettre de l'information, elles sont là pour transmettre des impressions au lecteur. C'est sur ces impressions-là qu'il faut travailler (en observant comment tel rythme, tel vocabulaire, telle longueur, te transmettent, à toi, des impressions). Le sens, normalement, c'est l'idée principale que tu as voulue transmettre en écrivant ta phrase. Donc - sauf si tu pars (artificiellement ?) dans des phrases trop poétiques - il sera toujours là. Ce qu'il faut travailler, c'est la façon non de l'exprimer, mais de le faire ressentir au lecteur...

Je sais pas si je suis très claire dans ce que j'essaye de dire - mais en même temps je dois être en train d'enfoncer une porte ouverte, donc c'est pas très important...