Depuis qu'on m'a exposé l'idéal prôné par la règle des 6, je n'ai cessé de me demander comment apporter cette règle cinématographique au monde littéraire. Un peu comme un retour aux sources si vous voulez. Mais avant tout la règle des 6 qu'est-ce que c'est ?
- C'est une proposition/hypothèse qu'écrit Walter Murch (Monteur d'Apocalypse Now) dans In the Blink of an Eye (2001), visant à expliquer comment utiliser l'édition pour construire une histoire cinématographique. Selon lui on choisit les décisions lors d'un montage en nous basant sur 6 critères, rangés par ordre d'importance.
1.Émotion
51%
51%
Cette catégorie porte assez mal son nom, car elle désigne la nécessité d'un personnage/objet/univers à effecteur des actions en accord avec son arc de développement.
Par ailleurs on a tendance à la confondre avec le terme "épique", alors qu'ils n'ont rien à voir, une situation peut émouvoir le lecteur sans être grandiloquente. Ainsi si l'on veut décrire la fin d'une civilisation, l'écroulement d'un building ou la carbonisation d'une tartine, il est préférable d'inclure un personnage qui réagira à celle-ci (généralement introduit avant la catastrophe ou d'une façon qui ne suggérerait pas qu'elle est eût lieu), afin que le lecteur puisse s'identifier à lui (à noter que l'avis des lecteurs peut être négatif ou positif).
Si l'on omet le son et les bruitages, qui désormais doivent être décrits et pas retranscris par onomatopée, le support n'affecte en rien ce passage.
Exemple ;
Cette phrase peut paraitre anodine, mais dans un contexte où quand il fait nuit des créatures (pas encore introduites) se mettent en chasse contre le protagoniste (déjà introduit), on ressent une émotion.Le ciel s'assombrissait et la température fraichissait. (Citation de "Je suis une légende")
2.Histoire
23%
23%
Nous pouvons observer deux cas de figure
- Si la phrase/segment/chapitre contient un élément qui fasse avancer l'histoire/le lore/l'univers/la psychologie
Dans ce cas l'information ne pourra être enlevée que si elle ne provoque aucune émotion aux personnages ou rend l'univers incohérent, en se contredisant. - Si la phrase/segment/chapitre ne contient aucun élément qui fasse avancer l'histoire/le lore/l'univers/la psychologie
Dans ce cas l'information ne pourra être gardée que si elle provoque une réaction émotive à un personnage
Dans un film il y aura toujours plus de caractéristiques visuelles décrites que dans un livre, et donc moins de place pour l'imagination
Exemple personnel ;
Vous pouvez entrer dans un bar et dire
3.Rythme
10%
10%
Dernier des trois éléments majeurs, le rythme marque la lisibilité d'une œuvre. Tant que l'on comprend et que l'on s'attache à ce qui se passe et pourquoi ça se passe, tout le reste peut-être aussi fouillis que possible, on devrait pouvoir apprécier une œuvre.
Il est important de calibrer les éléments pour qu'ils interviennent au moment opportun, évitant ainsi les ventres mous (pas assez d'action) ou les percussions à bout de souffle (trop d'action). C'est ce que l'on entend par "progression dramatique".
Par ailleurs si une action/révélation doit arriver, il serait préférable qu'elle n'arrive pas trop vite ou trop tard. Et, si elle arrive tard, il vaudrait mieux qu'elle soit impressionnante (ou minimes) pour de marquer l'audience. Finalement, toutes répétitions sont aussi à éviter.
Dans la littérature afin de rendre compréhensible l'émotion et l'histoire, il est préférable de s'abstenir de tournures de phrases trop fournies en adverbes/adjectifs/COI/figures de style.
Bref, j'ai un exemple, mais le trouvant un peu violent, je le passe en spoil;
Spoiler:
montrer
4.Mouvements des yeux ou tracé de l'œil
7%
7%
Au cinéma il est utilisé afin de mettre en valeur les éléments importants (comme le fusil de tchcov), à rendre une transition entre deux coupes plus fluides et à détourner le regard d'un faux raccord (élément disparaissant ou se répétant entre deux prises différentes) o d'un Deus ExMachina (élément indépendant qui vient sauver les protagonistes d'un conflit qu'ils ne pourraient résoudre).
Probablement la chose la plus difficile à adapter.
Personnellement, je pense que le tracé de l'œil sur le photogramme du film, bien que différant selon notre style d'écriture, reste une question d'attention. Essayons d'attaquer chaque camp séparément ;
- Les éléments importants seront définis de manière plus claire et précises, grâce à leurs interactions avec le personnage.
- Les transitions devraient maintenir un fil rouge afin de lier tous les paragraphes de toute l'histoire.
- Ici les faux raccords pourrait être une mini incohérence, comme une répétition de terme indispensable pour la compréhension. Quant au Deus ExMachina l'astuce consisterait à donner une résolution plus grandiloquente que le conflit originel (le lectorat le remarquera qu'une fois la lecture terminée)
5.Raccord
5%
5%
Beaucoup de monteurs coupent entre deux plans une fois que l'action de chaque plan est terminé, par exemple, une porte qui se ferme. Malheureusement, cela créait un manque de rythme ou ventre mou. Cela se voit aussi quand l'histoire attend la résolution d'histoires secondaires/tiers pour avancer.
Ainsi nous pourrions nous pencher sur les cas des chutes/blessures des personnages tiers qui ont tendance à avoir un début, un entre deux et une fin.
Alors qu'un seul de ses éléments est suffisant, sauf si la protagoniste observe toute la scène avec attention.
Exemple personnel ;
La main d'Astérix gifla le Romain qui fut propulsé en l'air, traversa les nuages et retomba en pleine mer.
- La main d'Astérix gifla le Romain qui fut propulsé en l'air.
- La main d'Astérix gifla le Romain qui traversa les nuages
- La main d'Astérix gifla le Romain qui retomba en pleine mer.
6.Situer l'espace
4%
Au cinéma la règle des 180 º est censé empêcher le spectateur de se perdre dans l'espace. Cependant, il est commun qu'elle ne soit brisée volontairement à un moment précis du film, à cause des points cités au-dessus.4%
En littérature, ce qui s'en rapprocherait le plus serait le changement de point de vue du narrateur (le narrateur connait quelque chose qu'il n'est pas supposé connaitre, si durant toute l'œuvre il a été extérieur, il serait étrange qu'il devine les pensés de quelqu'un) ou le fait de briser le 4ᵉ mur (le narrateur s'adresse directement au lecteur, qui du coup comprend qu'il est dans une fiction). Évidemment ses erreurs ne sont des fautes que si l'auteur ne les prend pas en compte.
Par exemple;
Ici le narrateur sera toujours ce gosse, ainsi jamais on aura un point de vue extérieur à lui. Et le fait qu'il casse volontairement le 4ᵉ mur caractérise le personnage.Là où je veux commencer c'est à mon dernier jour avant de quitter Pencey Prep. (L'attrape-cœur)
Voilà je répète que je ne cherche nullement à faire un guide ou à faire étalage des normes de la littérature. Je me demandais simplement si la théorie était applicable dans les deux cas ?
Il est intéressant à noter que Mary Jo Markey (monteuse de Starwars VII) et Thelma Schoonmaker (monteuse de la grande majorité des films de Scorsese, tels que les Infiltrés / The Departed ) confirment cette théorie.