Ces derniers temps, j'ai cogité sur les différentes façons qu'on trouve dans la littérature de traiter la mise en place du conflit et, au besoin, de faire patienter le lecteur. J'ai remarqué qu'il y a pas mal de méthodes différentes, au final. Voici celles que j'ai trouvées.
1. Forme la plus classique : la rupture d'équilibre qui intervient après une rapide présentation du cadre
En quelques pages, on décrit la vie paisible du personnage principal avant, par exemple, de lui faire vicieusement tomber un piano sur la tête. Simple et éprouvé (la structure du récit, hein, pas le coup du piano).
Le contexte doit donc être court. On ne garde que les morceaux pertinents du cadre global, on résume si besoin, quitte à développer certains aspects plus tard. Par exemple, dans le seigneur des anneaux (en omettant le prologue et sa tournure documentaire), la rupture est le moment où Gandalf annonce à Frodon qu'en héritant de l'anneau, il a aussi récupéré quelques complications (oui, oh, trois fois rien). La vie de la Comté continue cependant à être développée et détaillée après cet événement.
2. Annoncer la couleur dans le prologue
L'idée est d'utiliser le prologue pour laisser entrevoir au lecteur le conflit qui attend les personnages principaux.
On peut par exemple mettre en scène l'opposition en train d'ourdir ses petites manigances. C'est le cas dans Mission Basilic (premier volume du space opera de David Weber) où la République du Havre discute de ses plans pour annexer une colonie de Manticore. Après le prologue, on suit simplement les déboires de carrière de l'héroïne, une militaire manticorienne. On se doute qu'elle va se retrouver prise dans les engrenages de l'ennemi, donc on connait le nœud de l'intrigue même s'il n'est matérialisé que plus tard.
Autre possibilité, donner des informations historiques en tant que narrateur, par exemple sous la forme d'une légende. Dans la Belgariade, le premier volume commence par l'enfance du héros. Autant dire que pendant quelques chapitres, il ne se passe pas grand-chose d'épique. Mais en prologue, l'auteur narre une légende sur la guerre des dieux, et on trouve plusieurs échos à cette légende dans les petits incidents qui émaillent la jeune vie du héros. C'est suffisant pour éveiller la curiosité du lecteur et lui donner une petite idée de la suite.
3. Commencer directement en situation de conflit
Ici, l'auteur met directement en scène ses personnages dans une situation difficile et expliquera plus tard comment ils en sont arrivé là.
A vrai dire, je n'ai pas beaucoup d'exemple de ce genre de structure, en littérature. Le seul bouquin qui me vient à l'esprit est la Horde du Contrevent, de Damasio. Ce roman commence par un passage très difficile pour les personnages : survivre à un furvent (un vent extrêmement violent). Ce n'est qu'après cet événement (assez long) qu'on apprend qui ils sont, quel est leur but et dans quel monde ils vivent. Et encore, on l'apprend petit à petit, tandis qu'ils continuent leur aventure.
Une façon très dynamique de commencer une histoire, mais qui risque peut-être de dérouter plus d'un lecteur, non ?
4. Le format saga
Dans la saga, il n'y a pas vraiment de problème principal. Sur une longue période de temps, on suit des personnages et la façon dont leurs actes influent l'histoire de la communauté/du pays/du monde où ils vivent.
Ce peut être simplement annoncé par le titre (ex : la légende de Gösta Berling, de Selma Lagerlof, en littérature blanche) ; mais j'ai trouvé un exemple où l'auteur annonce la couleur de façon très ingénieuse (amha). Il s'agit de la saga du sorceleur, d'Andrzej Sapkowski. Au tout début du premier volume, il met en scène un barde qui chante des histoires basées sur les personnages principaux du roman. Ses spectateurs connaissent ces personnages, les commentent, et le lecteur comprend vite que ces figures célèbres ont marqués leur temps. Il sait désormais que l'intérêt du livre est de savoir quels rôles ont joués les héros dans l'histoire de ce monde inventé.
5. L'insolite
Ici, l'idée est de maintenir l'intérêt du lecteur par un cadre insolite, des péripéties mineures mais amusantes ou étonnantes, avant une introduction tardive du problème principal.
Dans Mortimer, Pratchett n'expose ce fameux problème qu'au tiers du roman. Mais le lecteur n'a pas eu le temps de s'ennuyer avant ça : la Mort qui se choisit un apprenti, ça n'arrive quand même pas tous les jours.
A mon avis, c'est une structure difficile à réussir.
6. Tromper le lecteur sur le problème principal
Ici, l'auteur fait croire pendant la majorité du récit que les personnages doivent résoudre un problème A. Vers la fin, retournement de situation, il s'agissait en fait d'un problème B.
On trouve facilement des exemples de ce genre dans les œuvres de Philippe K. Dick. Prenons Ubik : à la suite d'un accident, les employés d'une boite en difficulté doivent gérer la mort de leur patron (en gros). Sauf que...
S'il y a des courageux qui ont lu ou survolé tout ça, qu'en pensez-vous ? Est-ce que je me trompe sur certains points ? Est-ce que vous avez d'autres exemples de structure ? Ou des exemples de bouquins qui correspondent aux structures que j'ai identifiées ? Des exceptions ?