En revanche, je trouve que le propos, en effet, caricature complètement la notion de conflit dans "nos" histoires pour présenter le Kishôtenketsu comme quelque chose de radicalement différent et casser du sucre sur la vilaine hégémonie occidentale blabla.
ça m'agace un peu, j'y vois plus de l'idéologie que de l'argumentation objective.
Le "conflit" est ramené à la "violence", ce qui est un contresens total de la notion de conflit.Même si le quatrième acte unifie le travail, il n’a pas besoin de se baser sur un troisième acte violent.
Il y a énormément d'histoires sans la moindre violence, pourtant basées sur la notion de conflit (toutes les histoires d'amour, pour commencer)
Il y a aussi énormément d'histoires "venues d'Asies" très violentes, je ne vais pas faire la liste, mais elle serait longue. Je pense que la violence est une très mauvaise clef de comparaison.
Le conflit, ce n'est pas le bien et le mal, ce n'est pas un camp contre un autre, ni un champ de bataille, ce n'est même pas un adversaire contre un autre adversaire. Le conflit, c'est la tension entre un but à atteindre et des obstacles sur la route. Je pense que c'est effectivement une façon occidentale de voir les choses.
Nous pensons que les situations peuvent évoluer, que l'homme a un ascendant sur le monde (individualisme), contrairement aux valeurs traditionnelles asiatiques qui auraient plus tendance à penser le monde comme immuable, la tradition plus forte que l'individu, l'univers cyclique, etc.
En fait, je trouve le Kishôtenketsu, tel qu'il est présenté ici, a des points communs avec les valeurs de la mythologie grecque : le moteur de l'histoire, c'est le trouble à l'ordre du monde, qui doit être résolu (en très très gros, je simplifie à outrance, pardon pour les connaisseurs).
Cela dit, si on fouille un peu ce qui est dit, je trouve que les différences sont essentiellement dans la présentation des choses, et portent peu sur le fond.
D'une part, je pense que les oeuvres japonaises et chinoises contiennent toutes du conflit, c'est juste que le schéma du Kishôtenketsu ne met pas cette notion au centre de son explication de la narration.
D'autre part, j'assume assez bien, pour ma part, d'être un "occidental" au sens où j'ai été baigné d'une certaine culture et de certaines histoires. J'aime bien les films asiatiques, parce que la sélection est drastique (on ne voit chez nous que les meilleurs, bien souvent) et parce que je n'en vois pas très souvent. Sinon, je pense que je commencerais aussi à y voir des schémas qui se répéteraient.
Maintenant, si je reprends les 4 points :
Pour moi, c'est l'équivalent d'un bon vieux "Acte 1".1. Introduction (Ki)
Description des personnages et/ou lieux. Il s’agit de créer la base de l’histoire.
C'est un peu la césure entre l'acte 1 et l'acte 2 : l'élément déclencheur.2. Développement (Sho)
Description des évènements qui vont amener au twist. Il n’y a pas de changement majeur.
La notion "d'éclairer les évènement sous une lumière nouvelle" n'est pas propre aux règles de dramaturgie occidentale, du moins pas présenté de cette manière. Mais si on lit ce qu'est un "acte 2", on retrouve beaucoup de notions similaires (préparation / paiement, ironie dramatique, révélations, entrée dans un nouvel univers qui fait voir le premier univers sous un autre angle, etc.)
3. Twist (Ten)
Un nouvel évènement non prévu et non annoncé éclaire sous une nouvelle lumière les évènements précédents et oblige le lecteur ou le spectateur à revoir toutes les conclusions qu’il avait pu établir précédemment. Il s’agit du climax d’une narration Kishôtenketsu.
C'est une façon féconde et intéressante de présenter les choses, je trouve.
Je crois que c'est ici la principale différence : nous, occidentaux, nous cherchons le plus souvent une réponse, que les portes "ouvertes" soient toutes "refermées". Une fin qui ne prend pas partie risque de heurter notre besoin de comprendre, de savoir si les personnages ont réussi ou non à agir sur le monde.4. Conclusion (Ketsu)
La narration Kishôtenketsu finit souvent sans résolution ; des questions restent. L’histoire se conclut en réunissant plusieurs idées disparates que l’on pourrait considérer comme des réponses possibles.
C'est aussi, je pense, ce qui rend les histoires asiatiques souvent frustrantes pour les occidentaux. Je pense que c'est une question de culture.
A mon avis, une histoire construite sur ce schéma, venue d'Asie, nous semblerait intéressante et différente parce qu'elle serait imprégnée d'une atmosphère "asiatique". Mais si un Français s'avisait de l'écrire, avec un décor occidental, on ne le comprendrait pas. Ou du moins, ce serait plus difficile.
Cela dit, je n'ai pas l'impression que toutes les histoires venues d'Asie se terminent sans résolution, après avoir vu/lu un certain nombre de films/dessins animés/mangas/romans japonais, notamment.