Puisque tu demandes des témoignages d'expériences, Ilham, je vais te livrer le mien. J'espère qu'il t'éclairera sur les raisons pour lesquelles certains auteurs peuvent apprécier ces manuels sur l'écriture.
(Soyons bien d'accord, je vais parler en mon propre nom, et ce ne sont pas forcément les raisons de tous ceux qui utilisent ces manuels. Je crois que chaque auteur a fondamentalement sa propre technique de travail, qui lui est aussi unique que son imagination.)
J'écris depuis la fin du collège, et je lis depuis bien plus longtemps avant. Des livres, j'en ai dévoré des dizaines, voir même des centaines, mais j'avoue n'avoir jamais été attirée par les classiques. Vu ce que j'ai pu lire de vos interventions, certains trouveront sans doute cela inadmissible. "Comment peut-on dire qu'on aime la littérature, si on n'aime pas les classiques ?" En ce qui me concerne, j'ai toujours trouvé que chacun avait le droit de lire ce qui lui plaisait. (J'ai toutefois des goûts différents pour le théâtre que pour les romans, puisque j'ai beaucoup aimé lire Shakespeare, Molière ou Anouilh.)
Au collège comme au lycée, grâce à mon amour de la lecture, j'ai toujours réussi à avoir des notes correctes en français (entre 12 et 14), car j'écrivais mieux que la plupart de mes camarades. Toutefois, j'ai toujours été d'une nullité qui m'affligeait pour trouver le plan de mes dissertations, ou comprendre ce qu'on me demandait de faire dans un commentaire de texte. Pourtant, notamment en seconde, j'ai eu une excellente prof de français. Donc je suis l'exemple que ce n'est pas parce qu'on est sensé apprendre au lycée à faire un commentaire de texte qu'on sait forcément le faire. Ca ne m'a pas empêché d'avoir 14.5 à mon bac de français, et 17 en philo. Mais l'analyse de texte, à l'époque, ça me dépassait même si je me débrouillais pour raconter quand même quelques trucs. Je crois que c'est la bêta et la compréhension des mécanismes du récit qui m'auront peu à peu fait comprendre ce qu'on attendait en fait de moi au lycée.
Toutefois, ce n'est pas parce qu'aujourd'hui je saurais analyser un texte que je vais le faire lorsque je lis un roman. Quand je lis, c'est pour le plaisir. Mon but, c'est de me laisser emporter dans l'histoire, de m'évader le temps de quelques pages de la réalité. Je n'ai pas envie de me demander pourquoi tel livre est si immersif, pourquoi tel autre un page-turner si efficace, ou encore pourquoi je m'ennuie au milieu d'un troisième. Même lorsque le livre est refermé, je ne veux pas lui enlever sa magie en le disséquant, en me demandant comment ont été construit les personnages, l'intrigue, l'ambiance, le rythme, etc.
Pourtant, à côté de ça, je suis une scientifique dans l'âme. J'ai besoin de comprendre pour mieux appliquer. En équitation par exemple, je n'ai jamais aussi vite progressé que depuis que j'ai un moniteur qui nous explique pourquoi tel geste fonctionne, pourquoi tel autre ira à l'encontre de ce qu'on souhaite obtenir de notre cheval. Cela n'empêche pas ensuite d'avoir besoin de construire son propre ressenti, de tester, de devoir s'adapter à chaque cheval. Mais connaître la théorie, les raisons "mécaniques" de celle-ci, me permet de mieux appréhender ce que je fais, de mieux en prendre conscience, et donc de mieux me corriger pour m'améliorer.
Pour moi, c'est exactement pareil en écriture. Lorsque j'ai découvert l'existence des manuels d'écriture, je ne me suis pas dit "Chouette, un manuel pour apprendre à écrire !", mais je me suis dit "Chouette, un manuel pour comprendre comment fonctionne un récit !". Ce n'est pas du tout la même chose de mon point de vue. Je n'ai pas attendu de ce manuel qu'il me donne les recettes pour écrire un bon roman. Non, ce que je voulais, c'était qu'il m'aide à comprendre les mécanismes qui entrent en jeu, pourquoi certaines de mes scènes fonctionnaient et d'autre pas. En gros, qu'il m'apporte exactement la même chose que si j'avais analysé et décortiqué mes romans préférés, mais sans que j'ai à le faire. Et c'est ce que j'y ai trouvé : pas une méthode d'écriture, mais une analyse de ce qui permet à certaines oeuvres d'être des chefs-d’œuvre, des films ou des romans qui ont rencontré autant de succès. D'ailleurs, dans le Truby autant que dans le Lavandier, les exemples qui donnent ont été extrêmement importants pour moi. Ils m'ont permis non seulement de mieux appréhender les notions aborder (l'ironie dramatique notamment n'a rien à voir, selon moi, avec l'ironie au sens classique du terme) ; mais ils m'ont aussi permis d'estimer à chaque fois si je trouvais la notion pertinente/importante ou pas.
Pour terminer, je n'ai jamais utilisé ces manuels pour construire une histoire. L'histoire, c'est moi qui l'invente, qui choisit ce que je mets dedans. Ces manuels m'auront par contre été d'une aide inestimable à chaque fois que j'ai eu l'impression de bloquer ou bien que quelque chose n'allait pas dans ce que j'écrivais, car ils m'auront permis de comprendre où se trouvait mon problème. Et un problème identifié est un problème bien plus facile à résoudre.
Pour exemple : l'an dernier, Beorn nous a fait un atelier sur les "Buddy Stories" (histoires d'amour/amitié) à partir d'un manuel intitulé "Save the Cat !" Ca faisait alors trois ans au moins que je bloquais sur mon roman Byakko, qui est justement une romance. Depuis le début, j'avais le sentiment que c'était un problème de tension au milieu de mon récit, de rythme de mon intrigue. Mais je n'arrivais pas du tout à comprendre ce qui bloquait vraiment, et donc à résoudre ce problème. Lorsque Beorn nous a parlé du rythme, et surtout des différentes phases de ce genre d'histoire, ça a fait tilt dans mon esprit.
Pour cette histoire-là, j'avais besoin de la structurer en le faisant consciemment, en m'aidant du canevas proposé (introduction => rencontre => fun & games => obstacles => plan des héros => fin), car je n'y arrivais pas seule de manière instinctive. En réfléchissant par la suite sur ce canevas, je me suis rendue compte que je l'avais bien appliqué de manière instinctive sur d'autres de mes histoires, qui effectivement me paraissaient mieux fonctionner. Mais j'avais été incapable de comprendre seule, sans cet apport de la théorie, pourquoi sur Byakko ça ne fonctionnait pas.
Et je vous dis
si vous avez lu tout mon pavé jusque là !