Les valeurs dissonnantes

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Milora
Exploratrice de l'espace temps aux mille auras et psychopompe à ses heures perdues
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Re: Les valeurs dissonnantes

Message par Milora »

Epineuse question !

Attention, j'ai commencé à écrire et j'ai pas pu m'arrêter, mdr. Désolée pour la longueur !

Je pense qu'il faut distinguer deux choses : les mentalités, systèmes de valeurs, fondements d'une société / et le positionnement par rapport à des valeurs morales.

Pour les premiers, c'est super cool de pouvoir en inventer des différents :mrgreen: Evidemment, c'est dur.

Je ne sais pas pourquoi, on dirait que la science-fiction se prête beaucoup plus à l'exercice que la fantasy - pourtant la fantasy pourrait faire de même, mais bien souvent elle se contente de s'inspirer de systèmes terriens passés (et en général simplifiés...). Pourtant, on pourrait inventer absolument ce qu'on veut, en fantasy - aller bien plus loin qu'en science-fiction !

Mais ça va plus loin qu'un système de valeur, c'est plus des mentalités et une organisation sociale ; enfin, tout va ensemble.
Je pense notamment aux romans d'Ursula Le Guin (SF), qui invente toujours des mondes très originaux, très complets, et qui arrive à y caser des personnages bien travaillés qui ne sont jamais l'incarnation d'une valeur ou d'un système de pensée, mais se situent bien dans ces mondes-là comme de vrais individus, qui vivent dans ce cadre mais peuvent réfléchir dessus...
Par exemple, dans La Main gauche de la nuit, les habitants sont à la fois hommes et femmes, et toute la société est imaginée par rapport à cette absence de différence sexuelle. D'autant que ça change carrément le point de vue sur l'Autre.
Bref. J'arrête de faire ma groupie. Mais pour l'invention d'autres façons de penser ou d'organiser la société, je trouve qu'Ursula Le Guin est vraiment un bon modèle :)

Sinon, par rapport à ce que vous avez dit :
arwen a écrit :personnellement, formation en histoire oblige, je déteste retrouver des concepts, des systèmes de valeurs anachroniques dans un roman, film historique. Voir christophe colomb parler droits de l'homme dans 1492 a le don de me hérisser le poil, autant que s'il conduisait une deux chevaux. Au cinéma, c'est clairement une facilité marketing vis à vis du public, alors qu'en littérature, j'assimile cela à de la fainéantise et du je m'en foutisme de la part de l'auteur...
Tope-là !
Bélier a écrit :J'aime bien ta remarque, Iluinar, mais j'aimerais l'emmener dans une autre direction : les valeurs non pas modernes, mais non-occidentales.
Je suis d'accord ! :)
Ça m'énerve aussi quand un autre monde est un simple prétexte pour transposer des choses terriennes, a fortiori quand c'est pas pour critiquer. C'est vraiment un gros procédé facile et pas du tout inventif...
Et j'aime pas non plus quand des Terriens débarquent dans une autre société, et qu'on s'aperçoit petit à petit que contrairement à ce qu'on pensait, elle est horrible, et franchement, mieux vaut notre bonne vieille terre, les Humains sont quand même le modèle absolu, même s'ils sont pas parfaits.
Grrr...
Bélier a écrit :J'ai un exemple récent en tête. Dans Shades of Grey, de Jasper Fforde, toute l'humanité a perdu la vision des couleurs naturelles excepté une seule nuance (vert, bleu, jaune, rouge, violet, etc...). Les Gris sont incapables de percevoir aucune couleur, et se retrouvent au pied d'une échelle sociale couronnée par les Violets. Toute la société est donc classée par couleur, avec une hiérarchie très marquée, une ségrégation sociale, des caractères stéréotypés pour chaque couleur (e. g. acide pour le jaune), etc. Et cela fonctionne très, très bien dans le roman, qui relève du policier, du récit initiatique et un peu du thriller. Et de la SF, évidemment.
Ooooh, Jasper Fforde est mon Dieu. Il faut vraiment que je lise ce bouquin. Il a l'air génial. :heart:
Bélier a écrit :Prenons l'autorité féodale au Moyen Âge : assise sur le droit du sang et la religion, elle nous semble aujourd'hui brutale, injuste et arbitraire. Néanmoins, les seigneurs féodaux répondaient à un besoin qui n'était à l'époque pas un acquis : la protection. Une noblesse militaire correspond à un monde sans sécurité, où ne méritent la terre que ceux qui peuvent la défendre. Et il fallut que la noblesse négligeât ses devoirs pendant longtemps, et se perdît en fastes scandaleux à Versailles, avant qu'une révolution n'éclate : preuve qu'un tel système, basé sur la force assumée, possède une signification évidente et une certaine solidité.
Ouais, mais... Enfin, je suis en histoire médiévale. Et, justement, je trouve que ce qui est intéressant avec les mentalités médiévales, c'est que c'est pas vraiment comme ce qu'on en dit souvent, et que tu résumes ici.
Par exemple. Y avait le système de la faide. On pourrait dire que c'était un système de vengeance, de réparations. S'il y a un crime, la famille de la victime veut une vengeance, ou une réparation (la wergeld). Ça peut donner des luttes armées entre familles. Mais en général, le seigneur essaye d'intervenir, de ramener la paix. Les coupables doivent fournir une compensation : en argent (ou en terres), ou alors en... souffrance, je dirais. Pour apaiser la famille de la victime. Le but n'était pas une notion de justice, mais de paix sociale. On est loin du chaos médiéval qu'on s'imagine parfois ; c'était une autre façon d'envisager cette valeur qui pour nous est essentielle : la justice.
C'était qu'un exemple. Mais ce qui est cool avec l'histoire, c'est que justement, on est obligés d'essayer de percevoir tout plein de systèmes de valeurs qui étaient différents des nôtres.
(En plus c'était pas partout pareil, et ça dépend des époques, mais bon là je rentre dans des détails historiques, je sors du propos de ce fil de discussion !)



Par contre, je crois qu'il faut pas mettre dans le panier les valeurs morales fondamentales.
Mala Senca a écrit :Enfin bref, du coup j'essaie de m'adapter à mes persos qui ont des valeurs qui ne sont pas les miennes, et le contexte assez violent autour m'aide pas mal. Ce qui est difficile en revanche, c'est d'essayer de faire en sorte que du coup les 'héros' n'apparaissent pas comme des monstres aux yeux des lecteurs parce que certaines choses qui nous paraissent inenvisageables de nos jours ne les choquent pas. ^_^' Donc j'essaie quand même d'y aller à petite dose (jamais je ne partirai sur un trip avec des persos qui considèrent que la pédophilie est normale, par exemple...) , mais le problème s'est quand même posé de façon sérieuse dans l'écriture il n'y a pas longtemps, quand dans un même chapitre les 'héros' et les 'antagonistes' donnent l'impression de rivaliser de cruauté. =_= (la différence étant que d'un côté ces actions apparaissent comme normales alors que de l'autre elles sont exceptionnelles voire choquantes quoique justifiables)
C'est effectivement difficile de doser à quel niveau se situe la 'normalité' des valeurs pour une époque et des civilisations différentes, et j'ai l'impression que même en voulant être le plus logique possible on sera toujours un peu à côté de la plaque. Trop déformés par notre propre civilisation.
Alors là je suis pas trop d'accord.
Garg a écrit :Pourquoi juger un système ? Ce n'est pas moi qui juge, ce sont les personnages. Si je veux faire passer un message idéologique au lecteur, ce dernier va trouver que je sors de mon rôle d'auteur pour devenir idéologue. En général, on n'aime pas se voir endoctriner, non ?
Je crois qu'il ne faut pas oublier qu'on écrit certes de l'imaginaire, mais on écrit pour des lecteurs réels, de notre monde. Quand on présente une histoire, même si on veut rester le plus neutre possible, on prend forcément position, on transmet une vision du monde - même si c'est qu'implicite. Il y a une sorte de responsabilité de la part de l'auteur.
Et j'aime pas du tout la tendance actuelle à valoriser les ambiguités bien/mal, ou plutôt à dire que le bien et le mal ne sont que question de point de vue, et ainsi à nous présenter des personnages qui font le mal et, surtout, à nous les faire aimer.
Or, on peut parfaitement faire un personnage grosso modo gentil mais avec des défauts, voire de gros défauts, qui l'amènent à faire des erreurs de jugement ou de comportement pouvant avoir de mauvaises conséquences, tout ça. Bref faire un personnage qui soit humain. Mais ça n'est pas la même chose que faire un personnage qui soit méchant (qui n'ait pas de sens moral ou choisisse délibérément le mal), malgré les nuances qu'on y apporte. Il y a une différence dans le positionnement moral, que je ne cautionne pas. Un personnage qui a des principes moraux de nos jours, c'est arriéré et rejeté dans le stupide "politiquement correct"... Non.
Raconter de la SFFF, c'est pas un prétexte pour aller dans les pires excès et le faire apprécier au lecteur. Ce n'est pas construire un autre système de valeur, ça, à mes yeux. C'est construire un système où il n'y a pas de valeurs. Et dès lors qu'on écrit un truc comme ça sans le condamner un tant soit peu, je trouve que c'est très pernicieux.




BREF, ce que je suis bavarde ! Personne m'aura lue jusqu'au bout ! lol.

De mon côté, je rencontre une difficulté de ce genre avec une de mes nouvelles fantastique. Et j'arrive pas à la régler.
Elle se passe en Afrique coloniale ; du coup c'est délicat, vu que le narrateur est un Européen. Je ne voulais surtout pas lui donner une mentalité moderne. Mais j'avais pas non plus envie qu'il soit antipathique aux yeux d'un lecteur actuel (et aux miens) parce que foncièrement colonialiste. Considérant qu'il devait y avoir, même à l'époque, des gens qui n'étaient pas totalement embrigadés dans cette mentalité, sans avoir pour autant nos notions modernes, j'ai essayé de lui donner une position intermédiaire (en gros il est plutôt paternaliste vis à vis des noirs, mais sans être vraiment raciste). Mais ma bêta lectrice m'a dit qu'il était quand même très caricatural.
En plus, j'ai voulu que mon méchant soit un peu une caricature du soldat (pour le coup), mais pour ma bêta-lectrice, ça a fait l'amalgamme "colonialiste cliché". Et du coup, je m'en sors pas trop avec les systèmes de valeur de ces personnages, et j'ai laissé la nouvelle de côté pour le moment...
Pourquoi je raconte ma vie ? Parce que je suis décidément trèsbavarde aujourd'hui. C'était juste pour dire que moi, personnellement, j'avais du mal, lol.
Jour de pluie dans une cuisine (Le Mammouth éclairé)

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Jo Ann v.
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Re: Les valeurs dissonnantes

Message par Jo Ann v. »

Il y a dans mon pays (Angola), dans un coin paumé de la cambrousse, une reine. Cette reine a plusieurs maris. Et quand elle trouve un potentiel nouveau mari qui a déjà une famille, elle fait tuer la famille. Et si elle peut tuer un mari pour le faire remplacer, tout va pour le mieux.
C'est très Henri VIII, non ? Et pourtant, nous sommes au siècle XXI.
Évidemment, nous avons des lois, mais on dirait qu'il y a cette frontière dans la brousse où personne ne va. Je n'ai jamais compris pourquoi on ne mettait pas la vieille en prison (oui, c'est une vieille dame qui n'épouse que des jouvenceaux).

Parfois, la réalité dépasse la fiction. Et les valeurs même sous le même ciel ne sont pas les mêmes.

anonymedeux

Re: Les valeurs dissonnantes

Message par anonymedeux »

Il y a un très bon livre de Mary Doria RUSSELL qui traite de ce sujet : Le moineau de dieu.

Une expédition scientifique est envoyé sur une planète où on a capté un message radio avec l'un des plus beaux chants qui soit. Dans cette expédition, il y a un scientifique jésuite (on a donc plusieurs niveaux de valeurs terriens, le catholique jésuistique et des plus occidentaux modernes) et qui revient seul sur Terre. L'expédition fut une catastrophe et le roman suit le témoignage du pauvre jésuite qui est traumatisé. Ce qui est génial dans ce livre, c'est que ce sont les Terriens qui se sont plantés en croyant bien faire d'où la maxime "L'enfer est pavé de bonnes intentions". A lire absolument.

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