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[A] La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 1:33 am
par Asia M
Je ne savais absolument pas quoi chercher pour voir s'il y avait déjà un topic similaire, merci de me l'indiquer (et de le retrouver :heart: ) si c'est le cas.

Voilà: je suis surprise de certains commentaires "fonctionnalistes" sur l'utilité ou la nécessité des scènes, ce qu'elles servent et ce qui les justifie. J'ai l'impression de venir d'une toute autre école, la romantique peut-être, où comme dirait Théophile Gautier, le beau est le contraire de l'utile.

Depuis quand, surtout dans un roman, une scène ou un passage doit être "utile" à l'intrigue? On écrit ce qu'on veut, que je sache... On n'est pas dans une démonstration scientifique où il faut distinguer les arguments qui participent à la démonstration d'observations connexes hors sujet.

Les descriptions: servent-elles l'intrigue? Sont-elles absolument nécessaires? Pas du tout! Mais on les aime, non? Parfois même on les adore. Quand j'étais petite, c'étaient mes passages préférés dans les livres, je les relisais encore et encore. (Je ne parle pas de la description d'un environnement qu'il faut se représenter pour comprendre, mais de détails superficiels et anodins, genre des vêtements.)

Un autre exemple: ma partie préférée dans Ferdydurke, c'est celle où l'auteur part complètement en live et admet qu'il est juste en train de noircir des feuilles en attendant le chapitre d'après... :lol: Hilarant (il parle d'ailleurs d'écriture dans ce passage, il faudrait que je remette la main dessus).

Je reconnais bien sûr que j'ai détesté les parties du voyage dans Le Seigneur des Anneaux où c'était: le huitième jour, il ne se passa rien. (S'ensuit: une page sur ce "rien".) Donc, d'accord, il faut savoir ce que l'on fait et bien le faire, ce qui n'est pas facile.

Mais je n'arrive juste pas à apprivoiser l'idée que l'intrigue serait une sorte de réalité objective qui appellerait telle scène et pas telle autre... C'est effectivement réduire le travail de l'écrivain à la compréhension de quelque chose d'extérieur à lui, alors qu'en réalité tout vient de lui. Il est créateur. Il n'y a pas d'intrigue qui dicte sa loi, il y a juste un auteur qui dicte (à) son intrigue.

Qu'en pensez-vous? Peut-être vos réponses me permettront de développer ou d'éclaircir davantage ma pensée.

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 2:02 am
par shalnya
Je suis de ceux qui croient que chaque scène doit avoir une raison d'être, si infime soit-elle. Mais "raison d'être" peut prendre des sens très variés, et peut être quelque chose d'aussi trivial que transmettre une atmosphère, une émotion particulière, rendre un moment précis, ou même diverger vers une tangente temporaire. Tant qu'à la fin de la scène, le lecteur n'a pas eu l'impression de perdre son temps, c'est une réussite.

Du coup, la possibilité d'inclure des scènes qui ne contribuent pas ou peu à l'intrigue dépend du rythme général de l'histoire. Dans un thriller, c'est généralement moins approprié que dans un roman de style 'tranche de vie'. C'est une question de jugement de la part de l'auteur. Si l'histoire s'étire inutilement jusqu'à en devenir lassante, il faut probablement envisager de l'élagage. Mais encore là, ça dépend du lecteur. Bref, ça dépend point xD

Re: La gratuité, ça se paie ?

Posté : mar. juin 28, 2011 3:01 am
par Mélanie
Je ne me positionne pas beaucoup dans ce débat. Utilité ou gratuité ? Mon impression c'est que l'on rencontre souvent les deux dans un roman et qu'il n'y a pas de guerre à déclarer entre les écoles. Comment je m'organise, j'enchaine généralement les scènes efficaces, où l'intrigue avance, et les scènes de calme. Les premières pour donner au lecteur une avancée et pas l'impression qu'il tourne en rond et les deuxièmes pour qu'il se repose un peu et pour moi que je m'amuser.

Même si on peut passer par des extrêmes. Un thrilleur à cent à l'heure, où l'on ne s'arrête jamais pour prendre son souffle. Le Nouveau Roman, où l'on contemple et contemple et contemple des descriptions sans avancer nulle part.

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 6:02 am
par Celia
L'écrivain est créateur, mais si le lecteur ne le comprend pas, il a peu de chance d'être lu et de partager une part de son monde (ce qui est quand même son but, sinon il ne chercherait pas à se faire publier) Du coup oui, il y a des choses "utiles" à dire et à faire.
Et puis il y a des choses que tu dis, Asia, et qui me semblent bizarres. Les descriptions ne sont pas utiles : depuis quand ? Si tu ne décris pas l'endroit où tes personnages vivent, où une action se passe, tu vas perdre le lecteur. Pire, tu vas rendre sans doute tes actions incompréhensibles. Les descriptions sont utiles. Après oui, il peut y avoir des envolées poétiques ou du lyrisme dans une description, mais même un écrivain terre à terre et qui préfère rester objectif et "utile" dans ce qu'il écrit, n'omettra jamais de décrire les lieux de son histoire, même de façon sommaire.

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 6:46 am
par Roanne
En fait, on rentre un peu dans le débat écriture "efficace" / écriture "contemplative", non ?
Pour ma part, j'estime que tout peut-être absolument "gratuit", ça dépend complètement de ce que l'auteur veut faire passer.
De la à affirmer que ce n'est pas utile... disons que là ça dépend plutôt de l'ensemble du roman pris en bloc et de ce que l'auteur veut faire passer. Parfois, l'utilité consiste à permettre de souffler, de faire une pause narrative, de mieux caractériser un personnage ou un décor : donc ça tient à peu de choses et l'auteur doit être capable, en prenant du recul, de justifier le pourquoi du comment il conserve une scène donnée si elle lui est pointée par ses bêtas.
S'il est obligé de faire preuve de mauvaise foi pour le faire, tout est dit. ^^

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 7:00 am
par Bergamote
Ce n'est pas la première fois que j'entends une "critique" sur la froideur des bêta. Parce qu'en gros c'est ça.

Alors, bien sur nous sommes des créateurs de monde, notre plume nous porte, l'imaginaire est notre terre. Mais le lecteur à la limite il s'en tape comme de l'an 40. Chaque passage de livre que tu as aimé, lu et relu, a été placé là pour une bonne raison et pas par romantisme ou génie littéraire instantané. Et ce grâce à un bêta/alpha lecteur qui pourra avoir indiqué à l'auteur du livre l'endroit où elle lui semblerait la plus crédible.

Relis les critiques des bouquins d'auteurs publiés faites ici. Les lecteurs sont exigeants, ils ont besoin de cohérence dans l'intrigue, de crédibilité des personnages, de richesse d'univers. Et encore plus dans la littérature de genre où les adeptes avalent souvent deux livres par semaine et même plus.

Un roman c'est du sentiment mais surtout du travail technique d'autant plus quand l'auteur aspire à le faire publier. Et justement si nous bêta-lisions avec des sentiments aussi intenses que l'auteur à écrit son texte, ça déborderait tout de suite très vite. Les noms d'oiseaux voleraient, on dirait simplement je trouve ça nul, j'aime pas la couleur de sa robe, ni de ses yeux. Ton château est moche, etc, etc. C'est quoi ce nom à la con que t'as donné à ton méchant ?

Le fait d'introduire de la "chirurgie" dans nos corrections, permet de ne pas blesser, d'être objectif autant que possible et du coup d'aider l'auteur.

De plus, il ne s'agit jamais d'ordre impérieux. les bêta lectures sont des indications. L'auteur peut très bien n'en tenir aucun compte. Le romantisme c'est bien si tu aimes l'écrire, mais il n'a pas sa place dans une correction à mon humble avis.

Pour finir, le passage de Ferdydurke je ne le connais pas. mais j'aurais tendance à penser que s'il a été publié c'est que l'éditeur pensait que cela servait le livre, que cela avait son utilité. D'ailleurs il avait raison, regardes : tu adores !

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 7:36 am
par Farah DOUIBI
Je pense que ce qui peut jouer, c'est la loi ^^
Et bien oui ! Incitation à la torture, c'est un crime et faire l'apologie de la violence, il me semble que ça en fait partie aussi.
Quant au sexe, ou pornographie, c'était tabou dans notre société il n'y a pas si longtemps, et ce tabou se fait encore ressentir.
Bref, je pense nous sommes influencés par ces critères de société qui brident la littérature. Pour le meilleur ? Tout est question de point de vue. Personnellement, je trouve que c'est une limite qui est bien car elle permet de ne pas aller dans le gore gratuit et très personnellement, je n'aime pas le gore gratuit. Mais je suis 100% subjective ! Donc le mieux à mon sens, serait de demander à des personnes faisant parti de sociétés très différentes ce qu'elles en pensent afin d'avoir un semblant d'avis objectif sur l'art dans le gore.

Par curiosité, j'ai lu dans le poste coupé en deux que le SFFF ne faisait pas parti de l'art...
Il me semble que la SF n'a pas encore été reconnue comme appartenant à la littérature par les personnes bien pensantes, mais cela n'est qu'une considération à ne pas prendre au pied de la lettre. Après tout, le polar/policier (je ne sais plus lequel) ne fut reconnu qu'il y a quelques années. Avant, ce n'était pas de la littérature...

Bref, je pense qu'il faut parvenir à se détacher des limites que nous impose la société pour définir une notion d'art, de beauté dans la littérature.
Et même ainsi, ces notions sont toutes différentes selon les personnes. Définir une notion, c'est mission impossible, non ? :wamp:

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 7:55 am
par Maere
Quand un lecteur prononce le mot "gratuit", ca veut dire qu'on a raté une marche quelque part. Il ne le fera généralement pas s'il a passé un bon moment de lecture. Mais ca peut être difficile de dénicher le problème réel qui se cache derrière ce mot (qui est juste une facon de dire : ca tu devrais couper, vraiment). Ca peut-être un problème de cohérence de ton, de longueurs (comprendre : il s'est fait chier), de style (la description d'un pont peut être intéressante, en théorie... si elle est réussie), etc.

Bref, quand c'est pas clair, toujours poser des questions... Parfois il faut aider les bêtas à trouver ce qui les a gênés dans un texte.

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 8:28 am
par Roanne
Farah DOUIBI a écrit :Par curiosité, j'ai lu dans le poste coupé en deux que le SFFF ne faisait pas parti de l'art...
Il me semble que la SF n'a pas encore été reconnue comme appartenant à la littérature par les personnes bien pensantes, mais cela n'est qu'une considération à ne pas prendre au pied de la lettre. Après tout, le polar/policier (je ne sais plus lequel) ne fut reconnu qu'il y a quelques années. Avant, ce n'était pas de la littérature...
Ce qui m'amuse, c'est que, dans l'absolu, la littérature n'est pas considérée comme un art. ^^
En effet, si tu regardes bien la description des arts, la littérature en est absente, pourquoi je l'ignore, il y a la poésie, la BD, mais pas la littérature...
Un petit tour sur wiki est assez instructif (cette page là est intéressante) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Classification_des_arts

Alors les "bien pensants", qu'est-ce qu'on se moque de leur avis, sur le fond ! Vu qu'ils n'ont même pas été capable de promouvoir et défendre la littérature - du moins la-leur - comme un art à part entière, hein, je n'estime pas qu'on doive en recevoir des leçon et nourrir le moindre complexe. ^^

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 8:38 am
par Syven
Je suis de l'avis de Shalnya: chaque scène, chaque mot, ont un poids et un rôle à jouer. On ne parle pas ici forcément d'utilité d'intrigue, mais de ce que cela apporte au lecteur pour lui faire vivre et comprendre l'histoire. Il y a une finalité et un effet à chaque choix que l'ont fait dans le texte (comme le souigne Roanne en fonction de ce que l'auteur souhaite à faire passer).

Si on prend l'exemple d'une description, mettons une place, la façon dont tu vas la décrire va lui donner une place dans le coeur du lecteur. Si ce n'est qu'un décor de passage, somme toute joli, tu ne t'attarderas pas dessus, mais il sera peut-être assez remarquable pour caractériser l'atmosphère de la ville ou son architecture. Si au contraire il s'agit d'un élément important où de nombreuses actions vont avoir lieu, tu vas chercher à marquer durablement le lecteur. Le choix de tes mots t'appartiendra, mais la finesse de ta description lui donne un sens. D'autant que même si on aime décrire, on choisit ce qu'on décrit, et c'est inconscient sûrement, mais c'est une façon d'attirer l'attention du lecteur.

De toutes les façons, on raconte une histoire et les différents éléments qui la composent doivent contribuer au récit et ne pas lui nuire, en donnant des détails qui vont perdre le lecteur par exemple ou en lui donnant à voir tellement de choses qu'il oubliera la raison pour laquelle le personnage en est arrivé là.

Edit, My 2 cents, plein de posts entre temps.

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 9:04 am
par Partance
Cette question me rappelle aussi le genre de questions que posent les gens qui pensent qu'analyser un livre, un film ne sert à rien... (un de mes combats préférés xD)
Il faut se rappeler que l'écrivain commence par une feuille blanche, il n'y a rien au début. Et donc, il faut construire, et pour cela il faut trouver des angles, des thèmes, des façons de raconter. C'est pour ça, à mon avis, qu'il faut savoir justifier de la plupart de ses choix d'écriture (dire "je ne décris pas mes personnages..." Exemple de réponse " parce que je veux que les gens se les imaginent comme ils le veulent" ou "parce que je voulais donner l'impression qu'ils sont déshumanisés". Une mauvaise réponse serait : "parce que je ne sais pas à quoi ils ressemblent" >.< )

Donc, rien n'est gratuit, ni ne vient naturellement. On peut savoir bien écrire, et avoir de belles histoires à raconter, mais faire de la littérature, c'est une toute autre histoire ! Après, bien sûr, cela dépend des ambitions de chacun...
C'est comme dans un film finalement : pourquoi le réalisateur a décidé de faire tel plan, de mettre tel genre de lumière, ou telles couleurs, pourquoi un gros plan sur ces objets ? Mais c'est parce que ça sert l'histoire, ça met le spectateur dans une sorte d'humeur et pas une autre, ça soulève des questions, ça fait référence à des choses qui arriveront plus tard... Sinon, on ne s'embêterait pas à faire tout ça, à dépenser de l'énergie. Même ceux qui prônent l'art pour l'art (comme Baudelaire ou Gauthier hihi) ont des idées derrière la tête (Quand on clame vouloir faire du beau, ce n'est déjà plus gratuit, ça a un sens, parce qu'on a réfléchit à ce qu'on voulait faire passer !).

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 9:07 am
par tigrette
Asia M a écrit : Voilà: je suis surprise de certains commentaires "fonctionnalistes" sur l'utilité ou la nécessité des scènes, ce qu'elles servent et ce qui les justifie. J'ai l'impression de venir d'une toute autre école, la romantique peut-être, où comme dirait Théophile Gautier, le beau est le contraire de l'utile.

Depuis quand, surtout dans un roman, une scène ou un passage doit être "utile" à l'intrigue? On écrit ce qu'on veut, que je sache... On n'est pas dans une démonstration scientifique où il faut distinguer les arguments qui participent à la démonstration d'observations connexes hors sujet.

Les descriptions: servent-elles l'intrigue? Sont-elles absolument nécessaires? Pas du tout! Mais on les aime, non? Parfois même on les adore. Quand j'étais petite, c'étaient mes passages préférés dans les livres, je les relisais encore et encore. (Je ne parle pas de la description d'un environnement qu'il faut se représenter pour comprendre, mais de détails superficiels et anodins, genre des vêtements.) (...)
Mais je n'arrive juste pas à apprivoiser l'idée que l'intrigue serait une sorte de réalité objective qui appellerait telle scène et pas telle autre... C'est effectivement réduire le travail de l'écrivain à la compréhension de quelque chose d'extérieur à lui, alors qu'en réalité tout vient de lui. Il est créateur. Il n'y a pas d'intrigue qui dicte sa loi, il y a juste un auteur qui dicte (à) son intrigue.
Je fais partie de ceux qui estiment que tout doit servir l'intrigue. Si l'on présente un personnage, il doit avoir son importance dans le récit. Si l'on décrit un vêtement, c'est pour que l'auteur comprenne le personnage, l'univers. Si l'on décrit une ville, un paysage, idem pour construire un univers." Utilité" ne signifie pas "pauvreté". Tu cites Théophile Gautier, c'est justement un très bon exemple, toutes ses descriptions viennent servir l'intrigue qui est toujours extrêmement riche et bien ficelée. Que ce soit dans ses nouvelles ou dans ces romans. Idem pour Barbey d'Aurevilly et Balzac, souvent les lieux qu'ils décrivent avec autant de détails "agissent" comme un personnage de plus qui vient servir le récit.
Pour moi, un auteur qui négligerait les codes de la narration agirait comme un poète. On est sur une autre forme artistique. Certains auteurs de génie réussissent à allier les deux facettes.

Pour ce qui est des betas, certains sont plus "secs" que d'autres dans leurs remarques (j'en fais partie, mais j'essaye de mettre de l'eau dans mon vin). Mais je pense que c'est une chance pour un auteur de soumettre son texte à la critique. Si des yeux extérieurs soulèvent des incohérences et des redondances, c'est tout benef, je crois. Après, il faut être prêt psychologiquement à soumettre son "bébé" à des regards qui peuvent blesser, ne serait-ce que par indifférence.

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 9:13 am
par Elikya
Depuis quand, surtout dans un roman, une scène ou un passage doit être "utile" à l'intrigue? On écrit ce qu'on veut, que je sache...
L'auteur écrit ce qu'il veut. Le lecteur lit ce qu'il veut. La question qui se pose est donc : souhaites-tu être lue ? Si oui, tu écris pour les autres et il faut susciter le plaisir du lecteur.

Pour ma part, tout ce que j'écris sert l'histoire. Je n'ai pas la place de m'étendre, sous peine d'écrire de véritables pavés. Lors de la relecture, je traque les mots inutiles, qui alourdissent l'histoire sans rien lui apporter. Il faut dire que j'aime l'idée d'une écriture resserrée, intense. Une écriture où chaque mot compte.

J'accorde aussi beaucoup d'importance au rythme et j'essaie d'alterner des scènes différentes pour ne pas lasser les lecteurs. Action, politique, sentiments, introspection, ambiance... pour moi c'est un peu comme des notes de musiques.
Les descriptions: servent-elles l'intrigue? Sont-elles absolument nécessaires?
Oui et re-oui. Les descriptions permettent au lecteur de se situer dans le monde de l'auteur, de visualiser les lieux et les personnages, de percevoir une ambiance. Grâce aux descriptions, il est possible de faire passer tout un tas d'information de façon bien plus juste qu'en les énonçant.

Jean-Claude Dunyach a attiré mon attention là-dessus lors du festival de Civray en utilisant les exemples suivants :
Décrire le fait qu'il y a des extincteurs devant toutes les portes a beaucoup plus d'impact que d'affirmer "Dans cette ville il y a souvent des incendies".
Décrire les marques laissées par les genoux des fidèles dans la pierre a beaucoup plus d'impact que d'affirmer "Les fidèles se recueillent ici depuis des siècles."
Donc les détails comptent, parce qu'ils permettent de caractériser un une civilisation, un lieu, une personne.
Il n'y a pas d'intrigue qui dicte sa loi, il y a juste un auteur qui dicte (à) son intrigue.
Objectivement tu as raison, l'auteur écrit l'intrigue qu'il veut de la manière qu'il veut. Pourtant, cela ne correspond pas à mon ressenti. Il s'agit d'une façon de voir très personnelle, mais pour moi l'intrigue existe dès le début, en dehors de moi, et je suis investie de la mission sacrée de la coucher sur le papier. :lol:

Me voilà bien. Je ne contrôle pas mes personnages. Je ne contrôle pas les grandes directions de l'histoire. Muse me donne une pierre brute et me dit : il y a un diamant à l'intérieur, à toi de le tailler.

:help:

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 9:23 am
par Beorn
Asia M a écrit :Je ne savais absolument pas quoi chercher pour voir s'il y avait déjà un topic similaire, merci de me l'indiquer (et de le retrouver ) si c'est le cas.
Je ne crois pas et c'est un sujet très intéressant.
Asia a écrit :Voilà: je suis surprise de certains commentaires "fonctionnalistes" sur l'utilité ou la nécessité des scènes, ce qu'elles servent et ce qui les justifie. J'ai l'impression de venir d'une toute autre école, la romantique peut-être, où comme dirait Théophile Gautier, le beau est le contraire de l'utile.

Depuis quand, surtout dans un roman, une scène ou un passage doit être "utile" à l'intrigue? On écrit ce qu'on veut, que je sache... On n'est pas dans une démonstration scientifique où il faut distinguer les arguments qui participent à la démonstration d'observations connexes hors sujet.
J'ai plusieurs choses à répondre à cela.

D'abord, parfois, on croit écrire au fil de la plume et faire des scènes purement "gratuites"... et on s'aperçoit après coup que ça ne l'était pas. Tout simplement parce qu'on a suivi inconsciemment des modèles et observé les règles de la dramaturgie sans s'en rendre compte.
Pierre Bordage, par exemple, explique qu'il écrit sans savoir où il va et à la fin, quand il analyse son roman, il s'étonne que chaque chose soit à sa place.

Ensuite, la littérature permet effectivement de s'affranchir des règles si l'auteur décide de ne pas fabriquer une belle histoire, mais d'écrire un roman semi poétique où la beauté et l'intelligence de l'écriture charmera un certain public. Toutefois, je pense qu'il vaut mieux s'appeler James Joyce ou Marcel Proust pour y arriver.

En revanche, à partir du moment où tu as l'ambition de raconter une histoire, d'embarquer ton lecteur dans une épopée, une aventure (c'est presque toujours le cas en SFFF), alors il ne peut guère exister de scène "gratuite". Il peut y avoir des scènes lentes, des ambiances, des pensées intimes, pourquoi pas, mais à chaque fois, chaque mot doit contenir du sens pour au moins un personnage.
Si tu décris longuement un tournevis dans une pièce vide, cela n'a a priori aucun intérêt.
Si on sait que dans la pièce d'à côté, un homme cherche désespéremment à devisser une grille pour s'échapper, cela aura un sens pour lui (et donc pour le lecteur).
Asia a écrit :Les descriptions: servent-elles l'intrigue? Sont-elles absolument nécessaires? Pas du tout!
Celia et Syven ont déjà répondu sur ce point : si, les descriptions servent l'intrigue, bien entendu.
Asia a écrit :Quand j'étais petite, c'étaient mes passages préférés dans les livres, je les relisais encore et encore. (Je ne parle pas de la description d'un environnement qu'il faut se représenter pour comprendre, mais de détails superficiels et anodins, genre des vêtements.)
Certains lecteurs n'ont pas une lecture "d'identification" très forte aux personnages. Ils s'intéressent à autre chose : les idées, les décors... Mais ils sont peu nombreux et même ceux-là ont besoin d'une identification minimale pour que ces éléments aient un intérêt à leurs yeux.
Les vêtements ont du sens, par exemple : ils donnent des éléments sur la personnalité du personnage, son rang social, sa culture d'origine, voire sur ce qu'il vient de vivre (s'ils sont déchirés, noircis, défaits ou ensanglantés...). Ils ne sont donc pas "gratuits".
Asia a écrit :Je reconnais bien sûr que j'ai détesté les parties du voyage dans Le Seigneur des Anneaux où c'était: le huitième jour, il ne se passa rien. (S'ensuit: une page sur ce "rien".) Donc, d'accord, il faut savoir ce que l'on fait et bien le faire, ce qui n'est pas facile.
Je ne peux pas te répondre sur ce point : j'ai dévoré le Seigneur des anneaux sans m'arrêter. Pour moi, il n'y a pas une ligne de perdue, tout est utile, tout a du sens et il se passe toujours quelque chose.
Bien sûr, le lecteur adhère plus ou moins bien à ce "sens" et à ce "quelque chose", il peut trouver "gratuit" des éléments qu'il n'aime pas, alors que chez un autre lecteur, cela ne sera pas gratuit du tout.
Asia a écrit :Mais je n'arrive juste pas à apprivoiser l'idée que l'intrigue serait une sorte de réalité objective qui appellerait telle scène et pas telle autre...
Là-dessus, tu vas trop loin. Oui, chaque scène doit avoir un sens pour les personnages, cependant, rien n'appelle telle scène plutôt que telle autre : l'auteur a le choix entre une infinité de directions possibles, du moment qu'elle n'est pas absurde par rapport à ce qu'il a déjà écrit.
Asia a écrit :C'est effectivement réduire le travail de l'écrivain à la compréhension de quelque chose d'extérieur à lui, alors qu'en réalité tout vient de lui. Il est créateur. Il n'y a pas d'intrigue qui dicte sa loi, il y a juste un auteur qui dicte (à) son intrigue.
Alors oui et non.
Oui, il a un champ infini de possibilités et c'est lui qui choisit laquelle lui plaît le plus. C'est ce que j'aime quand j'écris : je peux tout inventer, la liberté est immense.
Mais non, il ne peut pas faire n'importe quoi s'il veut espérer embarquer le lecteur avec lui. Il va lui falloir respecter les grandes règles de base de la dramaturgie, qui lui sont extérieures (sauf qu'à force de lire des romans, il les a intégrées sans le savoir, en réalité...).

EDIT : argh, plein de réponses entre-temps !

Re: La gratuité, ça se paie?

Posté : mar. juin 28, 2011 9:53 am
par Farah DOUIBI
Ce qui a été dis ici est on ne peu plus vrai et peut-être une sorte de leçon pour l'écriture.

A la base, de chaque côté du texte, il y a l'écrivain d'un côté et les lecteurs de l'autre côté.
Autrement dit, le texte est le lien entre l'auteur et les lecteurs. Aussi, il faut que les deux conditions soient observées pour que le texte remplisse son rôle :
1 - que l'auteur écrive son texte
2 - que les lecteur lisent ce texte.

On ne s'occupe pas du premier point, ici.
Pour le deuxième point, il est aisé de comprendre que si le texte ne plait pas aux lecteurs, ceux-ci ne le liront pas (mauvaises critiques, abandon à la deuxième page, etc.).
Bref, PLAIRE AUX LECTEURS est la condition pour que le texte soit lu par beaucoup de lecteurs.
Donc, étant donné l'aversion qu'ont une majorité de personnes pour la violence (qu'elle soit gratuite ou pas), le gore, un texte avec ces éléments partira avec des difficultés de base pour se faire lire. A moins d'être un maître et de tourner ces scènes gores de façon à les rendre acceptables pour la majorité, le livre de dépassera pas une petite minorité qui affectionne les scènes gores et violentes.

Je ne parle pas des textes témoins qui ont pour but de montrer des scènes historiques, par devoir de mémoire. Je parle bien de littérature, de celle que l'on lit parce qu'on en a envie.