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[A] Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : dim. sept. 25, 2011 8:33 pm
par AngeDechu
L'exemple le plus acheté étant le Meurtre de Roger Ackroyd
Spoiler: montrer
(dans lequel le meurtier est le narrateur)
Mais voici mon exemple, qui me tourmente.

Je planifie de leurrer, de tromper délibérément mes lecteurs au moyen de la ruse suivante

J'ai deux personnages qui présentent les caractéristiques suivantes

1)Ils sont des jumeaux

2)Ils sont nés de père inconnu (plus précisément de père absent) et ils cherchent c'est qui

3)Un très puissant personnage cherche à les trouver (mais pas à les tuer). Le dit personnage a une réputation in universe pas du tout, mais alors pas du tout comparable à celle de Darth Vader, pourquoi pensez vous à de telles choses ? (En fait, c'est plus comme un mix du Cardinal de Richelieu et de Darth Vader, quoique le mien sous-traite les mises à mort brutales)

Ce setup mène à une conclusion évidente : j'ai pillé Star Wars, il va y avoir un moment ''No, ''I'' am your father'', tra la la.

Sauf que, genre, si la mère ne parle pas du père, c'est parce qu'elle ne sait pas trop c'est qui-elle avait bu un peu plus que de raison cette nuit là. Le puissant personnage en question (qui est un ecclésiastique de haut rang, avec de multiples mentions qu'il a la réputation de respecter scrupuleusement ses voeux) cherche surtout à touver les deux personanges parce qu'il appréciait réellement leur mère. Dans une ''twist'' originale, il réalise aussi qu'il va passer pour le père, ce qui ne peut qu'aider ses deux supposés rejetons.

Tromper le lecteur de cette facon : bon, mauvais ?

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : dim. sept. 25, 2011 9:12 pm
par Niniane
En trompant tes lecteurs, il me semble que tu risques d'en décevoir une partie, qui ne s'attendait pas à être trompée.
Après, je suppose que ça dépend beaucoup de la manière dont tu le gères et dont tu l'exposes. L'importance de l'élément où tu trompes doit jouer aussi : si tu trompes tes lecteurs sur un point majeur du scénario, c'est un tantinet plus agaçant qu'un point moins important.

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : dim. sept. 25, 2011 10:08 pm
par LHomme au Chapeau
Tromper le lecteur est plus compliqué dans un roman que dans une nouvelle (dite "à chute").
Une nouvelle se lit généralement assez vite et, si le lecteur est entraîné par l'histoire, il ne réfléchira pas trop aux pièges.
J'avais écrit un truc comme ça, en pensant au lecteurs de SF. En lisant l'histoire ils ne pouvaient que penser à un paradoxe temporel. Je n'utilisais pourtant jamais le mot. Seule l'action prétait à confusion (y compris pour l'héroïne d'ailleurs). Bien sûr le paradoxe était un leurre.

Pour un roman c'est plus compliqué parce qu'il faut tenir dans la durée. L'idéal est sans doute d'avoir plusieurs pièges en parallèle. PLusieurs pistes d'approche. Ce qui nécéssite de semer des indices. Y compris des indices qui mènent à la vraie solution. Combien de fois me suis-je dis en lisant un roman ou en voyant un film : "j'y avais pensé au début" et ensuite, pris par l'action ça m'était sorti de l'esprit.
Si le coup de star wars parait gros, tout le monde va penser que c'est un piège. S'il n'est que suggéré et qu'une autre piste se dessine on l'oubliera pour y revenir avec plus de crédibilité quand d'autres indices conforteront cette idée. Et si en final ce n'est pas ça il faudra que ça ne paraisse pas artificiel. Que le lecteur puisse se dire : "oui bien sûr, il y avait ça et ça qui me préparait au final et je ne l'ai pas vu".

Bienvenue au club "Machiavel"

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : lun. sept. 26, 2011 1:39 am
par Bergamote
Selon moi, mais attention c'est purement personnel, tromper le lecteur est un penchant des plus dangereux. Le souci ici, c'est que je crois n'avoir pas compris dans quelle mesure tu trompes ton lecteur.

Ce que j'ai compris c'est que durant tout ton récit, la mère ne dit pas à ses fils qui est leur père parce qu'elle avait trop bu lors de leur conception. Donc qu'elle ne va jamais prononcer son nom en tant que père possible, et que c'est quand tes deux personnages vont être en contact avec lui qu'il va y avoir la "révélation". C'est ça ?

Pour moi, après tout dépend de la façon dont tu as articulé ton récit, je ne vois pas vraiment en quoi tu trompes le lecteur. Sauf, si ses fils lui demande clairement qui est leur père et qu'elle leur dit qu'elle n'en sait rien. Mais encore une fois ce n'est pas de la tromperie puisqu'elle n'en sait rien justement. J'ai l'impression du coup que tu te poses un faux problème.

Personnellement, j'ai fait en sorte de laisser au lecteur le libre droit de se tromper sur les conséquences des actions de chacun de mes personnages. Mes chapitres sont découpés de telle façon que mon récit se déroule au fil des points de vue de plusieurs personnages. Chacun cherche quelque chose, je ne dis jamais, en tant que narratrice, qui agit bien ou mal. Ce sont mes personnages qui entrent en conflit entre eux. Du fait de leur personnalité. Pas moi qui impose les choses.

Donc du coup, je crois qu'il y aura à la lecture de l'ensemble de mon récit, plusieurs camps. Des lecteurs partisans de mon personnage principal ou alors d'autres plus adeptes du personnage qu'elle "combat". Le tout étant de dire que chacun a un but, qu'il choisi d'atteindre avec ses propres moyens. Je ne cache jamais rien des intentions de mes personnages, sauf d'un, mais c'est très court. Je ne mens pas à mes éventuels lecteurs, je les laisserai imaginer des conséquences, qui seront peut-être différentes de celles que j'ai choisi de mettre en marche.
Du coup, ce ne sont pas les lecteurs que je trompe, je les rends, par contre, témoins des tromperies que je fais à mes personnages. Ce qui est pour moi plus intéressant. Mais ça c'est mon avis.

Un exemple concret, qui n'a rien à voir avec mon roman, mais qui résume ma façon d'articuler les choses.

A mange une pomme qu'il a prise dans le panier de fruit de B, puis s'en va.
B, qui est un incorrigible avare, va compter les pommes du panier de fruit et se rendre compte qu'il en manque une. C'est un avare, il va chercher à savoir qui a mangé cette pomme.
Quand A a fini de manger cette pomme, il jette le trognon par terre.
C trouve ce trognon, alors qu'il se promène avec des amis, et le jette à la poubelle.
B va apprendre que C, qui n'a jamais accès à des pommes, a jeté un trognon de pomme dans une poubelle. C'est donc lui le voleur.
B va chercher à faire payer cela à C.
A va vouloir aider C, un peu désolé d'avoir provoquer cela, mais tout en gardant secret le fait que c'est lui le réel voleur de pomme. Parce A est comme ça, c'est dans son caractère, il ne voit pas en quoi voler une pomme pourrait provoquer un cataclysme universel.

Le résultat c'est que, j'ai induit mes personnages en erreur. Le lecteur en est témoin, il est complice de cela. Par contre, là où il n'est pas complice c'est sur les conséquences que vont amener ce vol de pomme. C'est moi qui les choisi et qui vais les proposer au lecteur. Et c'est là que le lecteur va choisir son camp. Certains aimeront A pour son côté voleur de pomme et roublard. D'autres B, parce que nom de dieu, on ne vole pas une pomme comme ça, il faut que quelqu'un paye. Et les derniers, C, parce que polluer c'est mal et que c'est toujours les avant-gardistes qui en prennent plein la tronche.

En gros, je préfère surprendre le lecteur en lui tissant une toile de conséquences, plutôt qu'en lui cachant qui a volé la pomme, alors que A, lui, sait très bien qui a volé la pomme. Je trouve cela plus intéressant.

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : lun. sept. 26, 2011 5:37 am
par LHomme au Chapeau
Superbe démonstration, Bergamote.
Merci pour ce point de vue très instructif.

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : lun. sept. 26, 2011 12:01 pm
par petit_pavé
Très bel exemple Bergamote :heart:

Je suis d'accord, je ne vois pas non plus la notion de "tromperie" par rapport à ton scénario, AngeDéchu.

Et puis, dans un texte dans lequel il y a un certain "mystère" à résoudre, je pense que le lecteur s'attend dans une mesure raisonnable à être surpris. Cela ne l'empêche bien sûr pas à se livrer au petit jeu du "je vais essayer de découvrir la solution par moi-même grâce aux indices qui me sont fournis", mais en général, il aura tendance à apprécier si malgré tout, tu arrives à donner à ton mystère un aboutissement qu'il n'aura pas deviné à l'avance.

Dans ce cas il ne s'estimera pas vraiment trompé ou lésé, il aura plutôt tendance à se dire "ah, bien joué, je ne l'avais pas vue venir, celle-là".

Je vois plutôt cela comme un jeu entre l'auteur et le lecteur, où les deux sont complices, plutôt qu'une forme de tromperie. C'est même à mon sens un plaisir partagé: l'auteur se fait plaisir en distillant quelques éléments de vérité au milieu de tout un tas de fausses pistes... et le lecteur tente de débrouiller tout cela en se disant "tu ne m'auras pas". Ou encore une seule "fausse piste", solide en apparence, bien avérée, sur laquelle on peut jouer pour retourner la situation à la fin d'une manière inattendue. Là le lecteur peut être plus surpris: mais après, rétrospectivement, en recoupant les différents éléments, il peut apprécier la manière dont il a été "mené en bateau".

Après, comme l'a dit Niniane, tout dépend de comment tu présentes les choses. Mais j'ai tendance à penser qu'il n'y a pas vraiment de "tromperie" possible en écriture. Pas de tromperie que l'on puisse reprocher à l'auteur, du moins. C'est un jeu: en lisant, on laisse l'auteur nous y entraîner.

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : lun. sept. 26, 2011 12:09 pm
par LHomme au Chapeau
petit_pavé a écrit :Je vois plutôt cela comme un jeu entre l'auteur et le lecteur
+1
Le mot "tromperie" est en effet trop fort.
Mais jouer avec les stréréotypes (ici : la culture starwars) fait partie des règles pour entraîner le lecteur dans le jeu de l'écrivain.

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : lun. sept. 26, 2011 12:43 pm
par Bergamote
Merci ^^

J'espère que cela pourra aider AngeDechu.

Ensuite pour ce qui est de jouer sur les stéréotypes, je suis assez d'accord. C'est assez drôle de jouer avec les "préjugés" que peuvent avoir les lecteurs.

" Tiens une blonde de 55kg qui doit combattre un ogre. Bah c'est sûr soit elle couche avec lui, soit elle meurt. Ou alors ça va être encore l'orpheline du barbare du coin. Ah ! Non ! Elle meurt pas ! Je rêve où elle vient de tuer un Ogre en lui enfonçant par accident son petit doigt dans le nez ? Euh... Comment ça elle se lèche le petit doigt après avoir fini le combat ?! Eurk oO !"

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : lun. sept. 26, 2011 12:44 pm
par gallae
Je voulais juste intervenir par rapport à ce que dit petit_pavé :
petit_pavé a écrit :Mais j'ai tendance à penser qu'il n'y a pas vraiment de "tromperie" possible en écriture.
La tromperie est tout à fait possible en lecture. J'en ai fait l'expérience dans un roman en début d'année et je peux dire que ça fait très bizarre. C'est un pari risqué car le lecteur peut se sentir frustré d'avoir imaginé la moitié du roman d'une certaine manière alors qu'à partir de la seconde partie, la vérité l'oblige à modifier tout ce qu'il avait en tête. La tromperie réside dans le fait que dans le roman, à aucun moment, le moindre indice ne permet ne serait-ce que de soupçonner cette vérité.

Ce qui me fait dire que dans le cas d'AngeDechu, ce n'est pas une tromperie puisque des indices seront semés, mais bien un mystère dans le récit.

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : lun. sept. 26, 2011 12:58 pm
par petit_pavé
gallae a écrit : La tromperie réside dans le fait que dans le roman, à aucun moment, le moindre indice ne permet ne serait-ce que de soupçonner cette vérité.
J'avoue, dans ce cas-là, c'est différent. Mon avis relève surtout du fait que je n'ai jamais eu affaire avec un récit de ce genre (ou du moins je ne m'en souviens pas): j'ai même un peu du mal à imaginer la chose.

Ca doit effectivement faire vraiment bizarre... donner l'impression que l'auteur a changé d'avis (et de scénario) en cours de route sans prendre la peine de modifier le début? :shock:

Et là, c'est vrai que le risque de frustrer le lecteur est grand, surtout si on "dévie" sur un thème qui ne l'accroche pas forcément.

Quoique dans ce cas-là, j'ai bien un exemple en tête, mais qui remonte à loin. Ma lecture de cette oeuvre date beaucoup, donc mes souvenirs me jouent peut-être des tours, mais je me rappelle "Les fourmis" de Weber m'avait fait cet effet. J'ai adoré le début quand on suit les fourmis dans leur vie... puis, après un long moment de délicieuse immersion dans ce micro-univers, le ton change totalement et l'histoire dévie brusquement sur une interaction entre fourmis et humains que j'ai trouvé à l'époque totalement "déplacée". Résultat: j'ai complètement décroché. Je pense que je n'ai même jamais fini le premier tome (c'est un tort, sûrement, mais j'étais jeune). Mais je m'en souviens toujours, parce que ma "déception" en tant que lectrice a été à la hauteur du plaisir que j'avais pris à lire la première partie.

Bon je ne me rappelle plus si dans ce cas des éléments auraient dû me mettre la puce à l'oreille plus tôt: cela fait longtemps et je n'étais pas encore vraiment une lectrice chevronnée non plus.

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : lun. sept. 26, 2011 12:59 pm
par Elyna
Très bel exemple Bergamote, très clair !

Par rapport à ton scénario, AngeDéchu, je suis d'accord avec Petit_pavé. Je ne vois pas où est la tromperie, c'est plutôt une sorte de "mystère" dissimulé dans les pages, au lecteur de voir juste ou non. Et comme le dit petit_pavé, dans ces cas-là, je pense que c'est plus un jeu entre lecteur et auteur qu'une possible frustration.

+1 pour jouer avec les stéréotypes. Mais là, il faut faire attention à rester crédible d'une part et cohérent d'une autre.

Pour revenir au sujet principal, je ne suis pas pour la tromperie pure. À moins que celle-ci soit réellement très bien menée. Car comme le dit gallae, c'est un pari très risqué avec le lecteur. Et selon en quoi réside cette "tromperie", ça peu devenir d'autant plus frustrant. C'est pourquoi, personnellement, je suis plutôt partisane de dissimuler çà et là des indices, même faux, pour aiguiller le lecteur dans un sens ou un autre pour qu'au moment de la Révélation, il se dise "ah mais oui, le pire c'est que j'y ai pensé mais ça, ça et ça m'ont fait croire que le méchant c'était lui (par exemple)".

Tromper le lecteur, pour moi, pourquoi pas. Mais tout dépend sur quoi le tromper et comment s'y prendre.

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : lun. sept. 26, 2011 1:21 pm
par @now@n
J'ai un personnage qui s'évade de prison. Fermement persuadé - et il se trouve que le point de vue est interne - qu'il s'agit là qu'une erreur judiciaire manifeste.
Les quelques lectrices à qui je fais lire ça se prennent (donc) d'un peu de sympathie pour le bonhomme.
Sauf qu'il apparaît au fil du récit 1) qu'il ne s'agit pas d'une erreur judiciaire 2) qu'il n'est pas si gentil que ça, le monsieur 3) mais pas méchant non plus. Genre humain, en fait.

Je ne crois pas avoir trompé mon lecteur. C'est mon personnage qui se l'est racontée. Nuance. :mrgreen:

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : lun. sept. 26, 2011 2:38 pm
par LHomme au Chapeau
Bergamote a écrit :Je rêve où elle vient de tuer un Ogre en lui enfonçant par accident son petit doigt dans le nez ?
:lol:
Soit la blonde a le petit doigt long (pour aller jusqu'au cerveau d'un ogre)
Soit c'est une brune teintée ^^
Ok ! :arrow:

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : lun. sept. 26, 2011 6:16 pm
par Siana
Hum, est-ce que cela s'apparenterait à une fausse-piste ? Parce qu'une fausse piste trompe le lecteur durant un certain temps, pour ensuite le surprendre. Il y a aussi le non-dit, généralement avec des indices qu'on ne comprend qu'après-coup.
Pour moi ce sont deux sortes de tromperies.

Re: Induire délibérément le lecteur en erreur ?

Posté : lun. sept. 26, 2011 6:22 pm
par blackwatch
Ca me fait penser à un bouquin formidable, où d'un bout à l'autre la narratrice joue avec nos nerfs. Elle le dit d'emblée de jeu qu'elle est une menteuse. Et pourtant on ne peut s'empêcher de la croire jusqu'au bout, même quand elle revient sur ses affirmations précédentes et avoue qu'elle a menti. Non seulement ce jeu n'est pas lassant, parce qu'on ne peut pas s'empêcher d'aimer la narratrice, une jeune fille qui s'appelle Micah, mais en plus, d'un point de vue personnel, ca ne m'a pas du tout dérangée. Car je suivais chaque destin de Micah, qu'il soit faux ou non, avec un vrai intérêt. Non pas que je ne voulais pas savoir la vérité (forcément!) mais je ne pouvais m'empêcher de la croire, tout simplement. Ce roman est tout à fait génial, autant pour la caractérisation des personnages que pour sa structure interne. L'auteur s'en est brillamment sortie à tous niveaux et a créé une histoire passionnante.