Asia a écrit :Sinon, je vais me faire l'avocat du diable, mais concernant la distinction hommes-femmes, c'est le tabou à la mode, on dirait? Tout le monde se récrie contre ça, pourtant dès qu'on parle de public cible ou de profil de lecteur, le sexe/genre est immanquablement mentionné comme exemple.
Vous n'avez qu'à relire les posts de ce fil, c'est frappant. Alors, c'est vraiment qu'on ne la voit pas, cette différence, ou bien juste qu'on ferme les yeux très, très fort?
Que ça ait été cité comme contre-exemple ne signifie pas qu'on y adhère sans l'admettre consciemment, mais plutôt que ça a marqué tous les esprits. Du coup, je ne vois pas trop en quoi ce serait un tabou
Asia a écrit :La non-mixité est un outil féministe, et je ne vois pas pourquoi il ne fonctionnerait pas dans la littérature. Le fait de pouvoir écrire sans chercher à plaire aux hommes. En cherchant à plaire aux femmes en dépit des hommes. En négligeant les hommes. Pour une fois. Le regard des hommes est tellement lourd et omniprésent; on ne s'en rend pas compte quand on ne le vit pas, mais c'est étouffant. (En même temps, l'égalité hommes-femmes n'est pas que l'affaire des femmes, les hommes aussi peuvent réfléchir en non-mixte. Ça, ce serait cool.)
Pas du tout
Je rejoins Célia sur ce point. Les mouvements féministes ont toujours été particulièrement diversifiés, de toute façon
Mais, si l'on écarte les extrêmes, la préoccupation est plutôt de ne pas être mis à l'écart par rapport à une "norme" qui serait masculine. Je me rappelle d'un texte de Madeleine Pelletier (c'était une féministe du XIXe siècle), qui expliquait que le fait même se
séparer hommes et femmes (dans son cas, c'était dans l'éducation) conduirait à un jugement de valeur, selon lequel l'éducation de l'un des groupes serait perçue comme supérieure à celle de l'autre.
Mais ici je ne crois pas que ce soit vraiment la question. Dire "ceci est pour garçons" est tout aussi réducteur que "ceci est pour filles".
Asia a écrit :Beorn a écrit:
Vouloir se consacrer uniquement à une moitié de l'humanité, je trouve cela très triste.
étant donné que c'est ce qu'ont fait tous les classiques jusqu'à relativement récemment. Ils se consacraient aux hommes. Je rappelle quand même que les femmes ont eu le droit de vote en 1944 en France; cela nous rappelle un peu l'importance de la femme dans l'ordre symbolique de l'humain "civilisé" pendant l'immense majorité de son histoire...
Euh, là tu m'as un peu choquée, j'avoue
A te lire on dirait que tu nous dis que, puisqu'il y a toujours eu distinction, c'est normal qu'il y en ait une. Ben, euh, comment dire ? L'esclavage n'a été aboli qu'en 1848 en France. Est-ce que ça implique que, puisque ça a duré si longtemps, il y a une supériorité des colons sur les Noirs ?
Tu vas me dire que je pars dans des cas extrêmes, mais la formulation de ton exemple m'a vraiment estomaquée
Tu voulais peut-être dire qu'il est vain de nier une différence des attentes des hommes et des femmes ? ou qu'on ne peut pas balayer un héritage "idéologique" qui a longtemps confiné les lectures des femmes dans une certaine case ?
Mouais. Je vois pas trop ce que ça expliquerait sur la façon de faire
de nos jours. Comme tu dis, les femmes avant 1944 (pour simplifier) étaient perçues comme des éternelles mineures (surtout au XIXe). C'est pour ça que la mentalité de l'époque voulait qu'elles n'aient pas les mêmes activités culturelles que les hommes. Ou plus exactement, écrire "pour les hommes" était surtout dû au fait que c'était les hommes qui avaient surtout accès à la culture. Mais d'ailleurs, cette idée-même qu'avant on n'écrivait que pour les hommes n'est pas tout à fait exacte...
Pour le contenu
réel desdits classiques, je rejoins là aussi Célia.
Célia a écrit :Les classiques ne se consacrent pas tous aux hommes, même s'il s'agissait du principal sujet (car le mieux connu) des écrivains. Le fait est que les écrivains étant majoritairement des hommes, du coup les héros en étaient majoritairement aussi.
Si l'on excepte Madame Bovary, la moitié des Rougon-Maquart, la Princesse de Clèves et quelques autres. Qui sont loin en plus d'offrir une "mauvaise" image de la femme (comparée à celle de l'homme décrit par les mêmes auteurs)
Oui, en plus, dire "les classiques" comme ça, c'est un peu réducteur... Jane Eyre et tout ça, c'est des classiques aussi ! Pourtant c'est des histoires d'amour et l'héroïne est une femme. Et, à partir du moment où les femmes ont eu accès à l'éducation et à la possibilité de lire, je ne crois pas qu'il y ait eu moins de femmes pour lire
La Chartreuse de Parme ou
A la recherche du temps perdu que d'hommes
Asia a écrit :Pour finir, je trouve ça vraiment pompeux, ce "une moitié de l'humanité"... Genre parce que déjà c'est sûr qu'on se fera traduire dans toutes les langues du monde...
Je commencerais par dire que vous n'écrivez sans doute que pour les francophones, voire que pour les Français: est-ce que ce n'est pas triste, cela? Qu'est-ce que c'est que cette "universalité" bien trop commode qu'on ne ressort que lorsqu'il est question d'essayer d'aborder l'inégalité hommes-femmes, alors que quand on n'écrit que pour des gauchistes, que pour des pessimistes ou que pour des personnes ayant reçu une éducation supérieure, cette nécessité de l'universalité soudain s'évanouit...
Mais tu te places pas sur le même plan dans ta réponse
Ecrire pour une moitié de l'humanité, ça veut dire que ça tendrait à exclure
a priori un soi-disant type de public qui, numériquement, constitue la moitié de l'humanité.
Là tu nous parles de possibilité d'être lu. C'est pas la même chose du tout
Et quand tu parles d'écrire pour les pessimistes, les "gauchistes" (c'est un terme assez connoté, d'ailleurs
Qu'est-ce que tu appelles écrire pour les gauchistes ?
) etc... Oui, effectivement, un livre choisit son public (parce qu'une personne ayant une idéologie ou des goûts opposés ne voudra pas le lire, ou ne l'aimera pas). Mais ces catégories correspondent à des choix et à des positionnements de l'individu. Alors qu'écrire pour des hommes ou pour des femmes, d'une part c'est vouloir artificiellement choisir un groupe de personne auquel on colle une étiquette (et non pas des individus), et d'autre part, c'est supposer que tous les hommes d'un côté, et toutes les femmes de l'autre, ont des goûts qui leurs sont propres et qui sont induits par leur identité sexuelle. Personnellement, c'est justement ça qui me dérange dans le fait d'avoir une littérature pour filles et une littérature pour garçons
Asia a écrit :Pour ma part j'ai tendance à croire que c'est de la bullshit. La seule universalité en littérature, c'est l'honnêteté (qui est beaucoup plus facile à atteindre dans une communauté d'expérience qu'en invitant nos oppresseurs structurels à la table)
Qu'est-ce que tu appelles honnêteté ? Le fait de s'adresser à un autre être humain, quel qu'il soit, pour lui transmettre une histoire ? Il me semble que c'est justement un peu ce qui se disait dans ce sujet, justement... ^ ^
Voilà, désolée pour ma tirade, mais ton message m'a un peu fait bondir, Asia
En fait, j'aurais dû m'abstenir de vous asséner un message si long, et me contenter de plussoyer Taki qui résume parfaitement mon avis :
Takisys a écrit :Je suis contre les cases et les stéréotypes en général et celle là en particulier.