D'après mon analyse, c'est la clef de voûte du "système Truby", même si je sais que d'autres n'y voient qu'une idée parmi d'autres.
Je vais probablement déclencher chez certains d'entre vous un tonnerre de protestations avec ce concept, alors je précise tout de suite que c'est l'idée de M. Truby et non la mienne (et en plus, c'est un résumé : ceux qui l'ont lu, n'hésitez pas à préciser les choses si vous n'avez pas eu la même lecture).
Ce que j'en pense, moi ? Je trouve ça intéressant, mais pas du tout universel.
On y retrouve beaucoup d'histoires hollywoodiennes. Mal prémâché, ça peut donner d'infâmes clichés, mais bien développé, c'est un concept qui peut donner de beaucoup de force et d'émotion à vos personnages. Mais en aucun cas, je ne pense que c'est un "passage obligé", contrairement à M. Truby.
[les autres fils :
Le choix de l'adversaire
Le conflit dans lieu resserré
Le personnage secondaire
"L'arène" ou l'unité de lieux]
Voilà.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ce sujet, mais je vous laisse déjà jeter des tomates. Si nécessaire, j'apporterai des nuances et des précisions au cours de la discussion.Lavandier dans "La dramaturgie" utilise le concept de "but à atteindre" et "d'obstacle à résoudre" et il précise : les meilleurs obstacles sont ceux qui tiennent à la personnalité du héros, autrement dit, des obstacles "internes" (phobie, timidité, violence, éducation trop ceci ou cela, maniaquerie, fanatisme etc., il y a une infinité d'exemples).
Par ex : le chevalier X doit sauver la princesse pour gagner beaucoup d'or. Obstacle externe : le dragon qui la garde. Obstacle interne : c'est un trouillard.
Or M. Truby reprend ces concepts mais va plus loin.
Il admet qu'il faut un but au personnage (un objectif concret à atteindre que le personnage se fixe, ici : sauver la princesse et gagner son or).
Et selon lui, non seulement le meilleur obstacle est interne, mais cet obstacle-là est le principal "moteur" du personnage, c'est ce qui le définit avant toute chose.
Il faut donc que l'auteur construise son personnage sur une faiblesse. (ici : c'est un trouillard)
Mais pas n'importe laquelle !
Une simple faiblesse "psychologique" (telle qu'évoquée plus tôt) ne suffit pas. Il lui faut une faiblesse "morale".
La faiblesse morale est une faiblesse psychologique mais additionnée d'une idée supplémentaire : le lecteur doit le voir faire souffrir au moins un autre personnage au cours du récit.
C'est le lecteur qu'il faut convaincre que cette faiblesse est "morale", c'est à dire que la victime ne l'avait pas méritée.
Par exemple : X croise une demoiselle en train de se noyer dans une rivière. Etant trouillard, il préfère lui tendre une perche plutôt que de plonger et elle se fait manger la jambe par une créature marine.
La nature de cette souffrance importe peu : humiliation, blessure physique, mort, perte d'emploi ou de statut social, opportunité ratée... En revanche, elle doit être suffisamment grave, sans quoi, la faiblesse du héros n'est pas "morale".
En outre, elle doit intervenir suffisamment tôt dans le récit (il ne fixe pas vraiment de règle, mais à peu près dans les 5%/15% du début, je dirais) pour que le lecteur puisse intégrer les ressorts du personnage et comprendre le problème à résoudre. Autrement dit, pour qu'il ne se trompe pas d'histoire et qu'il puisse en apprécier les enjeux à chaque scène, chaque conflit, chaque épisode de l'intrigue.
Si la demoiselle qui perd sa jambe arrive à 75% du roman, alors pendant 75% du roman, le lecteur ignorera que le héros a une faiblesse morale. Dans chacune des scènes où cette faiblesse interviendra, il ne comprendra pas les enjeux.
TOUT le roman, selon Truby, consiste à apporter une réponse à cette question principale : le héros va-t-il oui ou non réussir à surmonter sa faiblesse morale ?
Le héros lui-même n'a pas conscience de sa faiblesse morale : tout occupé à atteindre son but, il s'enfonce de plus dans cette faiblesse au cours du roman.
Il y a bien sûr une myriade d'autres questions, personnages, intrigues et sous-intrigues, mais toutes doivent mettre en lumière et en valeur cette question-là.
(c'est le fameux aspect "organique" du roman : tous les éléments doivent être liés).
La fin du roman ne s'achève que par deux conclusions possibles : soit le personnage a la "révélation" de sa faiblesse et il se transforme (X finit par surmonter sa peur, même si ce tout n'est pas forcément tout rose), soit l'absence de révélation et l'échec du héros (qui doit dans ce cas se retrouver dans une situation encore pire qu'au départ, et malheureux).
Ce qui n'empêche pas que la vie continue, que d'autres problèmes puissent surgir à la fin etc.
Le fait qu'il atteigne ou non son "but affiché" n'est pas le plus important, au contraire : peut-être que finalement, il n'y avait pas de princesse dans le donjon, ou que X ne gagnera pas un sou pour l'avoir sauvée. Ou peut-être que si. Peu importe.