[A] Pourquoi vous riez ? (comment faire rire)

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prionfou
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par prionfou »

Ouh ! L'humour. Vaste sujet. Groucho Marx, qui s'était essayé à la tragédie sur la fin de sa carrière, disait effectivement dans ses mémoires qu'à sa avis, faire rire est beaucoup plus difficile que faire pleurer.
Y'avait un article fort intéressant dessus dans New Scientist il y a deux ans — j'ai fini par le retrouver ici, si vous lisez l'anglais : https://notes.utk.edu/bio/greenberg.nsf ... enDocument

En gros ils expliquent que ce que l'on trouve drôle repose la plupart du temps sur une incongruité. La nature de cette incongruité peut varier grandement :
  • Incongruité entre la dignité d'une personne et l'indignité de sa position : ex. quelqu'un qui trébuche et se retrouve sur les fesses (absolument hilarant pour les 6-12 ans).
  • Incongruité entre ce qui devrait se passer et ce qui se passe réellement : ex. le prof de Chimie qui énonce à la salle "Et ainsi que vous pouvez le voir, la solution tourne au vert pomme" — alors que l'éprouvette derrière lui est rouge vif et commence à fumer. L'absurde fonctionne aussi comme cela. À noter que "ce qui devrait se passer" peut être compris au sens physique… ou au sens moral : par exemple, la plupart des blagues sur les prêtres, qui reposent généralement sur leurs interdits. À noter enfin que cela fonctionne aussi à l'inverse, càd dans un contexte où la physique et/ou la morale fonctionnent différemment : par exemple dans De Bons Présages (Neil Gaiman / Terry Pratchett), l'antéchrist reçoit pour son 12è anniversaire un molosse des enfers, qui aura pour mission de le protéger et dont la forme va dépendre du nom qu'on lui donne. Le gamin décide de l'appeler "Toutou".
  • Incongruité entre ce que l'on comprend/attend initialement d'une situation (de par notre tendance à "remplir les trous"), et la réalité révélée ensuite :
Groucho Marx a écrit :"Votre livre m'a fait mourir de rire. Un jour, j'ai bien l'intention de le lire."
La Cité de la peur a écrit :"N'entrez pas, M. le commissaire, c'est une véritable boucherie là-dedans." -- Et lorsque la porte s'ouvre...
  • Incongruité entre ce que deux personnes comprennent. Friends fonctionne souvent comme cela. Pratchett l'utilise aussi souvent -- je ne sais plus dans lequel mais à un moment, un jeune sorcier réalise une invocation et croit avoir appelé un démon; en fait il a récupéré l'incapable magicien Rincevent, qui est bien à la peine de lui accorder ses souhaits. Un peu plus loin (en VO), le jeune sorcier lui réclame des minéraux ("Ores"), Rincevent rougit et lui répond qu'il est trop jeune (il a compris "wh...", ahem).
  • Etc.
La liste pourrait être prolongée ad nauseam — un ouvrage qui s'y était intéressé dans les années 1920 avait trouvé 88 types différents, et l'auteur aurait sans doute pu en trouver d'autres si une enclume ne s'était pas subitement matérialisée au-dessus de sa tête.

Une différence intéressante entre l'humour classique et l'absurde, est que le premier aura tendance à "résoudre" l'incongruité à la fin (exemple : Friends, l'erreur d'un personnage finit par lui apparaître, tout rentre dans l'ordre) alors que l'absurde n'en a pas besoin ; il peut même en fait accumuler les incongruités (exemple : les Monty Pythons, Douglas Adams, etc.). La préférence entre les deux genres d'humour semble lié à la personnalité (une préférence pour l'ordre et la rationnalité dans le premier cas, ou pour l'aventure et la découverte dans l'autre) et à certaines parties du cerveau (mais bon après, inné/acquis…).

Enfin, un dernier point intéressant est que certains animaux rient aussi : certains primates, et même peut-être les rats (http://moreintelligentlife.com/story/th ... -of-humour) — autant pour Descartes. Les chercheurs pensent donc que l'humour pourrait être un cadeau de la nature (rejoignant ainsi d'autres, comme les chatouilles* ou l'orgasme) pour nous forcer à apprécier les choses qui ne se passent pas comme prévu — en d'autres termes, chercher les exceptions et ne pas se fier aux premières impressions.

I hope it helps...

----
* PS: Sur les chatouilles, une théorie (observées sur les rats, notamment) est qu'elles servent à inciter les jeunes d'une espèce à apprendre à se défendre en faisant attention à ses points faibles (les articulations, les parties molles du corps) et en se bagarrant "gentiment" entre eux. Pas grand-chose à voir avec l'humour, en effet.
Modifié en dernier par prionfou le jeu. août 30, 2012 3:47 pm, modifié 2 fois.

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Milora
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Milora »

Alors là, par contre, je suis parfaitement convaincue par ton post, prionfou ! J'irais bien lire l'article si je ne craignais pas le mal de crâne pour cause d'anglophobie chronique :lol:


Sobota -->
Baudelaire est très comique. Je ne sais pas si tu as eu les Curiosités esthétiques sous la main, ou le Spleen de Paris, mais c'est irrésistible.
Hm, pas lu celui-là, et ce que j'ai lu su Spleen de Paris ne m'a vraiment pas fait rire ^^ (mais en même temps, ton exemple en citation non plus ne me fait pas dire ; ça doit être question de goût).

Si je comprends bien ton explication, tu veux dire que le comique absolu c'est juste la même dégradation que le comique social, sauf que ce n'est pas associé à la position sociale de l'individu moqué, mais à des éléments plus... ben, absolus, sans l'associer ni à la personnalité de la personne, ni à sa "personnalité sociale" (au cas où, comme l'avare de Molière, il représenterait un groupe social dans son entier) ?
Ça ne me semble pas faux comme délimitation, mais ça ne me semble pas complet, j'ai l'impression que ça ne prend pas en compte tous les types d'humour...
Je ne suis pas d'accord pour différencier les ressorts comiques de l'iconographie de ceux de l'écriture ou de la scénographie. Je pense que l'on rit aux mêmes choses.
Je dirais que ça dépend du degré de détail auquel on s'attache. Dans l'absolu, oui : un quiproquo peut faire rire autant au théâtre qu'à la télé que dans un livre. Mais dans le détail, il y a quand même des effets propres à un ou à l'autre (ex : la citation de Jasper Fforde sur la cornemuse, c'est purement "textuel" si on peut dire. Une grimace comique, ça ne fera pas rire si elle est décrite dans un livre - à moins que la description ne s'appuie sur d'autres ressorts comiques).
Mais hors contexte, donner une recette déterminant l'ordre que doivent suivre les mots pour faire rire, ça semble impossible. Il y a des figures de style, il y a le style des auteurs, ce qu'ils veulent dire, leurs propres mots. Sans ces quatre éléments devant elle, la raison objective ne peut rien faire.
Encore une fois, je ne parle pas de recette ; mais je vais arrêter de me répéter ;)
Mais je reste persuadée qu'un il y a plusieurs "niveaux" pour approcher l'humour dans la fiction. Le niveau de la structure de l'oeuvre comique (il me semble que c'est là que se situait Lavandier, d'après les citations de Beorn), le niveau intermédiaire du type d'effet comique (dont tu parles), et le niveau de l'effet comique lui-même (ce dont j'essayais de parler, ce dont parle l'article de Pironfou).
Siana a écrit :Le rire, c'est bon pour la santé ! :mrgreen:

J'aime bien les textes humoristiques, bien que l'humour en général ce soit pas trop mon truc. D'ailleurs, je me souviens encore bien d'une nouvelle où un pouce trouvait un malin plaisir à déranger son propriétaire dans un soudain besoin d'indépendance. ^^

Bon, très intéressant, tout ça, mais j'ai mangé de l'humour durant mes deux ans de BTS pour que le thème du rire tombe ensuite à l'examen, donc ça m'a suffit. (En fait, tu aurais dû ouvrir ton fil avant mes épreuves, Mil, ça m'aurait vachement aidée ! ^^)
Hihi, il me semble que je peux plaider coupable ? :roll:
Mauvais timing pour l'exam ! Mais tu peux toujours nous dire ce que tu as appris à ce sujet ? :lect:
Beorn a écrit :A une blague absurde qui nous fait rire (du genre "pas de bras, pas de chocolat") on pensera "c'est vraiment trop bête", et c'est cette "bêtise" même qui rend la blague drôle.
Hm, je suis toujours pas convaincue... Je crois qu'on rit de l'incongruité du rapprochement, et qu'une seconde après on se dit "non, quand même, c'était bête..."
Ça m'est arrivé hier avec une série télé. La réplique disait :
"- Il est mignon ce chat, il est tatoué ?
- Ben oui, il est à moué !"
Ce qui m'a fait rire c'est pas de penser que c'était bête, ni même la faiblesse du deuxième personnage qui n'a pas compris "tatoué" ; c'est l'inattendu de la réplique, le jeu de mots qui remplace quelque chose d'attendu par un truc inattendu (du coup, "incongruité" c'est bien mieux que "décalage"). C'est après (une fois que j'avais trouvé ça drôle), que je me suis dit "non mais c'est complètement idiot en fait".
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Siana
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Siana »

J'ai appris les fonctions du rire, entre autre, et à savoir plus ou moins les reconnaître dans les texte qu'on a lus.
Après, on a surtout lu des textes et vu des humoristes, parce que le but était de se constituer une base de connaissances et d'exemples pour chaque fonction. Au BTS on doit faire une synthèse de plusieurs textes. Le corpus de cette année, c'était ça (pdf). Il fallait faire une synthèse sur le rire, sauf que les textes étaient tous déprimants... Ça parlait de moquerie, d'humiliation et d’auto-dérision. J'ai fini par pondre un truc sur les fonctions agressives et défensives. Déprimant, je vous dis...
La partie expression personnelle posait la question : celui qui fait rire détient-il un réel pouvoir sur les autres ?
J'avais répondu oui, parce que ça peut faire bouger les masses, adhérer à une idée, entre autre. J'avais cité Coluche qui avait eu presque 16% d'intention de vote lorsqu'il s'était présenté à la Présidentielle, un texte du corpus, et puis un ou deux humoristes.

Bref, j'ai eu 13, pas trop mal, et je suis loin de pondre des pavés comme vous sur le sujet. J'aurais dû vous embaucher pour l'épreuve ! ^^

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Lùani
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Lùani »

Milora a écrit :Bref, il me semble que la façon de créer de l'humour dans le texte va surtout reposer sur une inadéquation entre l'événement et la façon dont il est raconté.
Je crois qu'y a Bergson qui a écrit là-dessus, mais j'ai jamais eu l'occasion de le lire et j'ai pas très envie d'aller exprès me plonger dedans. Si quelqu'un connait, qu'en dit-il ?
Dans mes souvenirs qui remontent au lycée (pas très frais, donc), Berson définie le ressort du comique comme "de la mécanique plaquée sur du vivant".
En gros, on rit d'une situation où le sujet agit d'une façon mécanique, alors que la situation donnée aurait nécessité la "souplesse de la vie".
Je ne me souviens pas de tous les cas d'applications, mais en gros :
- Il explique de cette manière une forme de comique "tarte à la crême" : une personne qui se prend un lampadaire a agit de manière "mécanique" (en continuant tout droit) alors qu'il aurait fallut un peu d'agilité (de souplesse de la vie ?) pour l'éviter.
De mon point de vue personnel, je trouve que cette explication colle assez bien avec certains spectacles de clown, où les sketchs semblent parfois très "robotisés" (l'un balance une tarte, l'autre se baisse et c'est le troisième qui prend : on dirait des automates)
- Il explique aussi les comédies de moeurs, où les personnages sont "programmés" pour agir d'une certaine manière (même si le mot programmé n'existait pas dans ce sens à l'époque), et continue d'agir selon cette programmation alors que la situation ne s'y prête plus.
Ca, ça me fait penser à Mr Bean, qui continue à suivre sa logique à lui, même si cela ne fait qu'empirer sa situation à chaque action.

Après... idem, j'ai la flemme de m'y replonger pour retrouver les détails.
Milora a écrit :Jasper Fforde a écrit:
L'atelier d'architecture était propre et en ordre. Une demi-douzaine de pieuvres vêtues de tartan étaient installées sur des tables à dessin, on aurait dit autant de cornemuses géantes - hormis une, qui était effectivement une cornemuse géante."
C'est un peu comme les chutes de blagues : ce qui me parait drôle ici, c'est plus la "bonne construction" de l'effet comique que la cornemuse elle-même.
J'ai une théorie personnelle sur les blagues : une blague marche grâce à l'inertie. Il faut réussir à faire prendre à l'esprit du lecteur une certaine vitesse, dans une certaine direction, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus freiner ou changer de cap en voyant l'iceberg.
(C'est ce qui explique l'effet d'une blague comme celle sur les balles de ping-pong rouge, où la préparation est plus importante que la chute... Si l'inertie est bien amenée et l'iceberg asez gros, on arrive à faire rire de truc qui, au fond, sont vraiment débiles. )

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prionfou
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par prionfou »

Luani a écrit :J'ai une théorie personnelle sur les blagues : une blague marche grâce à l'inertie. Il faut réussir à faire prendre à l'esprit du lecteur une certaine vitesse, dans une certaine direction, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus freiner ou changer de cap en voyant l'iceberg.
(C'est ce qui explique l'effet d'une blague comme celle sur les balles de ping-pong rouge, où la préparation est plus importante que la chute... Si l'inertie est bien amenée et l'iceberg asez gros, on arrive à faire rire de truc qui, au fond, sont vraiment débiles. )
Je pense que c'est très vrai. L'article que je citais (le 1er) mentionne effectivement que les blagues jouent souvent sur le fait que le cerveau fonctionne à différents rythmes, l'un qui prend des décisions rapides, instinctives, et l'autre qui prend plus de temps pour évaluer les situations. Dans ces cas-là, pour que la blague fonctionne, il faut aller à une certaine vitesse, pour que le spectateur ait eu le temps de comprendre le sens apparent de l'histoire, mais pas encore son sens réel (càd la chute). Le nombre de blagues qui plantent parce que l'auditoire a déjà deviné... ;-)

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Tristane Suzette
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Tristane Suzette »

J'ai beaucoup beaucoup de retard sur la lecture de ce fil (et d'autres lectures, d'ailleurs), du coup deux trois petites choses sans raccrocher vraiment.
:merci: Milora pour avoir lancé ce sujet !
:merci: à tous pour vos super contributions !
Il dit que le comique relatif est l'expression du sentiment de la supériorité de l'homme sur l'homme, alors que le comique absolu est celle du sentiment de la supériorité de l'homme sur la nature. Le rire absolu se déclencherait devant des imitations de la nature dues à l'orgueil humain de faire mieux qu'elle. Le comique absolu, c'est l'homme ridicule de par sa condition d'homme, l'homme pitoyable parce qu'il tente d'exister par des gesticulations insignifiantes entre sa naissance et son décès, l'homme qui croit trouver des refuges dans l'amour ou la religion, l'homme qui tente de dérober son cou à la grande Faucheuse.
Ce développement me fait penser à La métamorphose de Kafka.
1) la comédie diminue l'identification
(c'est ce dont je parlais : rire des gens les met "à distance", peut-être pas de petites touches d'humour, mais une comédie massive et délibérée détruit forcément cette identification : on ne peut pas vibrer pour les personnages du "Père Noël est une ordure")
Oui : on s'identifie moins à ce qui a été mis à distance. Mais l'humour crée par la même occasion une connivence. Un personnage-narrateur drôle va mettre à distance les choses qu'il évoque, mais en même temps, créer une connivence, un rapprochement avec le lecteur.
Donc oui, la comédie peut diminuer l'identification avec ce sur quoi porte le rire ; mais l'élément comique en lui-même peut être facteur d'identification. On rit avec le personnage-narrateur.
Ça marche aussi même si le narrateur est extérieur à l'histoire (ouais, je sais, remarque qui ne fait pas avancer le schmilblick).
Milora, de ton point de vue, la connivence lecteur-narrateur est plutôt fondée au détriment du personnage, ou bien elle peut l'être sur d'autres choses ?
Je caricature sans doute, mais j'ai surtout l'idée d'un comique qui se fait au détriment du personnage, vis-à-vis duquel le lecteur se sent supérieur. S'il y a dénonciation, donc, ce serait plutôt une dénonciation façon comédie de mœurs et, si l'auteur choisit bien ses victimes, peut être une dénonciation plus sociétale.
Mais est-ce que la connivence peut s'appuyer sur autre chose que sur la critique du personnage ?
(à mon avis, il y a à creuser du côté de la littérature anglaise, mais je n'y connais tellement rien... ou bien j'ai vraiment la tête dans le guidon...)
Et sinon, comme Roanne, je suis toujours pas convaincue par cette idée de faiblesse :roll:
C'est pas parce que ça retire toute émotion joyeuse, mais c'est parce qu'il me semble qu'on ne rit pas toujours des faiblesses.
Effectivement, ce rire "joyeux", que pour ma part je retrouverai dans Rabelais, ne colle pas avec la définition de Bergson (du moins, pas ce dont je me souviens, et qui se résume hélas à "du mécanique plaqué sur du vivant"). L'étrange naissance de Gargantua, qui me fait sourire à tous les coups, provient en effet davantage de son incongruité que d'une faiblesse.
Et pour revenir à la question que je posais juste au-dessus, ici j'ai l'impression que l'humour se fait non au détriment du personnage, mais du narrateur lui-même.
Baudelaire évoque un merveilleux pays de cocagne, un pays où tout est beau, parfaitement rythmé, parfaitement doux, les meubles sont orientaux, compliqués, les miroirs sont profonds, il y a une femme au milieu de ce décor qui lui sert d'écrin en reflétant son intensité ; mais cette merveille se détruit d'elle-même, ou plutôt Baudelaire sabote son propre dispositif, en disant que là-bas le mal n'existe pas, tout a la bonne conscience des bourgeois, cette conscience reluisante, astiquée, propre comme une belle batterie de cuisine. Et voilà, ce mythe n'était pas un paradis oriental, mais simplement cette bonne grosse opulence flamande avec de petits jardinets proprets et des gens qui mangent trop souvent, qui sont englués dans l'horizon exigu de la vie confortable.
Très intéressant !

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Zygomatique
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Zygomatique »

Eva a écrit :
Zygomatique a écrit : Je suis tout à fait d'accord. D'ailleurs, c'est un autre débat, mais je ne pense pas que je me dirigerai de moi-même vers une oeuvre dont la vocation seule est le rire, et pourtant, j'adore l'humour dans un livre !
Quand je dis "vocation première", je ne dis pas non plus que c'est forcément sa seule vocation. Sinon, ce n'est plus un récit, mais un sketch. ;) Du coup, je pensais plutôt à des livres comme ceux de la saga du Disque-Monde ou au Guide du Routard Intergalactique.
Non bien sûr, il n'y a jamais qu'une seule chose dans un livre ou dans n'importe quelle création. Ceci dit, quand je lis "Guide du Routard Intergalactique", je me dis que ça doit être pas mal et que je me pencherais bien dessus. Comme quoi il ne faut pas généraliser.

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Eva
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Eva »

Zygomatique a écrit : Ceci dit, quand je lis "Guide du Routard Intergalactique", je me dis que ça doit être pas mal et que je me pencherais bien dessus.
Je t'y encourage, c'est un classique, maintenant. Après ça, tu ne verras plus le chiffre 42 du même œil. :lol:

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Tristeplume
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Tristeplume »

Coucou,

J'arrive un peu après la bataille mais je me permets une petite contribution à ce débat très intéressant et à l'excellent premier post de Milora.

Le terme de décalage utilisé par Milora résume assez bien ce qui fait rire. Ce décalage doit aussi être associé à un effet de surprise. En effet, il est important de surprendre le lecteur et plus la surprise sera importante, plus le décalage sera efficace.

La difficulté dans un texte à vocation humoristique est de savoir se renouveler et de maintenir à la fois décalage et surprise. Le lecteur s'habitue vite au décalage et la surprise n'en est plus une à sa énième répétition. Si un personnage a pu faire rire à un moment par son côté décalé, il ne le fera plus par la suite car le lecteur va pressentir ses réactions.
Pour les mêmes raisons, on ne peut pas se contenter d'un procédé humoristique. Il faut être en mesure d'utiliser toute la gamme.

Beaucoup de procédés ont été évoqué (ironie, absurde, humour noir, cynisme), on peut aussi citer l'insolence, la grossièreté (sisi, un "va te faire foutre" au bon moment peut avoir un effet boeuf).
L'humour est aussi souvent transgressif dans le sens où il est efficace quand les personnages font/disent/pensent/osent des choses qu'on ne se permet pas soi-même (pour tout un tas de raisons inutiles à développer ici ^^).

Sur le débat Beorn/Roanne et Rire/faiblesse humaine, l'humour ne se focalise pas seulement sur des faiblesses mais plutôt globalement sur des traits qui seront souvent exagérés, poussés à l'extrême et donc susceptibles d'être traités de manière humoristique.
Par exemple, le côté fanfaron de Jack Sparrow est très drôle et pourtant on ne rit pas d'une faiblesse. Faut être un bien triste sir pour ne pas éclater de rire quand Hulk "discute" avec Loki à la fin de Avengers. Qui n'a pas rigolé sur les Chuck Norris Facts ? Un perso super intelligent genre schtroumpf à lunettes peut être hilarant tout comme le beau gosse séducteur pourchassé par les assiduités d'une coquine trollette.

Puisqu'on parle de ça, l'exagération ou la caricature sont des procédés classiques mais ne sont pas forcément indispensables. J'ai souvent dit ici que je trouvais agaçant qu'un texte humoristique soit très souvent qualifié de parodique. Pratchett ne fait pas de parodie.

A noter que le traitement humoristique est un moyen bien pratique pour faire avaler au lecteur un personnage totalement cliché.

Je suis assez sceptique sur le fait que l'humour puisse nuire à l'identification du lecteur à un personnage et à l'empathie qu'il peut avoir pour lui.
Un exemple flagrant est Tyrion Lannister dans le Trôner de Fer. Ce personnage est drôle. Vraiment très drôle, entre cynisme, autodérision, insolence et vulgarité. Et pourtant, c'est bien le perso le plus attachant et le plus profond de cette saga, non ?

Ce qui est intéressant dans l'humour (et ce que j'apprécie chez Pratchett) c'est qu'il peut permettre d'entraîner le lecteur dans des logiques de pensée complètement différentes. Au début, on rigole... ben parce que c'est marrant mais à la fin on se prend à réfléchir selon le mode de fonctionnement développé. C'est le cas chez Pratchett pour le Peuple des ch'tits hommes libres qui sont des psychopathes ivrognes en puissance mais dont la vision du monde finit par nous interroger.

Pour en revenir au décalage, c'est justement ça qui est intéressant de pouvoir aborder les choses sous un angle ou un aspect différent et donc amener le lecteur à réfléchir, à prendre du recul. Avec un peu de talent, un ogre glouton pourra parfaitement vous convaincre que le cannibalisme est un bienfait pour la société. ^^

Et j'en arrive à ma conclusion, il ne faut pas oublier que le but principal de l'humour n'est pas de faire rire. ;)

Autre chose que je voulais aborder :

Pour réagir à Millora :
Je sais pas si c'était un "tu" général ou si tu me répondais. Si tu me répondais, je précise ce que je voulais dire :
je demandais pas du tout comment faire ou comment réussir une caricature (ou tout autre type d'humour).
Je pars juste du principe qu'un texte ne peut pas avoir les mêmes ressorts qu'une image, une pièce de théâtre ou un film : ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas de simultanéité, pas de visuel (exit les jeux sur les mimiques), et qu'une bonne partie de l'effet comique est véhiculé par l'ordre dans lequel le récit nous livre les informations.
C'est à ce mécanisme purement textuel (créer du rire avec l'ordre des mots ; pour simplofier à très gros traits) que je m'interrogeais. A plus petite échelle, donc (celle qui décortique la forme du texte), que l'effet "caricature" ou "comique social" ou autre...
Moi cette phrase me fait vraiment rire. Pas parce qu'il y a des pieuvres sur des tables à dessin ; mais à cause de la façon dont le texte introduit cette cornemuse en plein milieu. Pas de faiblesse là-dessus ; juste un effet de surprise, de décalage.
Et s'il avait été écrit "Cinq pieuvres et une cornemuse vêtures de tartan étaient installées à une table à dessin", je n'aurais pas ri. Tout vient de cet écart entre ce que le texte nous a dit "une demie douzaine de pieuvres qui ressemblent à des cornemuses" et ce qu'il nous révèle après coup (l'une d'elles était une cornemuse). Il y a un non-dit, et c'est là que se loge l'humour...
Entièrement d'accord, l'humour est aussi une question de technique d'écriture.
Mais comme tout le reste, on peut avoir l'idée la plus géniale du monde, si on ne parvient pas à la mettre sur papier avec les mots qui vont bien avec, ça fera un flop.
D'ailleurs, les scènes "tartes à la crème" peuvent très bien se faire à l'écrit. ;)

En revanche, je ne suis pas assez fin technicien pour donner des conseils.

Perso, j'aime bien jouer avec les mots, la structure des phrases, les contresens (la douce mélodie des mâchoires fracassées), les contradictions, détourner des expressions (la cerise qui fait déborder le gâteau)... Bref, s'amuser. :D
— Malach, avez-vous entendu ça ? Je suis, je cite, "drôle, tourmenté, incompris".
— Je ne vois pas en quoi c'est flatteur.
— Mon cher, cela veut dire que je plais aux femmes !
— Décidemment, je ne les comprendrai jamais.

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Beorn
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Beorn »

Tristeplume a écrit :Pratchett ne fait pas de parodie.
La parodie, je crois, c'est le fait d'utiliser une référence à une oeuvre connue pour la détourner et en faire rire.
Pratchett en fait énormément, je me souviens que dans la huitième couleur, par exemple, il y a des références explicites à Conan, Stormbringer et à d'autres oeuvres archi-connues.
Ce n'est pas pour autant que le livre est un "pastiche", c'est à dire calqué entièrement sur un livre en particulier, ni qu'il n'ait pas réussi à créer un univers bien à lui, au contraire. Mais la parodie en fait partie - ce qui n'ôte rien à son talent, d'ailleurs.
En fait, on peut très bien rire de ses livres même sans avoir lu les oeuvres originales, mais il est évident qu'on rate quand même quelque chose.
Tristeplume a écrit :Par exemple, le côté fanfaron de Jack Sparrow est très drôle et pourtant on ne rit pas d'une faiblesse.
On rit quand même pas mal de son égocentrisme, de sa lâcheté, de sa suffisance, ou de son côté précieux et ridicule.
Je pense qu'on peut analyser l'humour sous plusieurs angles, de toute façon.
Triteplume a écrit :Un exemple flagrant est Tyrion Lannister dans le Trôner de Fer. Ce personnage est drôle. Vraiment très drôle, entre cynisme, autodérision, insolence et vulgarité. Et pourtant, c'est bien le perso le plus attachant et le plus profond de cette saga, non ?
Alors là, je ne me souviens pas d'avoir ri. Tout au plus souri tristement.
Site officiel
Bragelonne : Le 7ème Guerrier-Mage / Calame T1
Castelmore : Le jour où... / 14-14 / Un ogre en cavale / Lune rousse
Rageot : Le club des chasseurs de fantômes 1 et 2

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Tristeplume
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Tristeplume »

Beorn a écrit :La parodie, je crois, c'est le fait d'utiliser une référence à une oeuvre connue pour la détourner et en faire rire.
Pratchett en fait énormément, je me souviens que dans la huitième couleur, par exemple, il y a des références explicites à Conan, Stormbringer et à d'autres oeuvres archi-connues.
Ce n'est pas pour autant que le livre est un "pastiche", c'est à dire calqué entièrement sur un livre en particulier, ni qu'il n'ait pas réussi à créer un univers bien à lui, au contraire. Mais la parodie en fait partie - ce qui n'ôte rien à son talent, d'ailleurs.
On fait, on peut très bien rire de ses livres même sans avoir lu les oeuvres originales, mais il est évident qu'on rate quand même quelque chose.
C'est vrai qu'il y a de gros clins d'oeil mais je trouve qu'il se les approprie tellement bien que j'ai tendance à les considérer comme des créations à part entière.
Je pense qu'on peut analyser l'humour sous plusieurs angles, de toute façon.
C'est justement ça qui est intéressant. A mon avis, les analyses sont justement trop réductrices. Par exemple, ici le titre du topic est réducteur (et d'ailleurs pas adapté au post de Milora).
L'humour ne fait pas forcément rire et n'est pas forcément son but.
Pour moi, c'est une forme de traitement qui a pour but d'amener une dualité de lecture : un double regard, le second degré, le décalage entre les faits et ce qui est sous-entendu, un traitement non-sérieux de choses sérieuses, créer une sorte de recul et de détachement.
Alors là, je ne me souviens pas d'avoir ri. Tout au plus souri tristement.
J'ai plus d'exemples en tête mais j'ai souvenir de répliques ou de réflexions savoureuses d'impertinence et de cynisme (en particulier par rapport à sa famille qui m'ont fait rire). Après, ça illustre bien ce que je dis au dessus : Tyrion est le seul personnage qui a du second degré dans la saga, le seul qui a un recul sur lui-même, le seul qui ne se prend pas au sérieux.
Le but de ce traitement humoristique n'est pas forcément de faire rire (puisque preuve en est, ça ne marche pas avec tout le monde) mais d'apporter un regard ironique et distancié sur les gesticulations des uns et des autres. Perso, je trouve ça intéressant.
— Malach, avez-vous entendu ça ? Je suis, je cite, "drôle, tourmenté, incompris".
— Je ne vois pas en quoi c'est flatteur.
— Mon cher, cela veut dire que je plais aux femmes !
— Décidemment, je ne les comprendrai jamais.

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Beorn
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Beorn »

Tristeplume a écrit :J'ai plus d'exemples en tête mais j'ai souvenir de répliques ou de réflexions savoureuses d'impertinence et de cynisme (en particulier par rapport à sa famille qui m'ont fait rire). Après, ça illustre bien ce que je dis au dessus : Tyrion est le seul personnage qui a du second degré dans la saga, le seul qui a un recul sur lui-même, le seul qui ne se prend pas au sérieux.
Le but de ce traitement humoristique n'est pas forcément de faire rire (puisque preuve en est, ça ne marche pas avec tout le monde) mais d'apporter un regard ironique et distancié sur les gesticulations des uns et des autres. Perso, je trouve ça intéressant.
Ah oui, je vois ce que tu veux dire et c'est un point intéressant.

Dans ce cas précis, l'humour n'est pas extérieur au personnage. Ce n'est pas un narrateur qui le rapporte ou un autre personnage qui nous fait rire de Tyrion : au contraire, on est dans l'auto-dérision, c'est à dire une forme d'expression interne du personnage.
Ce n'est pas comme si on riait de lui, de façon extérieur : c'est lui-même qui rit (jaune).
Je ne sais pas si je suis clair. Mais dans ce cadre-là, il n'y a pas vraiment de distanciation avec le personnage, on reste dans ses propres émotions, dont le rire fait partie. C'est peut-être une parade à l'effet de distanciation, en effet.

Cela me fait penser à Gagner la guerre de Jaworski, dont la gouaille et l'ironie mordante font sourire, mais sans jamais nous détacher du personnage car justement, comme c'est lui qui raconte, cela renforce l'identité du personnage (c'est un roman à la première personne)

Bon, par ailleurs, le rire crée pas forcément de la distanciation. ;)
Mais c'est juste un écueil possible à avoir en tête, je crois.
Tristeplume a écrit :C'est justement ça qui est intéressant. A mon avis, les analyses sont justement trop réductrices. Par exemple, ici le titre du topic est réducteur (et d'ailleurs pas adapté au post de Milora).
L'humour ne fait pas forcément rire et n'est pas forcément son but.
Pour moi, c'est une forme de traitement qui a pour but d'amener une dualité de lecture : un double regard, le second degré, le décalage entre les faits et ce qui est sous-entendu, un traitement non-sérieux de choses sérieuses, créer une sorte de recul et de détachement.
Pour moi, l'humour, c'est quand même faire rire ou sourire. Effectivement, on y parvient par un décalage. Cependant, le décalage peut avoir d'autres effet que de faire rire : il peut aussi servir à provoquer la surprise, la curiosité, etc.

Par exemple, dans une scène de bataille, dans la boue, avec le sifflement des flèche, le fracas des boulets de catapultes sur les hourds de bois, quand on voit un jeune soldat prisonnier vêtu d'un caraco de soie, cela détone et provoque la curiosité, pas forcément le rire. (enfin, c'est censé... hum, c'est la première scène de mon prochain roman chez Mnémos).
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par bénityééh »

Je trouve ce fil terrible.
Je viens de tout lire et j'en suis tout retourné.

J'aime beaucoup, ( mais vraiment beaucoup ) mettre de l'humour dans mes textes.
Je trouve ça très dur à doser.
On ne peut jamais savoir si la blague va être drôle ou ... trop lourde ... ou tellement 'subtile' qu'en fait personne ne l'a voit ... ou
si elle est vraiment assez bien tournée pour provoquer plus qu'une moue ''gentille''.

Mais là, de lire tous ces points de vue sur les mécanismes qui sous-tendent le rire, l'humour absolu, social, les différentes approches ...
ça me paralyse.

Je crois que je vais me mettre à la tragédie.

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Iluinar
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Iluinar »

bénityééh a écrit : Je crois que je vais me mettre à la tragédie.
En tout cas, là, tu viens de me faire rire :lol:

Je laisse à nos spécialistes le soin d'en disséquer les raisons...

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Thomas D
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Re: Pourquoi vous riez ?

Message par Thomas D »

Le rire. Le truc le plus sérieux du monde !
Bergson a écrit là dessus un essai long et étonnamment pas drôle du tout. Et il a essayé de faire entrer le rire dans une boite conceptuelle sans avoir les outils éthologiques qui existent maintenant et qui aident à comprendre comment le rire est apparu au cours de l'évolution. Par exemple, c'est fascinant de se rendre compte que le rire est avec le bâillement le seul comportement humain universel et contagieux !

Je suggère toutefois que l'on fasse la distinction entre le rire et l'humour, et Prionfou l'a remarquablement illustré d'ailleurs avec l'exemple des "chatouilles" des rats qui rient ;), car je pense qu'en tant que lecteurs et auteurs, c'est d'humour dont nous voulons parler, dont le rire sera une conséquence éventuelle. Le rire peut par ailleurs, cela a été dit, avoir des tas de cause émotionnelles qui me semblent peut liées à la lecture ou à l'écriture. J'ai donc envie de parlera d'humour.
Beorn a écrit : Les oeuvres dites "humoristiques", les parodies comme celles de Pratchett, par exemple, renoncent délibérément à explorer en profondeur les autres émotions : le curiosité du mystère, la peur, la colère, le désir, etc.
Pratchett y parvient parce qu'il arrive à être drôle tout le temps, et aussi parce qu'il travaille beaucoup sur le double-sens. Mais c'est un choix qu'il fait au départ. Il renonce à beaucoup de choses.
Je suis désolé mais je dois m'inscrire en faux.
Certains romans de Pratchett sont drôles et profonds et touchants et ils ménagent souvent un grand suspens. Et l'humour qu'il déploie n'y est pas pour rien (et je ne suis pas tellement d'accord non plus pour parler de parodie ; il y a des éléments parodiques dans les premiers romans, à on avis c'est tout). Cela repose sur un talent immense et un travail d'orfèvre qui sont hors de portée de la plupart des auteurs (on voit que je suis fan ?), et cela montre à mon sens que l'humour bien manié peut être au centre d'une oeuvre sans lui ôter le moindre intérêt sur d'autres plans dramaturgiques.

L'humour n'est pas le propre de l'homme, c'est vrai, mais je souscris à l'idée que ce qui nous semble comique a toujours une composante humaine (ne serait-ce qu'une projection de celui qui rit). J'adhère moins à l'idée que c'est forcément lié à une "faiblesse", c'est plutôt une question d'incongruïté (ou de décalage comme cela a été dit), d'inattendu et de timing.
Les faiblesses humaines sont certes une composante importante, mais je me méfie de toute explication holistique d'un phénomène aussi complexe.

Les considération catégoriques de Lavandiers ne me convainquent pas des masses.
Milora a raison de remarquer que l'humour n'est pas forcément synonyme de "distance" avec le personnage. Je me sens très proche de Han Solo pour son humour (c'est le seul exemple qui me vienne à l'esprit, et en lisant la dernière page de ce fil tandis que j'écris, je vois que Tristeplume a cité le magnifique Tyrion Lannister et je m'en veux de n'y avoir pas songé !).
Idem pour la souffrance : un trait d'esprit peut souligner magistralement une situation tragique. (et là je n'ai carrément aucun exemple, mais je vous jure que j'ai déjà fait cette expérience... Peut-être dans Breaking Bad pour ceux qui connaissent)
Sobota a écrit :Un rustre, un avaricieux, un ambitieux, un solitaire, un malpropre, un voyeur, un maniaque, un beau parleur, un lovelace, un idiot, un scientifique...
Hé !! Qu'est-ce que c'est que cette énumération d'enfoirés qui se termine par... mon métier ? :wamp:. Choking ! (Je suppose que c'était de l'humour, hein.)
Les idées de comique social et de comique absolu présentées par Sobota ne me parlent pas vraiment non plus. Sans doute parce que le comique est par essence une activité sociale, et que je me méfie de l'adjectif absolu, généralement capable de défigurer à peu près n'importe quelle notion à laquelle il se rapporte. Cette distinction, même si elle est intéressante, ne me semble donc pas pertinente.

Je n'ai pas de réponse toute faite à "Pourquoi vous riez ?", le titre de ce fil, et je trouve très intéressants les avis présentés ici.
Tout le monde a l'air d'accord pour dire que le rire en lui-même n'est pas un ingrédient suffisant pour faire un récit intéressant (et le "Rire du Cyclope" est un exemple triste et criant que ce thème est terriblement casse-gueule).
Ce que je sais pour ma part c'est qu'un livre sans humour risque fort de me tomber des mains, là où d'autres lecteurs pourraient trouver, je ne sais pas, une densité dramatique dont ils seraient friands ou un ambiance lourde et sépulcrale
qui les fait frissonner. Question de goût.

Au final, j'ai quand même l'impression que les livres qui soient intéressants et qui fassent vraiment rire, comme ceux de Pratchett, sont rarissimes et si vous en connaissez en SFFF, je suis très preneur. :]

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