C'est faux !
C'est pas facile de faire rire, et on peut faire passer énormément de choses avec de l'humour - y compris des sentiments forts et des idées fortes (mon expérience la plus marquante à ce sujet a été le dernier chapitre de La trilogie de Bartiméus, où je riais et pleurais à la fois - et c'était pas pleurer de rire. Parce que ce passage allie tout de même beaucoup d'humour et la fin tragique du roman, avec
BREF, tout ça pour dire que j'avais envie d'ouvrir un fil pour parler de l'humour dans les textes.
Cela dit, mon message ne porte pas vraiment sur une "technique" d'écriture, c'est plutôt un questionnement plus général (j'aime bien ces histoires de théorie littéraire et compagnie ). Donc je vous rassure : je ne cherche pas de recette, j'essaie juste de comprendre.
Mais comprendre quoi ? Oui, oui, j'en viens au but.
Comprendre l'humour dans les textes. Sur quoi ça diable est-ce que ça repose ?
L'humour, le caractère drôle d'un élément, c'est quand même extrêmement difficile à expliquer, vous ne trouvez pas ? (cf. pour les geeks, dans Star Trek, les vaines tentatives de Data ou des Vulcains de comprendre une blague. J'assume tant bien que mal ma référence ).
Il paraît que c'est plus difficile de faire rire que de faire pleurer... J'aurais presque tendance à le croire, parce que ça repose sur des mécanismes bien différents. Pour faire pleurer, il faut créer un attachement au personnage, ou un lien d'empathie entre le lecteur et lui, y attacher une sorte de panache pour que le passage triste soit beau et pas juste pitoyable. Bon, c'est facile à dire, répondrez-vous , mais disons que le mécanisme qui nous fait pleurer lorsqu'on lit un roman est assez "décortiquable".
Mais qu'est-ce qui fait rire ? Qu'est-ce qui va faire que le texte est drôle et pas juste lourd et stupide ?
Évidemment, il y a plusieurs types d'humour, et tout le monde ne rit pas à la même chose - mais bon, tout le monde ne pleure pas à la même chose non plus, ça n'empêche pas d'essayer de voir les points communs qui provoquent l'un et l'autre des mécanismes.
En fait, est-ce que l'humour ne reposerait pas sur un certain... décalage ?
Il me semble que, dans un texte, l'humour réside (quasiment ?) toujours dans une rupture de la continuité du récit. Dans le fait qu'un élément, une information, est amené dans la phrase d'une façon non conforme aux attentes du lecteur.
Bien sûr c'est impossible de lister tous les effets comiques, mais essayons avec les principaux pour voir :
¤ L'ironie, c'est-à-dire le fait que le texte dise autre chose que ce qu'il signifie. Or, c'est en plein dans ce décalage : le narrateur (ou le personnage qui parle) dit bien quelque chose en décalage avec la réalité (enfin, la "réalité" du roman), et le fait que le lecteur sente ce décalage provoque une sensation d'amusement.
¤ L'humour absurde c'est aussi un décalage : un comportement ou une situation illogiques, voire qui reproduit une situation normale mais en la déplaçant dans un cadre qui n'est pas du tout approprié. (Je résiste pas à citer Jasper Fforde : "L'atelier d'architecture était propre et en ordre. Une demi-douzaine de pieuvres vêtues de tartan étaient installées sur des tables à dessin, on aurait dit autant de cornemuses géantes - hormis une, qui était effectivement une cornemuse géante.")
¤ Il peut y avoir aussi des répliques drôles, mais en général, c'est causé par une inadéquation entre ce qui est dit et ce qui est attendu. ça peut être une réplique parfaitement anodine dans une situation tragique (ex : les héros discutant du prénom de leurs enfants tout en repoussant l'armée ennemie à coups d'épée...).
¤ Dans un dialogue, l'humour peut aussi reposer sur le fait que le lecteur comprend quelque chose qui s'est passé par quelque chose qui est dit dans le dialogue. Le fait que le lecteur ne l'ait pas vu de ses yeux (façon de parler) dans le discours du narrateur, mais le comprenne implicitement par le dialogue, provoque un effet comique. (ex : Dans Bartiméus 1, il y a un passage que je ne pourrais citer que de mémoire donc de façon inexacte, où Bartiméus est en train de remplir les bras de Nathaniel avec des provisions tout en discutant, et sa réplique donne quelque chose comme : "Tiens, prends encore une bouteille de lait. Une de plus ? Non ? Bon, tant pis (Je l'aide à se relever)". On comprend que Nath est tombé par terre, mais si c'était dit directement, ça n'aurait pas été drôle).
Bon, ça ne marche pas pour tous les effets comiques. Restent :
¤ Le comique de répétition ("que diable allait-il faire dans cette galère ?")
¤ Vous avez aussi, c'est vrai, des répliques drôles pour d'autres raisons, drôles en soi, comme les réparties cinglantes ou avec une tournure astucieuse (encore que là, ce soit encore un certain décalage : une idée tournée d'une façon inhabituelle... Mais bon, c'est un peu exagéré)
¤ Bon, après, y a le type d'humour qui démolit mon argumentaire, alors je le mets à la fin Je parle du gros humour "tarte à la crème", du genre : ah ah ah, le personnage s'est pris les pieds dans le tapis et s'est affalé par terre devant le maire. (Bon, moi ça me fait pas foncièrement rire, les grosses clowneries, du coup j'ai un peu de mal à comprendre le mécanisme). Ça se rapproche du comique de geste, auquel on n'a pas accès dans un texte (si on lit une description de grimace, ce ne sera pas drôle. Ou ça peut l'être, mais par les effets de narration, de description ; pas pour la mimique en soi). De la même façon, pour l'humour tarte à la crème, si on se rapporte à un texte, à un récit, ce qui va être drôle dans ce gag ce n'est pas le fait que le personnage tombe (la preuve, je viens de le raconter et ce n'était pas drôle), mais la manière dont c'est présenté. Et, du point de vue de l'écriture, il me semble qu'on va retomber sur des notions de décalage comme dit plus haut.
Bref, il me semble que la façon de créer de l'humour dans le texte va surtout reposer sur une inadéquation entre l'événement et la façon dont il est raconté.
Je crois qu'y a Bergson qui a écrit là-dessus, mais j'ai jamais eu l'occasion de le lire et j'ai pas très envie d'aller exprès me plonger dedans. Si quelqu'un connait, qu'en dit-il ?
Alors, est-ce que vous êtes d'accord ? Est-ce que vous avez des éléments pour réfuter/compléter/nuancer/envoyer balader ? Est-ce que vous vous en fichez totalement et vous demandez pourquoi j'ai eu l'idée idiote de créer un fil pour ça et qu'en plus mon message est trois froid trop long et votre café a refroidi en le lisant ?
Et puis d'une manière générale, qu'est-ce que vous pensez de l'humour en littérature ?
(Vous avez 5h et je relève les copies. L'usage de la calculatrice est interdit).