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Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : dim. déc. 09, 2012 3:19 pm
par Talldwarf
Bonjour à toutes et tous,

Voilà, je me retrouve avec un problème inédit sur les bras, un dilemme moral. J'ai commencé hier la préparation d'une nouvelle fantastique dans laquelle mon personnage principal, qui sera mon personnage de point de vue, commet, à son insu, un inceste.
Le souci pour moi est multiple :
  • Si pendant l'acte mes persos (adultes) prennent du plaisir, ne fais-je pas une apologie implicite de l'inceste ?
  • Ai-je le droit moral de mettre le lecteur dans la situation de se laisser troubler par une action qu'il réprouvera a posteriori ?
Si en tant que lecteur ou auteur vous avez une opinion ou une expérience, je serais très intéressé par vos réflexions ou témoignages.

Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : dim. déc. 09, 2012 3:28 pm
par Anonyme_Quatre
Il n'y a qu'à voir avec Lolita, le lecteur est complice d'un pédophile, ce n'est pas rien... Le livre est tellement bien fichu qu'on a envie qu'il arrive à ses fins, c'est très dérangeant mais en même temps, je pense que les lecteurs adultes peuvent très bien faire la part des choses sur le fait que ça reste de la fiction. Si on devait faire l'apologie de quelque chose dès qu'on le romance, je doute qu'on puisse écrire grand chose sans choquer ;) (je suis loin de faire l'apologie du cannibalisme, pourtant, mon roman commence par un bon petit rôti...)
Après, c'est certain, une partie des lecteurs sera choquée, surtout si c'est un inceste (grand)parent-enfant.

En espérant avoir répondu un peu à tes interrogations :)

Re: Jusqu'où peut-on amener("trahir") le lecteur ?

Posté : dim. déc. 09, 2012 3:31 pm
par Celia
J'ai deux exemples à te proposer, issus de deux films où les scénaristes utilisent cette façon de cacher les choses :
- Dans "Love Actually" (oui on est loin de la SFFF), un personnage badine avec sa secrétaire. C'est mignon tout plein... jusqu'au moment où on apprend que le monsieur est déjà marié. Le spectateur doit faire un choix moral, et très vite. Les deux personnages (le patron et la secrétaire) qu'il avait appréciés au départ, subissent son jugement. Et les scénaristes sont arrivés à leur but : susciter l'amertume d'une histoire d'amour qui n'est pas socialement acceptable (d'autant que le personnage de la femme trompée est extrêmement attachant aussi)
- Dans "Old Boy" (qui touche plus directement à ton problème)
Spoiler: montrer
Le personnage principal est amené par son ennemi, à tomber amoureux et à coucher avec sa propre fille, sans qu'aucun des deux ne le sache. La vérité qui éclate constitue la vengeance de cet ennemi. Le spectateur subit la détresse du héros parce que, comme lui, il a été floué (ce qui n'est pas le cas du premier exemple où les deux persos étaient au courant de la situation de départ) Le scénariste, ici, atteint aussi son but : susciter la gêne extrême du spectateur en montrant que le héros, qui accédait à une rédemption en trouvant l'amour, s'est en fait complètement fourvoyé ; le choix fait à la fin du film (le héros choisit d'être hypnotisé et d'oublier que sa compagne est sa fille) ne rassure pas le spectateur, tout en lui indiquant que finalement, de toutes les solutions, l'oubli était peut-être la moins pire. Et encore.
Tu t'engages dans un terrain qui est glissant et risqué. Mais je pense que ces deux exemples te montrent que, si c'est bien fait, la révélation peut amener le lecteur à se poser des questions, sans forcément y trouver une solution.
Donc techniquement, c'est possible.
Moralement, cela dépend de toi. Ces questions que le lecteur va se poser, il faut que toi aussi tu te les poses. Et il s'agit là moins de technique d'écriture, que d'interrogation morale, comme ça pourrait être le cas pour décrire une scène dite extrême, ou parler d'un ancien nazi. Comment savoir si on franchit la limite ? Je pense que tous les auteurs borderline ou qui écrivent des textes difficiles se posent cette question.
De plus, il faut aussi savoir que ce rendu dépendra aussi de la sensibilité du lecteur qui te lira.

Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : dim. déc. 09, 2012 3:33 pm
par Celia
Talldwarf a écrit : [*]Ai-je le droit moral de mettre le lecteur dans la situation de se laisser troubler par une action qu'il réprouvera a posteriori ? [/list]
Mais c'est justement ça qui est intéressant !
Si tu offres une histoire tiède à ton lecteur, il aura une lecture tiède. Le déranger, ça peut être tout aussi intéressant ^^

Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : dim. déc. 09, 2012 3:37 pm
par Anonyme_Quatre
D'ailleurs, Celia m'a rappelée avec Old Boy l'histoire de Turin et Nienor, dans le Silmarillion de Tolkien ^.^ Ils s'ignorent frère et soeur et manipulés par leur ennemi, ils tombent amoureux...

Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : dim. déc. 09, 2012 9:58 pm
par Sandrinoula
En novella, tu as l'exemple de Présumé coupable, traité avec une immense finesse.
Dans tous les cas, il me semble qu'il faut que tu te demandes ce que tu veux faire ressentir à tes lecteurs : veux-tu les conforter dans leurs schémas moraux, ou veux-tu les faire réfléchir ? Veux-tu les faire adhérer à ta façon de voir les choses, veux-tu leur ouvrir les yeux sur un sujet en particulier ? Il me semble que le traitement du sujet dépendra en partie de ton intention.
Dans tous les cas, bon courage pour l'écriture !

Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : lun. déc. 10, 2012 3:57 pm
par Milora
Je vais enfoncer une porte ouverte, mais je pense que, si c'est bien fait, tu peux amener le lecteur à quasi-cautionner n'importe quoi (il se dira "non, c'est pas bien", mais sera quand même embarqué avec le personnage).
Mais c'est à toi de choisir quel message tu veux faire passer. Je parle pas d'écriture engagée pour transmettre des idées de façon didactique. Mais écrire sur un tueur en l'humanisant et en amenant le lecteur à apprécier le personnage, c'est un parti pris moral de la part de l'auteur. Un parti pris qui n'est pas sans incidence - je ne crois pas à l'argument "mais c'est qu'une fiction, je suis pas là pour livrer un jugement, j'écris juste une histoire". Toute histoire, absolument toute, transmet une vision du monde, un positionnement.


Du coup, en tant que lectrice... L'inceste ça ne me dérangerait pas trop si c'est à l'insu des personnages je pense. ça pourrait me mettre mal à l'aise selon la façon dont c'est amené. C'est un tabou, pas une prise de position idéologique...
Par contre, suivre un personnage qui fait délibérément le mal, là je n'y arrive pas.
mais c'est personnel et mon point de vue est minoritaire - c'est plutôt la mode d'aimer l'inverse...

Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : lun. déc. 10, 2012 9:16 pm
par Kashiira
Je ne cautionne pas du tout l'inceste mais il faut se mettre à la place des personnages. Dasn leur esprit ce qu'ils font est-il bien ou mal ? Ne peuvent-ils simplement pas s'en empêcher parce que leur passion mal placée est plus forte que leur raison ? Y a-t-il un abuseur et un(e) abusée ou sont-ils consentants ? s'ils ne le savaient pas quelles conséquences la révélation aura-t-elle sur eux ? Y aura-t-il une révélation ?
Etc.

Ecrit ton histoire comme tu l'entends, le lecteur en sortira les conclusions qui s'imposent.

:tournee: d'encouragement.

Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : lun. déc. 10, 2012 9:33 pm
par Kira
Dans Vampire Knight, un manga que j'ai lu il y a déjà quelques années, deux des protagonistes principaux sont frère et soeur (et si ma mémoire est bonne, les parents ont conçu la fille dans l'esprit qu'elle ferait une bonne compagne pour son frère :shock: ) Alors bon, ce sont des vampires, donc on peut admettre qu'ils n'aient pas les mêmes tabous que les humains et je ne sais pas s'ils terminent vraiment ensemble (il y a une sombre histoire de triangle amoureux et je n'ai pas fini la série) mais c'est quand même un manga qui a connu un certain succès en s'asseyant gaiement sur la question de l'inceste. Je crois qu'au Japon la question des tabous est traitée de façon beaucoup plus souple que chez nous parce que j'ai déjà rencontré ce cas de figure dans d'autres mangas (Forbidden Love, par exemple).

On a aussi cette figure dans la Cité des Ténèbres de Cassandra Clare. Les héros tombent amoureux, puis découvrent qu'ils sont frère et soeur sans parvenir à éradiquer leurs sentiments
Spoiler: montrer
puis découvrent à la fin que finalement, non, ils ne sont pas frère et soeur, ce qui est la conclusion la plus généralement répandue de cette configuration.
Dans la mesure où les personnages eux-même réprouvent ce qu'ils ont fait avant, c'est passé, et en jeunesse qui plus est.

Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : lun. déc. 10, 2012 10:18 pm
par Anonyme_Quatre
A noter aussi les couples Targaryens dans le Trône de fer, ou même dans des dynasties terriennes (on retrouvait beaucoup d'inceste en Égypte par exemple, ou en Europe dans une moindre mesure (cousins, cousines...))

Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : lun. déc. 10, 2012 11:01 pm
par Talldwarf
Merci à tous pour vos réponses (et vos références) que je trouve plutôt encourageantes, alors que plus j'y réfléchis et plus j'ai envie de me censurer (dégonfler ?)... Ou en tout cas de prendre le temps de bien cerner le sujet car une histoire n'est - j'en suis bien d'accord - jamais tout à fait anodine.

Il me faudrait peut-être préciser un point ou deux :
  • l'idée de départ est de mettre le lecteur dans la peau du perso principal et de donner un contenu érotique au texte (ce qu'évite en général, je crois, les récits d'inceste);
  • l'inceste n'est pas le centre de ma nouvelle bien qu'il en soit un élément important.
En fait, pour déjouer la question de l'apologie, j'ai le sentiment que les auteurs "punissent" leurs personnages (folie, prison, mort...), ce qui me paraît un recours acceptable .
Pour la "trahison" du lecteur, il me semble qu'il faudrait au moins "prévenir". Peut-on le faire autrement qu'en collant dessus un bandeau "public averti" ?

Remarque : Ma carte bancaire ne vous remercie pas, elle : vous m'avez donné d'excellentes raisons de la faire chauffer. ;)

Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : mar. déc. 11, 2012 7:03 am
par Maden
La seule chose à retenir c'est qu'il faut faire la différence entre ce que l'auteur "montre" et ce qu'il "pense". Tout simplement parce qu'on a accès à l'un et pas à l'autre, du coup, en tant que lecteur, je préfère ne pas me lancer dans ce genre d'analyse des événements.

C'est vrai que les incestes frère-soeur ou cousin-cousine sont de moins en moins choquants parce qu'elles ne s'accompagnent pas du problème de la pédophilie d'une relation père-fille ou oncle-nièce etc....
l'idée de départ est de mettre le lecteur dans la peau du perso principal et de donner un contenu érotique au texte (ce qu'évite en général, je crois, les récits d'inceste)
Dans le Trône de Fer, la relation entre Cersei et son frère Jaime est pleine d'amour et d'érotisme. Il y a d'ailleurs pas mal de fans du couple comme s'il s'agissait d'un couple conventionnel. Bref, leur relation fusionnelle ne semble pas choquer outre mesure parce qu'elle est bien traitée par Martin.

Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : mar. déc. 11, 2012 8:59 am
par Kashiira
Dans le Trône de Fer, la relation entre Cersei et son frère Jaime est pleine d'amour et d'érotisme. Il y a d'ailleurs pas mal de fans du couple comme s'il s'agissait d'un couple conventionnel. Bref, leur relation fusionnelle ne semble pas choquer outre mesure parce qu'elle est bien traitée par Martin.
+1 ! Avec Maden. Du moment que c'est bien traité, bien creusé, bien fait tout court, je crois que tu peux traiter de tout, le lecteur fera la part des choses...

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Remarque : Ma carte bancaire ne vous remercie pas, elle : vous m'avez donné d'excellentes raisons de la faire chauffer.
Dois-je te répondre de rien ? (oui je suis une petite curieuse ? ^^)[/size
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Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : mar. déc. 11, 2012 3:36 pm
par Sandrinoula
Maden a écrit :C'est vrai que les incestes frère-soeur ou cousin-cousine sont de moins en moins choquants parce qu'elles ne s'accompagnent pas du problème de la pédophilie d'une relation père-fille ou oncle-nièce etc...
Dans ces derniers cas, ce qui est difficile à gérer est le fait qu'on pense toujours aux pressions que l'adulte fait subir à l'enfant pour arriver à ses fins, et parce qu'il peut y avoir abus de confiance (voir le faits divers daté de la mi-novembre dans le nord de la France).
Dans le roman Middle sex de Jeffrey Eugenides, il y a une histoire d'amour très émouvante entre un frère et une sœur, avec une dose d'érotisme aussi sans que ce ne soit choquant. Tout est dans la mesure, et la notion de consentement libre et réfléchi.
Sujet très difficile à aborder...

Re: Jusqu'où peut-on amener le lecteur ?

Posté : jeu. déc. 13, 2012 2:16 pm
par Talldwarf
Pardon de revenir à la charge mais vous êtes plusieurs à signaler qu'on peut finalement tout écrire (ou presque) à condition de "bien traiter" le sujet, de le faire "avec finesse".

J'aimerais mieux cerner cette idée : qu'est-ce qui selon vous serait un mauvais traitement ou un manque de finesse ?
Prenons, par exemple, le couple Cerséi et Jaime pour ne pas rester dans le flou (un bon nombre d'entre nous doit connaître), si vous le voulez bien.