[A] Le Kishôtenketsu, une narration "sans conflit"

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Beorn
Bond, Alexander Bond
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par Beorn »

Ces notions sont très intéressantes.

En revanche, je trouve que le propos, en effet, caricature complètement la notion de conflit dans "nos" histoires pour présenter le Kishôtenketsu comme quelque chose de radicalement différent et casser du sucre sur la vilaine hégémonie occidentale blabla.
ça m'agace un peu, j'y vois plus de l'idéologie que de l'argumentation objective.
Même si le quatrième acte unifie le travail, il n’a pas besoin de se baser sur un troisième acte violent.
Le "conflit" est ramené à la "violence", ce qui est un contresens total de la notion de conflit.
Il y a énormément d'histoires sans la moindre violence, pourtant basées sur la notion de conflit (toutes les histoires d'amour, pour commencer)
Il y a aussi énormément d'histoires "venues d'Asies" très violentes, je ne vais pas faire la liste, mais elle serait longue. Je pense que la violence est une très mauvaise clef de comparaison.

Le conflit, ce n'est pas le bien et le mal, ce n'est pas un camp contre un autre, ni un champ de bataille, ce n'est même pas un adversaire contre un autre adversaire. Le conflit, c'est la tension entre un but à atteindre et des obstacles sur la route. Je pense que c'est effectivement une façon occidentale de voir les choses.
Nous pensons que les situations peuvent évoluer, que l'homme a un ascendant sur le monde (individualisme), contrairement aux valeurs traditionnelles asiatiques qui auraient plus tendance à penser le monde comme immuable, la tradition plus forte que l'individu, l'univers cyclique, etc.
En fait, je trouve le Kishôtenketsu, tel qu'il est présenté ici, a des points communs avec les valeurs de la mythologie grecque : le moteur de l'histoire, c'est le trouble à l'ordre du monde, qui doit être résolu (en très très gros, je simplifie à outrance, pardon pour les connaisseurs).

Cela dit, si on fouille un peu ce qui est dit, je trouve que les différences sont essentiellement dans la présentation des choses, et portent peu sur le fond.

D'une part, je pense que les oeuvres japonaises et chinoises contiennent toutes du conflit, c'est juste que le schéma du Kishôtenketsu ne met pas cette notion au centre de son explication de la narration.
D'autre part, j'assume assez bien, pour ma part, d'être un "occidental" au sens où j'ai été baigné d'une certaine culture et de certaines histoires. J'aime bien les films asiatiques, parce que la sélection est drastique (on ne voit chez nous que les meilleurs, bien souvent) et parce que je n'en vois pas très souvent. Sinon, je pense que je commencerais aussi à y voir des schémas qui se répéteraient.

Maintenant, si je reprends les 4 points :
1. Introduction (Ki)
Description des personnages et/ou lieux. Il s’agit de créer la base de l’histoire.
Pour moi, c'est l'équivalent d'un bon vieux "Acte 1".
2. Développement (Sho)
Description des évènements qui vont amener au twist. Il n’y a pas de changement majeur.
C'est un peu la césure entre l'acte 1 et l'acte 2 : l'élément déclencheur.

3. Twist (Ten)
Un nouvel évènement non prévu et non annoncé éclaire sous une nouvelle lumière les évènements précédents et oblige le lecteur ou le spectateur à revoir toutes les conclusions qu’il avait pu établir précédemment. Il s’agit du climax d’une narration Kishôtenketsu.
La notion "d'éclairer les évènement sous une lumière nouvelle" n'est pas propre aux règles de dramaturgie occidentale, du moins pas présenté de cette manière. Mais si on lit ce qu'est un "acte 2", on retrouve beaucoup de notions similaires (préparation / paiement, ironie dramatique, révélations, entrée dans un nouvel univers qui fait voir le premier univers sous un autre angle, etc.)
C'est une façon féconde et intéressante de présenter les choses, je trouve.
4. Conclusion (Ketsu)
La narration Kishôtenketsu finit souvent sans résolution ; des questions restent. L’histoire se conclut en réunissant plusieurs idées disparates que l’on pourrait considérer comme des réponses possibles.
Je crois que c'est ici la principale différence : nous, occidentaux, nous cherchons le plus souvent une réponse, que les portes "ouvertes" soient toutes "refermées". Une fin qui ne prend pas partie risque de heurter notre besoin de comprendre, de savoir si les personnages ont réussi ou non à agir sur le monde.
C'est aussi, je pense, ce qui rend les histoires asiatiques souvent frustrantes pour les occidentaux. Je pense que c'est une question de culture.

A mon avis, une histoire construite sur ce schéma, venue d'Asie, nous semblerait intéressante et différente parce qu'elle serait imprégnée d'une atmosphère "asiatique". Mais si un Français s'avisait de l'écrire, avec un décor occidental, on ne le comprendrait pas. Ou du moins, ce serait plus difficile.

Cela dit, je n'ai pas l'impression que toutes les histoires venues d'Asie se terminent sans résolution, après avoir vu/lu un certain nombre de films/dessins animés/mangas/romans japonais, notamment.
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popat
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par popat »

Beorn a écrit :A mon avis, une histoire construite sur ce schéma, venue d'Asie, nous semblerait intéressante et différente parce qu'elle serait imprégnée d'une atmosphère "asiatique". Mais si un Français s'avisait de l'écrire, avec un décor occidental, on ne le comprendrait pas. Ou du moins, ce serait plus difficile.
C'est vrai que le récit occidental implique tellement l'idée de conflit qu'un texte construit en kishôtenketsu paraîtrait incomplet voir inquiétant s'il n'était pas replacé dans son contexte original.
C'est très intéressant, j'avais déjà remarqué cette structure sans réussir à l'identifier. Maintenant que le schéma est clair je me rend compte qu'on le retrouve dans un tas de séries animés japonaises. De notre point de vue, cela donne une impression de flottement final qui nous met plutôt mal à l'aise en effet. Je crois que l'on est tellement habitué à voir ce qui a été cassé se réparer à la fin qu'un récit qui ne parle pas de ça nous laisse, sur notre fin ^^
Cela dit je trouve que c'est une forme qui a un potentiel incroyable qui donne envie de s'y frotter :psycho:
Je me demande si cela ne permettrai pas de parler un peu plus de l'intime ? Quand la fille donne la canette à son copain, on entre dans leur quotidien, c'est presque attendrissant, alors que quand elle tape sur la machine et obtient ce qu'elle veut, c'est factuel et finalement on reste en surface, même si je suis très content qu'elle obtienne sa petite canette ;)

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Maden
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par Maden »

Beorn a écrit : Je crois que c'est ici la principale différence : nous, occidentaux, nous cherchons le plus souvent une réponse, que les portes "ouvertes" soient toutes "refermées". Une fin qui ne prend pas partie risque de heurter notre besoin de comprendre, de savoir si les personnages ont réussi ou non à agir sur le monde.
Je n'en suis pas si sûre. La fin "ouverte" a toujours existé dans la culture occidentale. D'ailleurs pas mal de classiques finissent de cette façon, ouvrent le lecteur sur différentes possibilités/interprétations et posent des questions sans réponse.

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Beorn
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par Beorn »

Certes, ce n'est pas une loi (de toute façon, vu le nombre d'oeuvres écrites, ce ne serait pas possible !^^) et on trouve des contre-exemples, mais je trouve que c'est quand même une tendance assez largement répandue.
Par ailleurs, une porte ouverte ou une interrogation finale ne signifie pas forcément que la question principale n'a pas été résolue.

Par exemple dans Lost in translation, de Sofia Coppola
Spoiler: montrer
La fin est mystérieuse : on voit Bill Muray dire quelque chose l'oreille de Scarlett Johannson mais on n'entend pas ce qui est dit. Cela laisse ouvertes différentes interprétations : mots d'amour ? promesses de se revoir ? Adieux ? On ne sait pas. Cependant, on nous montre clairement que ces deux-là ne finiront pas en couple et qu'ils vont retrouver leurs vies respectives après la parenthèse du dépaysement au Japon.
On reste avec un sentiment de fin ouverte alors qu'en réalité, la réponse principale est belle et bien donnée. ;)
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Maden
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par Maden »

Je pense que c'est plus une impression qu'on a parce que c'est la "tendance" du moment, justement. Les éditeurs (si on reste dans le domaine de la litté) recherchent des choses abouties, qui ne risquent pas de décevoir le lecteur. Mais à plus grande échelle, non, il doit y avoir autant d'oeuvres ouvertes que fermées dans la culture occidentale.

Je ne sais plus qui prenait l'exemple d'Hemingway, mais dans Le Soleil se lève aussi il y a bien un conflit - un amour impossible - mais la fin ne le résout pas de manière définitive. Je suis en train d'étudier ce livre et il y a autant d'interprétations que de critiques. Certains pensent que Jake et Brett tournent en rond et qu'il n'y a pas de résolution, d'autres que Jake a surpassé le problème et les deux vont rester simples amis, et d'autres encore déclarent qu'ils développent une relation amoureuse nouvelle qui n'est pas basée sur la possession de l'autre et la sexualité... Bref, difficile à dire.

On a la même chose chez beaucoup d'auteurs, il y a tout un tas d'exemples de périodes et de mouvements différents.

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tomate
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par tomate »

Je pense que c'est plus une impression qu'on a parce que c'est la "tendance" du moment, justement. Les éditeurs (si on reste dans le domaine de la litté) recherchent des choses abouties, qui ne risquent pas de décevoir le lecteur. Mais à plus grande échelle, non, il doit y avoir autant d'oeuvres ouvertes que fermées dans la culture occidentale.
C'est certainement plus acceptable en littérature "blanche" et "intellectuelle" qu'en littérature "populaire" àmha.

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popat
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par popat »

un bel exemple de kishôtenketsu le film d'animation «The Sky Crawlers» de Mamoru Oshii
on y comprend très bien la place du twist et la valeur de la conclusion
c'est vrai que ce n'est pas un roman, néanmoins c'est une adaptation de roman.
J'avoue ne pas connaître de romans asiatiques, les seuls modèles de kishôtenketsu que je connais viennent de l'animation japonaise ou les films chinois et coréens.

BlueMarine
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par BlueMarine »

Je ne connaissais absolument pas ce style sino-japonais. Merci de nous en avoir fait un descriptif concis. C'est certain qu'en s'intéressant à des oeuvres qui suivent ce schéma il sera plus facile de se faire une idée de ce dont il s'agit.

:mage:
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:tournee:

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Re: Le Kishôtenketsu

Message par Lehua »

Cette structure est très intéressante… Je regrette de ne pas l'avoir découverte quand je lisais davantage de littérature asiatique. Je sens que je vais relire certains romans tiens ^^.

Pour ce qui est du conflit, je me demande si dans certains cas, il est porté par le protagoniste (ou ancré en lui). Je pense à Sommeil de Haruki Murakami, avec son personnage en proie à l'insomnie. On sait que dans cet état, on peut avoir plus facilement certaines réactions que d'autres. Ou dans Crapaudin sauve Tokyo, on comprend que le protagoniste a du mal à dissocier ce qui est le fruit de son imagination et la réalité. D'ailleurs, sa réplique « Ce que nous voyons avec nos yeux n'est pas forcément la réalité » conclut la nouvelle, pour moi, et ça, bien avant la fin.
Brefouille, c'était ma petite interrogation du soir :)
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par Florie »

En lisant la description de la technique je me suis dit "tiens, ça me fait beaucoup penser au film Rashômon", mais je vois qu'il a été cité dès le premier post du fil ^^

En effet c'est une technique qu'on retrouve beaucoup dans la littérature, les films et le théâtre japonais (pour ce que je connais).
Ceci dit, l'intrigue tend à se retrouver à la fin, et à mener à une conclusion du récit, non?
(cc Llyana, tu parlais de ce sujet en référence à ce que je disais à propos des films français: il n'y a pas de fin, on a l'impression de ne pas savoir où le réal veut en venir)

Là, des livres dont je me souviens qui suivent ce schéma narratif, il y a bien une convergence et une conclusion, me semble-t-il...
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par Llyana »

Je le citais surtout pour "il n'y a pas de fin définie/définitive", même si effectivement, il y a bien une conclusion.
Faudrait que je lise plus sur le sujet ;)
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par Umanimo »

Llyana a écrit :Je le citais surtout pour "il n'y a pas de fin définie/définitive"
Ce qu'on appelle une "fin ouverte" ? En général, j'aime bien les fins ouvertes, où tu sens que les personnages vont poursuivre leur vie dans laquelle il peut y avoir aussi des conflits et des problèmes, même si celui qui a fait l'objet du livre est plus ou moins résolu.
Sinon, je ne connaissais pas le terme et je serais curieuse de lire des livres (ou de connaître des titres de livres, peut-être que j'en ai lu sans le savoir) qui utilisent cette façon de construire une histoire.

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Florie
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par Florie »

Llyana a écrit :Je le citais surtout pour "il n'y a pas de fin définie/définitive", même si effectivement, il y a bien une conclusion.
Je vois ce que tu veux dire. En effet il n'y a pas forcément de fin définitive dans le sens "morale", ou "ils vécurent heureux etc.", mais il y a bien une conclusion, ce que je trouve qu'il manque dans certains films français (c'est juste un exemple je suis sûre qu'il doit y avoir des films pas français qui tombent dans le même cas) où on ne comprend pas le "but" de la fin. Dans le Kishôtenketsu, la fin a un "but", une "conclusion" même si c'est une fin ouverte...
Umanimo a écrit :Ce qu'on appelle une "fin ouverte" ? En général, j'aime bien les fins ouvertes, où tu sens que les personnages vont poursuivre leur vie dans laquelle il peut y avoir aussi des conflits et des problèmes, même si celui qui a fait l'objet du livre est plus ou moins résolu.
C'est un peu ça, une fin ou certaines questions restent en suspens, où la fin ne vient pas avec toutes ses réponses et ses résolutions. L'exemple qui me paraissait frappant est le film rashômon (donc), où un incident est relaté du point de vue de plusieurs témoins différents. Et ces trois histoires "parallèles" finissent pas se rejoindre. Mais pour autant que je m'en souvienne (j'ai peut-être tort, je l'ai vu il y a 10 ans), la fin de donne pas la résolution de l'affaire, le spectateur n'est pas sûr de quelle version est la vérité.

Ce genre de fin me plaît beaucoup aussi, il y a une intention derrière ce type de fin ouverte, différente en fonction de l'oeuvre bien sûr. Un petit côté "la vérité est ailleurs" peut-être?
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Re: Le Kishôtenketsu

Message par Axolotl-a-besicles »

Je me permets de commenter ton message, Beorn. En tant que lectrice de littérature japonaise et de manga, familière de la théorie narrative de Zeami (XVIIe s, auteur de pièces de kabuki), je ne comprends pas les termes tout à fait comme toi, et je pense justement que tu "loupes" les différences essentielles avec la narration occidentale.
Les % sont donnés "à la louche", et servent uniquement à bien mettre en valeur les différences en question.
Beorn a écrit :
Cela dit, si on fouille un peu ce qui est dit, je trouve que les différences sont essentiellement dans la présentation des choses, et portent peu sur le fond.
D'une part, je pense que les œuvres japonaises et chinoises contiennent toutes du conflit, c'est juste que le schéma du Kishôtenketsu ne met pas cette notion au centre de son explication de la narration. >> il y a bien du conflit, mais il est souvent intérieur ou subtil, pas "bourrin" comme dans la narration occidentale basée sur un schéma Bien/Mal et des essences fixes (si les personnages changent, c'est juste une "tombée de masque")
D'autre part, j'assume assez bien, pour ma part, d'être un "occidental" au sens où j'ai été baigné d'une certaine culture et de certaines histoires. J'aime bien les films asiatiques, parce que la sélection est drastique (on ne voit chez nous que les meilleurs, bien souvent) et parce que je n'en vois pas très souvent. Sinon, je pense que je commencerais aussi à y voir des schémas qui se répéteraient.

Maintenant, si je reprends les 4 points :
1. Introduction (Ki)
Description des personnages et/ou lieux. Il s’agit de créer la base de l’histoire.
Pour moi, c'est l'équivalent d'un bon vieux "Acte 1". >> Oui et non : oui, c'est l'exposition. Non, car on commence par une "tranche de vie" qui installe décor et personnages, puis les premiers éléments de l'intrigue, discrètement, comme une graine de lotus sous l'eau. Environ 30% du texte.
2. Développement (Sho)
Description des évènements qui vont amener au twist. Il n’y a pas de changement majeur.
C'est un peu la césure entre l'acte 1 et l'acte 2 : l'élément déclencheur. >> Non ! C'est la phase de complexification de l'intrigue, qui apparaît avec tous ses enjeux, dans une longue montée de la tension dramatique, crescendo !
La tige du lotus se déploie, le bourgeon se forme. Phase qui représente dans les 40% du texte !!!

3. Twist (Ten)
Un nouvel évènement non prévu et non annoncé éclaire sous une nouvelle lumière les évènements précédents et oblige le lecteur ou le spectateur à revoir toutes les conclusions qu’il avait pu établir précédemment. Il s’agit du climax d’une narration Kishôtenketsu.
La notion "d'éclairer les évènement sous une lumière nouvelle" n'est pas propre aux règles de dramaturgie occidentale, du moins pas présenté de cette manière. Mais si on lit ce qu'est un "acte 2", on retrouve beaucoup de notions similaires (préparation / paiement, ironie dramatique, révélations, entrée dans un nouvel univers qui fait voir le premier univers sous un autre angle, etc.)
C'est une façon féconde et intéressante de présenter les choses, je trouve. >> Et la voici, la différence fondamentale : nous sommes ici au climax, au sommet de la tension dramatique. Et paf ! coup de théâtre : un retournement de situation donne lieu à une grande scène de révélation, scène sur laquelle toute l'histoire repose.
C'est la fleur de lotus qui s'épanouit au soleil. Durée : 20% du texte.
Car dans ce monde flottant où nous ne pouvons connaître que des aspects transitoires des êtres et des choses, il est toujours des surprises et des imprévus qui échappent à notre sagacité (mais pas à celle du sage qui sait décrypter ou plutôt anticiper le déroulement des événements dans les "signes" annonciateurs).
Les Occidentaux, eux, croient pouvoir distinguer entre Bien et Mal, parfois avec difficulté puisque le Mal, c'est bien connu, avance masqué.. Une vision du monde par trop simpliste !

4. Conclusion (Ketsu)
La narration Kishôtenketsu finit souvent sans résolution ; des questions restent. L’histoire se conclut en réunissant plusieurs idées disparates que l’on pourrait considérer comme des réponses possibles.
Je crois que c'est ici la principale différence : nous, occidentaux, nous cherchons le plus souvent une réponse, que les portes "ouvertes" soient toutes "refermées". Une fin qui ne prend pas partie risque de heurter notre besoin de comprendre, de savoir si les personnages ont réussi ou non à agir sur le monde.
C'est aussi, je pense, ce qui rend les histoires asiatiques souvent frustrantes pour les occidentaux. Je pense que c'est une question de culture.
A mon avis, une histoire construite sur ce schéma, venue d'Asie, nous semblerait intéressante et différente parce qu'elle serait imprégnée d'une atmosphère "asiatique". Mais si un Français s'avisait de l'écrire, avec un décor occidental, on ne le comprendrait pas. Ou du moins, ce serait plus difficile.
Cela dit, je n'ai pas l'impression que toutes les histoires venues d'Asie se terminent sans résolution, après avoir vu/lu un certain nombre de films/dessins animés/mangas/romans japonais, notamment. >> La fin est plus une sorte d'épilogue, parfois très rapide, c'est la "chute" de la tension dramatique, dans le théâtre classique japonais en tut cas. Elle clôt une histoire.. mais cela n'est qu'un élément de début pour une autre histoire... Le champ des possibles n'est pas épuisé. Durée : 10% du texte.
Il est exact que les mangas, notamment, ont parfois recours à une narration "à l'occidentale", avec début et fin bien délimités et tonitruants (tatatam tsoin tsoin, tambours et trompettes), et bon gros conflit type épopée... pour la simple et bonne raison que les récits épiques font AUSSI partie de la tradition japonaise (cf le Dit de Heike, XIIe s). Et puis les idées sur le conflit comme moteur d’une histoire et son aspect moral viennent de Grèce antique (la Poétique d'Aristote) et du fait que l’Iliade, poème épique, est le premier texte de la littérature occidentale.
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Anonyme_Quatre

Re: Le Kishôtenketsu

Message par Anonyme_Quatre »

Les Occidentaux, eux, croient pouvoir distinguer entre Bien et Mal, parfois avec difficulté puisque le Mal, c'est bien connu, avance masqué.. Une vision du monde par trop simpliste !
C'est en effet un peu simpliste de le percevoir ainsi je pense ;)

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