[I] Le point de vue dans la narration : choix du narrateur
Posté : mar. oct. 01, 2013 3:34 am
Bonsoir, ou bonjour, grenouillettes et grenouillots !
Je ne sais pas trop si je vais vous être utile, peut-être que mon topo ne fait que rappeler ce que vous savez parfaitement mais tant pis. La focalisation, dans un récit, j'ai toujours pensé que c'était absolument fondamental et que tout le reste en découlait, mais c'est peut-être faux. Trop de gens plus compétents que moi ont développé la théorie du point de vue pour que je vous en remette une tartine, mais il me semble que ça pourrait aider à y voir clair si je m’amusais à écrire un chef-d’œuvre littéraire selon les diverses options possibles. Je prends la situation du polar de base : un patibulaire mais presque attaque un passant pour le voler, une nuit, dans une rue.
1. Troisième personne, narrateur omniscient (et lourd !)
Par une nuit sans lune propice aux guet-apens, un homme se dissimulait dans l’ombre d’un porche, guettant une proie. C’était un repris de justice surnommé Hammer en hommage aux coups terribles qu’il était capable d’asséner, comme ses codétenus n’en avaient que trop fait l’expérience. Il pestait contre le froid aigu de cette nuit d’hiver, tout en serrant ses poings dans ses poches. Enfin son attente fut récompensée : un passant isolé, en tenue de soirée, sortit d’une voiture qu’il venait de garer derrière l’angle de la rue et marcha vers lui sans le voir, puis le dépassa. Hammer assomma l’inconnu d’un terrible coup sur la nuque, puis le fouilla rapidement. Il s’empara rapidement d’un portefeuille, arracha une chevalière en or du doigt de sa victime, et s’enfuit à toutes jambes, sans vérifier si c’était un vivant ou un cadavre qu’il laissait derrière lui.
2. Troisième personne, narrateur discret aligné sur un personnage.
Par une nuit sans lune, un homme se dissimulait dans l’ombre d’un porche, guettant une proie, pestant contre le froid aigu de cette nuit d’hiver, et en serrant ses poings dans ses poches. Enfin il entendit des pas, et un passant isolé, en tenue de soirée, marcha vers lui, après avoir tourné le coin de la rue, puis le dépassa. Il fut assommé d’un terrible coup sur la nuque, puis fouillé. L’agresseur s’empara rapidement d’un portefeuille, arracha une bague au doigt de sa victime et s’enfuit à toutes jambes.
3. Troisième personne, focalisation externe : le narrateur feint de découvrir les faits en même temps que nous. Nous assistons à une scène de cinéma, qu’il nous faut interpréter. Par tradition, ce genre de narration se fait au présent.
Une rue, la nuit. Une nuit froide, sans lune. Une silhouette est dissimulée dans l’ombre d’un porche, remuant à peine. Des pas résonnent sur le trottoir, puis un homme en tenue de soirée passe le coin de la rue, dépasse la silhouette, et se fait assommer. L’agresseur fouille rapidement le corps étendu par terre, saisit un portefeuille, prend quelque chose au doigt. Une bague ? Et s’enfuit.
4. Première personne. L’agresseur : le problème qui se pose dans tout récit à la première personne, c’est de le situer et de le justifier. Par exemple, pourquoi diable le truand raconterait-il un délit dont l’aveu peut l’envoyer en prison, à qui, et pourquoi ? De plus, alors que par définition tout narrateur externe dit la vérité, tout narrateur-personnage est susceptible de mentir ou de se tromper, ou d’oublier… Certains auteurs de polars vont même jusqu'à faire de l'assassin le narrateur, et du récit-journal un moyen d'égarer l'enquête (Laura, Le meurtre de Roger Ackroyd)
• Il raconte juste après, à des copains, ayant un verre dans le nez. En rajoute peut-être.
• Il avoue après avoir été bien cuisiné au commissariat. Donc réticent, et cherchant à atténuer les faits, voire à les déformer.
• Il plastronne en prison, après avoir été arrêté et convaincu des faits, donc plus rien à perdre. Mais avec le temps des détails ont été oubliés.
Le langage évidemment va être adapté au personnage. Je ne m’y risque pas trop, mon idée de l’argot risque d’être un peu dépassée !
5. Première personne, personnage de la victime. Là se pose un autre problème : tels que les faits sont établis, le pauvre monsieur ne risque pas d’être très éloquent. En revanche, il risque de faire ce que font souvent les témoins, se perdre dans les détails inutiles, mais du coup nous renseigner sur ce que nous ignorons jusqu’à présent : les raisons pour lesquelles il est arrivé cette nuit-là dans cette rue-là ! Pourquoi et à qui raconterait-il sa mésaventure, et en quelles circonstances ? On peut imaginer une déposition au commissariat. Ce genre de récit ressemble souvent à une conversation téléphonique : on n’entend que l’un des interlocuteurs, et on devine les réactions de l’autre. Tout un conte de Jean Ray, Le gardien du cimetière, et toute une nouvelle de Nathalie Henneberg, dans l’Opale Entydre, utilisent le procédé.
Ce qui s’est passé, Monsieur le Commissaire ? Je suis bien en peine de vous le dire ! Je revenais d’une réception, et je rentrais chez moi. J’ai garé ma voiture dans une rue adjacente, et je me rappelle seulement avoir tourné le coin de la rue. Et qu'il faisait un froid de loup. Puis, plus rien, le noir. Je me suis réveillé le nez par terre, avec une migraine carabinée, et en me tâtant le crâne j’ai senti une énorme bosse. Oui, on m’a volé. Je n’ai plus retrouvé ni mon portefeuille ni ma bague. Le portefeuille, passe encore, mais la bague, oui, elle était en or, mais surtout c’était un souvenir de famille, vous comprenez ?
On peut aussi utiliser le style indirect libre.
Ce qui s’était passé ? Il était bien en peine de le dire. Il revenait d’une réception, rentrait chez lui après avoir garé sa voiture dans une rue adjacente, et se rappelait seulement avoir tourné le coin de la rue. Et un froid de loup. Après, plus rien, le noir. Il s’était réveillé le nez par terre, avec une migraine carabinée et en se tâtant le crâne avait senti une énorme bosse. Oui, on l’avait volé. Il n’avait retrouvé ni son portefeuille, ni sa bague. Le portefeuille, passait encore, mais il se désolait d’avoir perdu la bague. Oui, elle était en or, mais surtout c’était un souvenir de famille.
Vous aurez remarqué que je n’ai pas pu seulement mettre au passé et à la troisième personne. Il y a des tournures qui passent dans le style direct, mais pas ailleurs.
Je ne sais pas trop si je vais vous être utile, peut-être que mon topo ne fait que rappeler ce que vous savez parfaitement mais tant pis. La focalisation, dans un récit, j'ai toujours pensé que c'était absolument fondamental et que tout le reste en découlait, mais c'est peut-être faux. Trop de gens plus compétents que moi ont développé la théorie du point de vue pour que je vous en remette une tartine, mais il me semble que ça pourrait aider à y voir clair si je m’amusais à écrire un chef-d’œuvre littéraire selon les diverses options possibles. Je prends la situation du polar de base : un patibulaire mais presque attaque un passant pour le voler, une nuit, dans une rue.
1. Troisième personne, narrateur omniscient (et lourd !)
Par une nuit sans lune propice aux guet-apens, un homme se dissimulait dans l’ombre d’un porche, guettant une proie. C’était un repris de justice surnommé Hammer en hommage aux coups terribles qu’il était capable d’asséner, comme ses codétenus n’en avaient que trop fait l’expérience. Il pestait contre le froid aigu de cette nuit d’hiver, tout en serrant ses poings dans ses poches. Enfin son attente fut récompensée : un passant isolé, en tenue de soirée, sortit d’une voiture qu’il venait de garer derrière l’angle de la rue et marcha vers lui sans le voir, puis le dépassa. Hammer assomma l’inconnu d’un terrible coup sur la nuque, puis le fouilla rapidement. Il s’empara rapidement d’un portefeuille, arracha une chevalière en or du doigt de sa victime, et s’enfuit à toutes jambes, sans vérifier si c’était un vivant ou un cadavre qu’il laissait derrière lui.
2. Troisième personne, narrateur discret aligné sur un personnage.
Par une nuit sans lune, un homme se dissimulait dans l’ombre d’un porche, guettant une proie, pestant contre le froid aigu de cette nuit d’hiver, et en serrant ses poings dans ses poches. Enfin il entendit des pas, et un passant isolé, en tenue de soirée, marcha vers lui, après avoir tourné le coin de la rue, puis le dépassa. Il fut assommé d’un terrible coup sur la nuque, puis fouillé. L’agresseur s’empara rapidement d’un portefeuille, arracha une bague au doigt de sa victime et s’enfuit à toutes jambes.
3. Troisième personne, focalisation externe : le narrateur feint de découvrir les faits en même temps que nous. Nous assistons à une scène de cinéma, qu’il nous faut interpréter. Par tradition, ce genre de narration se fait au présent.
Une rue, la nuit. Une nuit froide, sans lune. Une silhouette est dissimulée dans l’ombre d’un porche, remuant à peine. Des pas résonnent sur le trottoir, puis un homme en tenue de soirée passe le coin de la rue, dépasse la silhouette, et se fait assommer. L’agresseur fouille rapidement le corps étendu par terre, saisit un portefeuille, prend quelque chose au doigt. Une bague ? Et s’enfuit.
4. Première personne. L’agresseur : le problème qui se pose dans tout récit à la première personne, c’est de le situer et de le justifier. Par exemple, pourquoi diable le truand raconterait-il un délit dont l’aveu peut l’envoyer en prison, à qui, et pourquoi ? De plus, alors que par définition tout narrateur externe dit la vérité, tout narrateur-personnage est susceptible de mentir ou de se tromper, ou d’oublier… Certains auteurs de polars vont même jusqu'à faire de l'assassin le narrateur, et du récit-journal un moyen d'égarer l'enquête (Laura, Le meurtre de Roger Ackroyd)
• Il raconte juste après, à des copains, ayant un verre dans le nez. En rajoute peut-être.
• Il avoue après avoir été bien cuisiné au commissariat. Donc réticent, et cherchant à atténuer les faits, voire à les déformer.
• Il plastronne en prison, après avoir été arrêté et convaincu des faits, donc plus rien à perdre. Mais avec le temps des détails ont été oubliés.
Le langage évidemment va être adapté au personnage. Je ne m’y risque pas trop, mon idée de l’argot risque d’être un peu dépassée !
5. Première personne, personnage de la victime. Là se pose un autre problème : tels que les faits sont établis, le pauvre monsieur ne risque pas d’être très éloquent. En revanche, il risque de faire ce que font souvent les témoins, se perdre dans les détails inutiles, mais du coup nous renseigner sur ce que nous ignorons jusqu’à présent : les raisons pour lesquelles il est arrivé cette nuit-là dans cette rue-là ! Pourquoi et à qui raconterait-il sa mésaventure, et en quelles circonstances ? On peut imaginer une déposition au commissariat. Ce genre de récit ressemble souvent à une conversation téléphonique : on n’entend que l’un des interlocuteurs, et on devine les réactions de l’autre. Tout un conte de Jean Ray, Le gardien du cimetière, et toute une nouvelle de Nathalie Henneberg, dans l’Opale Entydre, utilisent le procédé.
Ce qui s’est passé, Monsieur le Commissaire ? Je suis bien en peine de vous le dire ! Je revenais d’une réception, et je rentrais chez moi. J’ai garé ma voiture dans une rue adjacente, et je me rappelle seulement avoir tourné le coin de la rue. Et qu'il faisait un froid de loup. Puis, plus rien, le noir. Je me suis réveillé le nez par terre, avec une migraine carabinée, et en me tâtant le crâne j’ai senti une énorme bosse. Oui, on m’a volé. Je n’ai plus retrouvé ni mon portefeuille ni ma bague. Le portefeuille, passe encore, mais la bague, oui, elle était en or, mais surtout c’était un souvenir de famille, vous comprenez ?
On peut aussi utiliser le style indirect libre.
Ce qui s’était passé ? Il était bien en peine de le dire. Il revenait d’une réception, rentrait chez lui après avoir garé sa voiture dans une rue adjacente, et se rappelait seulement avoir tourné le coin de la rue. Et un froid de loup. Après, plus rien, le noir. Il s’était réveillé le nez par terre, avec une migraine carabinée et en se tâtant le crâne avait senti une énorme bosse. Oui, on l’avait volé. Il n’avait retrouvé ni son portefeuille, ni sa bague. Le portefeuille, passait encore, mais il se désolait d’avoir perdu la bague. Oui, elle était en or, mais surtout c’était un souvenir de famille.
Vous aurez remarqué que je n’ai pas pu seulement mettre au passé et à la troisième personne. Il y a des tournures qui passent dans le style direct, mais pas ailleurs.