Droit de citation : la chanson dans un roman
Posté : mer. nov. 27, 2013 9:22 am
Coucou les grenouilles !
Suite à une remarque très pertinente de Jo Ann V. sur le fil du challenge de tesha, je me suis posé la question du droit de citation des œuvres musicales dans un roman. Comme je n'arrivais à pas à avoir une réponse claire (ah, Légifrance...), je me suis adressée ce matin aux spécialistes du domaine, à savoir la SACEM. Je suis aussi concernée par de brefs extraits de chansons dans mon challenge en cours, donc la question m'intéressait, et je pense que ça peut aussi servir à d'autres grenouilles.
La SACEM m'a répondu en 10 minutes chrono. Comme quoi, des fois, ça vaut le coup de poser une question ! Je vous livre la réponse brute. Attention, c'est long !
Suite à une remarque très pertinente de Jo Ann V. sur le fil du challenge de tesha, je me suis posé la question du droit de citation des œuvres musicales dans un roman. Comme je n'arrivais à pas à avoir une réponse claire (ah, Légifrance...), je me suis adressée ce matin aux spécialistes du domaine, à savoir la SACEM. Je suis aussi concernée par de brefs extraits de chansons dans mon challenge en cours, donc la question m'intéressait, et je pense que ça peut aussi servir à d'autres grenouilles.
La SACEM m'a répondu en 10 minutes chrono. Comme quoi, des fois, ça vaut le coup de poser une question ! Je vous livre la réponse brute. Attention, c'est long !
Par conséquent, la citation de paroles de chanson dans un roman n'est pas autorisée.Bonjour
Le fait de pouvoir procéder à de "courtes citations" d'une œuvre est une exception au droit d'auteur. Il est donc important de rappeler qu'à ce titre, cette dernière doit être interprétée strictement et n'est permise que si toutes les conditions légales sont respectées.
L'exception de courte citation est prévue à l'article L.122-5 du Code de Propriété Intellectuelle qui stipule que : "lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire... sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source (...), les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées".
La "courte citation" est soumise à 5 conditions:
1. l'oeuvre doit avoir été divulguée,
2. le nom de l'auteur, et la source, doivent être clairement indiqués,
3. la citation doit être courte,
4. elle doit être incorporée à une oeuvre,
5. où son existence est justifiée par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de cette oeuvre.
Avant de détailler ces conditions, il est important de souligner qu'en matière de musique, il convient de distinguer selon que l'oeuvre soit citée sous forme de texte ou sous forme d'extrait musical.
En effet, il est généralement considéré que la citation est impossible dans les domaines autres que littéraire. Notamment, le Tribunal de Paris a rappelé, dans l'affaire Jacques Dutronc et a. c/ Sté Musidisc du 10 mai 1996, qu'"il est acquis que l'exception de l'article L.122-5 CPI, ayant trait aux courtes citations, en matière littéraire, portant dérogation au principe de nécessité de l'autorisation préalable de l'auteur avant toute reproduction, n'est pas transposable en matière musicale (...)".
1ère condition : La divulgation préalable de l’œuvre
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Cette condition, élémentaire à première vue, peut cependant faire défaut. Certains projets se donnent en effet pour finalité de faire connaître, sous forme de brefs extraits, des œuvres nouvelles récemment créées, non encore divulguées.
2ème condition : La mention du nom de l'auteur et de la source
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Les nouvelles technologies permettent d'indiquer aisément ces mentions. Dès lors, il convient de veiller au strict respect de cette condition, qui impose de mentionner, non seulement le nom des artistes interprètes et des producteurs des supports utilisés, mais aussi ceux des auteurs et compositeurs de l’œuvre.
=> Concernant les extraits musicaux ou audiovisuels, le respect de cette condition est rendu plus difficile à satisfaire. En effet, il parait peut réalisable de s'interrompre au cours d'extraits musicaux pour citer le nom de l'ensemble des ayants droit et la source de la citation.
Néanmoins, en matière audiovisuelle, une partie de la doctrine considère que cette condition peut être remplie si l'auteur et la source sont mentionnés dans le générique de l’œuvre seconde, mais ce point reste à l'appréciation du juge. Il est cependant préférable que cette indication de l'auteur et de la source soit réalisée simultanément.
3ème condition : La brièveté des extraits
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La notion de "brièveté" doit être appréciée en fonction de la durée de l’œuvre au cas par cas selon le principe de proportionnalité, car elle n'a pu être quantifiée ni par la législation, ni par la jurisprudence.
Pour ce critère, l'appréciation des juges est donc souveraine, mais il est important de relever qu'une chanson de quelques minutes est un format extrêmement court par rapport à un roman, un opéra ou un discours. La brièveté ne saurait donc être appréciée à la même échelle ; en effet, citer le quart d'une chanson est difficilement comparable avec la reproduction d'une page d'un roman.
Ainsi, la Cour d'appel a jugé que la reproduction d'un extrait de treize vers d'une chanson qui en compte trente-cinq ne peut pas être qualifiée de courte citation (Bertry c/ P. Bloch et J. Brun, 17 mars 1970).
Il convient également de prendre en compte la multiplication des citations d'un auteur dans un même ouvrage. En effet, les citations successives sont critiquables lorsqu'elles s'apparentent à une anthologie non autorisée et que l'ouvrage citant perd son originalité ou son attrait si l'on retire les citations. Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de Paris a condamné un biographe de C. de Gaulle qui avait accumulé 343 citations de ce dernier constituant les 86 premières pages d'un livre qui en comportait 320. En revanche, ce tribunal a toléré qu'un biographe de Saint-Exupéry publie 114 extraits (représentant une longueur totale de 11 pages) dans un ouvrage de 440 pages, estimant les citations non abusives eu égard à la longueur de l'ouvrage querellé, à leur diversité ainsi qu'à la liberté qui doit être reconnue au biographe de se référer aux œuvres du personnage biographié.
=> Par ailleurs, s'agissant d'extraits "audio", en 2003, la Cour d'Appel de Paris a jugé que "la durée des extraits diffusés (....) d'environ 30 secondes, au regard de celle des œuvres citées, d'environ 3 minutes chacune, ne répondait pas à la condition de brièveté requise".
De plus, la diffusion de courts extraits d'une chanson livre généralement le thème principal, ce qui peut amener l'auditeur à se satisfaire d'extraits, comme on l'observe dans la pratique du mixage, des jingles, etc.
Paradoxalement, du fait de sa nécessaire brièveté, la reproduction d'un extrait auditif ou audiovisuel peut également constituer une atteinte au droit moral des auteurs et interprètes en donnant une idée fausse de l’œuvre, ainsi déformée, tronquée ou réductrice. Cet argument rend encore plus difficile la conception de "citations audio".
4ème condition : L'incorporation à une œuvre autonome (dite "œuvre citante")
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Il n'y a pas "courte citation" toutes les fois que les brefs extraits d’œuvres protégées sont incorporés, non à une œuvre autonome qui subsisterait sans eux, mais à une collection d'extraits semblablement empruntés qui, une fois ôtés, ne laissent que le vide. Dans un tel cas, il n'existe pas d’œuvre citante, et, partant, pas de citation.
Cette condition a toujours été rappelée par l'analyse traditionnelle, soutenue par une jurisprudence absolument constante.
A cette jurisprudence n'ont fait exception que les arrêts "Microfor" de la Première Chambre Civile (9 novembre 1983) et de l'Assemblée Plénière (30 octobre 1987) de la Cour de Cassation. Mais ces arrêts ont été abondamment et unanimement critiqués par la doctrine qui les a considérés comme des arrêts de pure opportunité, rendus dans des circonstances actuellement tout à fait dépassées.
Ainsi, dans un arrêt du 22 mai 2002 concernant un recueil de partitions, la 4ème Chambre de la Cour d'Appel de Paris a mis en évidence que "les commentaires ajoutés, sous forme de questions simples, présentent un caractère accessoire par rapport aux extraits reproduits" pour en déduire que "les extraits de partitions musicales constituent la substance même de la prétendue œuvre seconde de telle sorte qu'elle ne peut survivre à leur retrait, qu'il n'y a donc pas incorporation des citations dans une œuvre seconde" (cette même chambre a rendu une décision allant dans le même sens le 14 juin 2000, dans l'affaire Sté Éditions littéraires et artistiques La différence c/ Moraly).
5ème condition : Le "caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information" de l'utilisation de la citation ________________________________________________________________________________________________________
Il y a citation si l'emprunt à l’œuvre préexistante est "justifié" par les nécessités du raisonnement de la démonstration, un besoin d'ordre didactique ou pédagogique. De même que l'analyse, également prévue au 3°a) de l'article L.122-5 du CPI, la citation répond à une nécessité d'ordre intellectuel.
La citation vient à l'appui d'un argumentaire, illustre une présentation, étaye une démonstration, ou une information. Elle ne se justifie que par les nécessités de la pédagogie ou de l'exposé scientifique, en tout cas les besoins de la démonstration intellectuelle.
Si, au contraire, c'est un objectif intéressé, commercial ou paracommercial qui a dicté l'emprunt par l'utilisateur des extraits qualifiés par lui de "citations", cette notion est invoquée mal à propos.
=> Concernant les extraits "audio", il convient de ne pas confondre extraits/reproduction partielle avec citation véritable. Tel est le cas du sampling, qui consiste à échantillonner des extraits musicaux pour créer des œuvres dérivées, des sonneries de portable ou encore les extraits musicaux sur les plateformes musicales ou vidéo sur Internet afin que le public teste avant achat. Ces reproductions, qui participent à un objet artistique et/ou commercial, sont soumises à autorisation, dans la mesure où elles ne se justifient pas, a priori, par un caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information.
Cordialement
La Direction des Relations Clientèle