Bonjour !
Je ne connais pas grand-chose au voyage dans le temps, si ce n'est que, semble-t-il, ce voyage ne serait possible qu'en voyageant plus vite que la lumière. En astronomie, voir loin, c'est voir dans le passé, car on regarde une étoile (par exemple) avant que la lumière émise par cette étoile ne puisse nous parvenir, donc nous voyons cette étoile non pas comme elle est, mais comme elle a été il y a tant de temps, selon la distance (en années-lumière) qui nous en sépare. Mais si l'on veut voyager physiquement dans le temps, il faut transporter nos atomes plus rapidement que la lumière, et donc les transporter loin, très loin, mais aussi parvenir à maintenir les molécules et les tissus qu'ils constituent, pour que nous soyons le même à l'arrivée. La question de la modification de la trame du temps par les actions de ceux qui voyageraient dans le temps semble en pratique extrêmement secondaire.
Il existe pourtant plusieurs moyens de se projeter dans le temps, non pas physiquement mais mentalement. La science de l'anticipation admet deux méthodes, la prévision et la prospection. La prévision suppose que les tendances actuelles se poursuivront dans le futur pour décrire et caractériser ce futur. La prospection formule une hypothèse et cherche à définir le futur pour le cas où cette hypothèse serait vérifiée. Ces méthodes permettent d'envisager de changer un futur qui n'a pas encore eu lieu. Dans
Minority Report, de Philip K. Dick, le héros dirige une unité qui emploie des pré-cognitifs. Ces pré-cognitifs voient des meurtres se commettre à l'avance et les hommes du héros arrêtent des coupables qui n'ont pas commis de crime... On pense au début que ce programme est très bon, car la criminalité baisse. On juge aussi que les futurs meurtriers auraient tous tué (ta solution n°2 : les personnages répéteraient le futur déjà prévu). Mais on se rend compte au fur et à mesure que les rapports des pré-cognitifs ne sont pas univoques, et qu'un futur meurtrier peut choisir de ne pas tuer (ta solution n°3 : les choix des personnages créent la seule et unique réalité).
Le cas du passé pose un nouveau problème : on peut interférer avec soi-même en se rencontrant. Dans
Le voyageur imprudent, de Barjavel, le héros commet quelques casses dans le passé pour s'enrichir, puis voit, dans son présent de départ, les livres sur ses vols mystérieux s'accumuler dans sa bibliothèque... Il décide enfin de marquer l'histoire du monde en supprimant Napoléon lors du siège de Toulon. Il retourne en 1793, se dirige auprès de Napoléon, le vise et tire. Un homme s'interpose et reçoit la balle, on le transfère à l'hôpital. Le héros cherche à savoir si cet homme est mort, mais apprend qu'il a tué son ancêtre. Le livre se termine sur la réflexion
to be or not to be, qui déchire alors le héros : si ce passé influe sur son présent (ta solution n°3), alors son ancêtre ne s'est jamais marié, et le héros n'a jamais été conçu, donc il n'existe pas, donc il n'a pas pu revenir en 1793 pour tuer son ancêtre, donc son ancêtre n'est pas mort, donc le héros a été conçu et il a pu revenir en 1793 pour tuer son ancêtre, ainsi de suite. On trouve alors que la solution n°3 ne fonctionne pas. Reste à envisager la création d'une réalité parallèle ou la théorie du multivers (ta solution n°1) : tous les possibles se réalisent dans des univers parallèles, donc le voyage dans le temps n'a pas d'autre intérêt que d'explorer ces possibles (ce qui serait advenu si...). Mais on peut très bien concevoir un récit qui ne serait pas chronologique et suivrait un héros qui, dans un chapitre, aurait choisi de tuer quelqu'un, mais qui ne l'aurait pas tué au chapitre deux, qui se serait suicidé au troisième et ne connaîtrait même pas sa victime au quatrième. Aucun besoin de voyager dans le temps pour raconter cela ; ce ne serait qu'un artifice utile à la rédaction, mais rien de plus. La possibilité de se rencontrer soi-même et de bouleverser son destin par là me paraît bien mise en scène dans l'exemple que tu donnes :
Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban, de J.K. Rowling. Le film de ce livre est certainement le meilleur de la série (et rehaussé par la médiocrité du quatrième opus...). Les personnages sentent vaguement que leurs doubles temporels sont présents derrière eux, par divers signes. La modification des événements dans le passé se répercute aussitôt sur le présent, supprimant les événements qui auront eu lieu depuis la modification jusqu'au point de départ des voyageurs du temps. Cette idée me paraît simple à mettre en place, et pourtant je lui trouve trois défauts : 1) les événements qui ont eu lieu depuis la modification du temps jusqu'au point de départ des voyageurs du temps se retrouvent vaporisés comme un rêve, et pourtant ils ont eu lieu pour que les voyageurs du temps puissent partir dans le temps, ce qui constitue une aporie ; 2) les voyageurs du temps sont à la fois eux-mêmes et leurs doubles du passé, or être à la fois dans deux corps pose un problème d'ipséité que je trouve assez légèrement traité ; 3) cette idée (ta solution n°2) ne pose aucunement le problème des paradoxes temporels, ce qui me semble assez dommage.
BettyLMDO a écrit :Et vous, quelles sont vos difficultés face au voyage dans le temps ? Quelle est votre postulat de départ concernant ses conséquences ? Quelles techniques adoptez vous pour le traiter efficacement sans paradoxes temporels ?
Je crois que la question des paradoxes temporels se trouve au cœur de toute histoire intégrant le voyage dans le temps. L'éluder me semble un mauvais choix. Les deux titres que j'ai cités,
Minority Report et
Le voyageur imprudent, me convainquent, parmi d'autres exemples, de la richesse narrative et réflexive des paradoxes temporels. Ceci dit, je ne crois pas avoir réussi moi-même à mettre en scène de meilleurs paradoxes que ceux déjà mentionnés. Pour finir de répondre aux trois questions, je me baserai sur le seul récit que j'ai commis qui comprenne un voyage dans le temps. Ce récit n'est d'ailleurs pas très bon. Le héros est un leader politique un peu minable, un chef d'opposition virulent qui tient des meetings dans des entrepôts désaffectés. Il échappe à plusieurs reprises à des opérations policières. Son ambition grandit. Le pays tombe entre ses mains à la faveur des hasards d'une révolution, sans qu'il soit réellement préparé à assumer l'exercice du pouvoir. Les pays voisins lui déclarent la guerre aussitôt, car sa dictature est sanguinaire. Il remporte une série de succès retentissants grâce à une intelligence artificielle (élaborée sur le modèle de HAL dans
2001, l'Odyssée de l'espace). Cette IA prend le pouvoir, reléguant le vieux dictateur dans un rôle uniquement décoratif. Le second héros entre alors en scène. Il s'est blessé à la guerre et sa réaffectation-promotion le porte à la tête d'un complexe scientifique imaginant de voyager dans le temps. Ce second héros était l'un des premiers soutiens du vieux dictateur : il avait milité dans les organisations de jeunesse universitaires, participé aux réunions informelles interdites, combattu dans les rangs de l'armée... Mais il voit dériver le régime, à cause de l'IA. Il remonte alors dans le temps et cherche à rencontrer le vieux dictateur dans sa jeunesse, au cours des réunions minables et féroces qui se tenaient quelques années avant la révolution. Il cherche à raisonner le futur dictateur, mais celui-ci doit fuir la ville, à cause des forces de police. Un peu plus tard, les troupes du futur rassemblées par l'IA ont fait le saut temporel : grâce aux armes du futur, l'IA souhaite effectuer une révolution plus rapide et conquérir le monde. Alors le second héros livre une guerre désespérée aux côtés des troupes gouvernementales contre les armées futuristes de l'IA. La chose étant perdue d'avance, il s'infiltre au sein du quartier général des révolutionnaires pour détruire l'IA. Il rencontre à nouveau le futur dictateur. Mais cette fois-ci, le leader politique est devenu fou d'ambition : l'IA lui a révélé le futur, la gloire et les conquêtes. Le second héros n'a d'autre choix que de tuer son idole en fuite au fond d'une forêt. Dans ce récit, j'ai choisi ta solution n°2 : les voyageurs du temps peuvent modifier le futur, il n'existe qu'un seul continuum espace-temps, la mort d'un homme dans le passé le supprime de l'avenir. J'ai combiné diverses influences dans le récit, lequel ne me plaît plus du tout ; la seule idée intéressante (empruntée ailleurs) résidait : 1) dans le fait que les deux camps voyagent dans le temps pour se livrer une guerre à deux époques différentes ; et 2) dans le fait que le second héros, connaissant l'avenir, cherche à le changer, tandis que le premier héros, ne le connaissant pas mais sachant les grandes lignes grâce à l'IA, cherche à le vivre par lui-même, et mérite ainsi la mort. Cependant, si je devais réécrire une histoire intégrant le voyage dans le temps, je délaisserais la solution n°2 pour mieux me concentrer sur les paradoxes temporels que je trouve intéressants.
Mes excuses pour le pavé.