Umanimo a écrit :Crazy a écrit :Umanimo a écrit :C'est la question que je me suis posée en fait, en lisant. Est-ce vraiment indispensable que ce soit si caricatural ? Les enfants ne sont-ils pas capables de comprendre des personnages plus nuancés ? Ou c'est notre vision que nous projetons sur eux.
Pour la projection, je ne saurais dire. Pour le reste, il me semble que la série a été écrite pour des mômes de l'âge de Harry (9 ans dans le t1, 10 dans le t2, etc...) donc la profondeur des méchants évoluerait en conséquence.
Je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre, mais je parlais de la projection dans le sens de "oh, ce sont des enfants, ils ne sont pas capables de comprendre les personnages nuancés, mettons-leur des méchants bien méchants et des gentils bien gentils". Est-ce nous les adultes qui pensons ça des enfants ou sont-ils réellement ainsi ?
La réponse est "oui". Sur quoi je me base ?
1) j'ai gardé ma bibliothèque d'enfant et d'ado, et j'y vois très clairement mon évolution, la façon dont je suis peu à peu sortie de la vision en noir et blanc des enfants pour saisir que la réalité, c'est plutôt "toutes les couleurs de l'arc-en-ciel", et que non il n'y a pas de "guide infaillible" pour trouver sa route, c'est à moi de faire l'exploration toute seule. Comme une grande. Avec tous les risques que ça comporte, les obstacles et aussi les merveilles découvertes en chemin.
2) pourquoi oublie-t-on toujours que les enfants sont dotés d'un cerveau immature ? Autrement dit, que leurs capacités intellectuelles, notamment celles d'abstraction, ne sont pas celles des adultes, et qui plus est évolutives !
Or, il y a une grande différence entre "on m'a fait mal", compréhensible par un gamin de 2 ans, et "le Mal personnifié" qui n'a pas de sens pour les plus jeunes.
Ensuite on passe à la phase "moi aussi, je peux faire mal et quand ça arrive, je mérite d'être puni, car si c'était l'inverse, ça ne me plairait pas du tout", avec la difficulté à réconcilier le côté "enfant sage" et le côté "enfant méchant" : c'est parce que les moins de 8 ans ne parviennent pas facilement à gérer cette contradiction (selon les psys pour enfants, appuyés par l'imagerie cérébrale), que les livres pour enfants regorgent de personnages "tout d'un bloc". De plus, les livres pour enfants ont un aspect éducatif, il s'agit de leur montrer clairement quels comportements sont tolérés et lesquels ne le sont pas dans la société où ils vivent (on appelle ça la "socialisation primaire" en sociologie). Parce que non, ils ne peuvent pas le deviner !
Puis arrive le stade préado, où les capacités d'abstraction sont suffisamment développées pour en arriver aux questions philosophiques.
Enfin, peu à peu, après une fréquente régression temporaire liée à l'assaut hormonal et émotionnel de la puberté qui provoque une vraie surcharge cérébrale (il y eu des études là-dessus, c'est d'ailleurs pour cette raison que les lycéens garçons sont désavantagés par rapport aux filles, la puberté masculine débutant environ 2 ans plus tard), la compréhension de plus en plus fine et nuancée du monde dans lequel ils vivent - avec une vision du Mal qui s'éloigne des modèles manichéens pour aller vers la complexité du réel.
On trouve cependant parfois des adultes qui croient dur comme fer à un Bien qui s'opposerait à un Mal. Les raisons pour lesquelles ils régressent dans leur vision du monde vont de l'absence totale de réflexion personnelle à la détresse profonde, mais ce qui est certain, c'est qu'ils font un matériau de choix pour devenir soldats fanatiques... (Ne manque que le gourou manipulateur, façon "Vieux de la Montagne")
En fait, la notion de "Mal" est simpliste. Quand on essentialise "l'ensemble des actes réprouvés par la société", ou mieux, "l'ensemble des actes qui constituent une transgression des règles admises au sein de tel groupe à telle époque", on n'obtient qu'une bouillie infâme de morale religieuse mal digérée. C'est ce que j'appelle l'Erreur de Mani, du nom du prophète persan de religion mazdéenne qui donna son nom au manichéisme. Il a confondu les règles humaines avec les concepts cosmiques d'Ombre et de Lumière, et c'est pourquoi il considère absurdement que Lumière = Bien et Ombre = Mal, alors que nous avons besoin de la succession du jour et de la nuit. (Sans nuit, pas de sommeil, et sans sommeil on meurt.)
Or, dans une société telle que la nôtre, non seulement les valeurs évoluent (comme certains l'ont brillamment rappelé), mais surtout il existe
plusieurs sources légitimes de règles et de codes moraux : la loi, les différentes religions "moralistes" (christianisme, judaïsme, islam, bouddhisme) et leurs sous-ensembles (la question de l’avortement fait débat chez les catholiques, par exemple), et puis par exemple, la déontologie professionnelle d'un médecin qui remonte à Hippocrate, ou le code d'honneur de la mafia. Il est entendu que la légitimité de ces sources n'est reconnue que par les membres du groupe qui s'y réfère (je ne reviens pas ici sur la définition de la légitimité, qui est au cœur des réflexions sur le pouvoir), ce qui explique que ce qui est "bien" pour l'un sera "mal" pour l'autre : ces deux individus ne reconnaissent pas les mêmes règles, tout simplement. D'où conflit.
Et donc, on n'a même pas besoin d'avoir un conflit qui est une question de survie pour l'un ou les deux : il suffit simplement d'avoir 2 personnages qui ne se comprennent pas car ils ne sont "pas du même monde", ne vivent pas selon les mêmes règles et ont donc des objectifs et des besoins différents. En fonction du point de vue que l'on adopte, et de la caractérisation de chacun, on pourra (ou pas) faire en sorte que le lecteur voie un personnage comme "méchant" ou "plus méchant que l'autre".
Cela posé, il reste exact que l'interdit de tuer est commun à toute l’humanité, même s'il connaît des aménagements (théorie de la "guerre juste", tout ce qu'il y a de plus chrétien :ironik:). C'est sans doute, faisait remarquer je ne sais plus qui, parce qu'il est nécessaire à la vie en société.
L'interdit de l’inceste aussi, même si sa définition varie en fonction de celle de la famille, comme l'a montré Claude Lévi-Strauss (matriarcat ou patriarcat, que fait-on des cousins germains, des personnes portant le même nom de famille mais sans lien de parenté peuvent-elles se marier ? en Chine, c'est "non"... car on pense qu'ils ont les mêmes ancêtres - cette loi existe toujours alors qu'il y a peu de noms de famille en Chine, ce qui serait plutôt l'indice d'une assimilation forte par la culture de l'ancien royaume de Qin, qui a conquis les autres pour devenir l'Empire de Chine). C'est un tabou absolu, sauf si les personnes sont considérées comme divines (cas des Pharaons ou de l'Inca, fils du Soleil) ; de ce point de vue, l'inceste "pour conserver la pureté de la lignée" n’apparaît qu'au XIXe siècle en Europe, avec la découverte de la génétique (les petits pois de Mendel) et c'est une théorie d'extrémistes racistes, ce qui est un cas très particulier.
Finalement, toute la morale humaine ne tient-elle pas en cette phrase : "ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse" ? Et pourtant, cela présuppose l'égale dignité de chaque individu, quelles que soient les différences entre eux... Ce qui n'a rien de naturel, et est même contraire aux conceptions de la grande majorité des sociétés humaines (surtout celles du passé). La notion de "morale universelle" ne peut qu'échouer, malgré le sentiment commun d’appartenir à la même espèce... Et c'est peut-être là qu'est la clé d’ailleurs : dans le sentiment. Car les révoltes naissent du sentiment d'injustice (à tort ou à raison), donc en dernière analyse, le mal est "ce qui nous fait mal", la douleur et l'émotion qu'elle suscite. Quelque chose de plus animal que nous ne le croyons... et que toutes nos règles ne visent qu'à canaliser, ou mieux, prévenir.
AXO qui va vraiment aller dormir cette fois...
Désolée pour le pavé, ce fil est passionnant !!! Et je me suis laissée entraîner dans les méandres de ma tendance philo...