Nicolas a écrit :(et voilà, j'ai envie de relire Dune maintenant)
Cloe[cestdoncvrai] a écrit :- La valeur de son travail. Rémunérée ou non, toute activité sur laquelle on a passé du temps génère de la valeur. Je ne voit pas pourquoi, sous pretexte que je n'en ai pas la necessité immédiate pour vivre, mon travail aurait moins de valeur que quelqu'un qui vit de son écriture.
Pour moi ce n'est pas vrai, la valeur (marchande) n'existe pas dans l'absolu. Elle n'apparaît que si quelqu'un paie pour acheter. Sans client, un produit n'a pas de valeur, même pas celle des ingrédient qu'il a consommé (ça c'est son coût de production, pas sa "valeur" ).
En revanche tu peux donner une valeur non marchande à ce que tu fais. Et c'est d'ailleurs bien à cause de celle-là que les auteurs écrivent, même s'ils le font à perte d'un point de vue financier, en ne vendant pas ce qu'ils font.
Et là on touche ce qui créé la tension entre pro et non pro : celui dont c'est le métier a besoin de vendre pour vivre, et éventuellement acceptera diverses concessions sur la valeur non marchande qu'il donne à son produit, si ça permet d'augmenter sa valeur marchande au niveau dont il a
besoin.
En revanche celui qui produit son oeuvre sans besoin de la vendre, il le fait pour obtenir autre chose, que j'appellerais ici "prestige". Une forme de reconnaissance de ce qu'il est, et de ce qu'il fait. Non seulement il n'a pas besoin de vendre ce qu'il fait, mais pire, il est prêt à
payer pour obtenir ce prestige (soit indirectement, en ne rémunérant pas le temps qu'il passe à sa production artistique, soit directement, en dépensant de l'argent à perte par ex en se déplaçant physiquement pour faire la promotion de ses oeuvres).
Il est inévitable que les deux optiques s'affrontent, mais ce n'est que le résultat du fait que les objectifs de l'une et de l'autre sont tout à fait différents.
Cloe[cestdoncvrai] a écrit :- Je n'ai pas "pas dépensé" d'argent en écrivant. Ayant été indépendante j'ai tendance à réfléchir en tarif journalier. Combien une journée pourrait potentiellement me rapporter ? Dés lors que je ne choisi pas de consacrer mon temps à l'activité pour laquelle je suis le plus rémunérée, je prends un risque : celui de ne jamais percevoir de rémunération pour l'activité choisie. Que ce risque soit pleinement assumé car il relève de la passion ne retire rien au risque pris.
Là je suis d'accord, mais ça reste biaisé pour moi puisque l'activité que je choisi de faire n'est pas forcément valorisable, au seul prétexte qu'elle le "pourrait". ça rejoins le point précédent : sans client, pas de produit.
D'un point de vue entrepreneurial, tu peux avoir une super idée d'un truc à vendre, mais ne jamais arriver à la vendre parce que tu ne trouve pas de marché : pas de clients du tout, ou alors, pas de clients qui acceptent de payer au moins ton coût de production, ce qui revient au même que "pas de marché". Tu peux, physiquement, produire ton truc, mais tu ne peux pas le vendre. Donc il n'a de valeur que pour toi, et ce n'est pas une valeur marchande. "c'est un coundelich, ça n'a pas de prix"
Or il me semble que dans l'écriture, sauf à écrire sur commande, on se retrouve bien dans le cas d'un entrepreneur qui pense avoir une bonne idée à valoriser, mais ne sait pas s'il trouvera effectivement un marché. Mais il est tellement convaincu que son idée est bonne qu'il va quand même la réaliser sans savoir s'il pourra la valoriser (et dans 99% des cas, il ne la valorisera pas).
On n'est donc pas, pour moi, dans le domaine de l'activité commerciale, et c'est pourquoi il ne s'agit pas à mon sens d'un risque financier. L'auteur n'a pu assumer ce "risque" que du fait qu'il a par ailleurs un revenu pour assurer sa survie, et qu'il ne risque pas la faillite personnelle en produisant ses oeuvres, même à perte. (et que la loi ne lui interdit pas cette activité à perte)
Cloe[cestdoncvrai] a écrit :Mais je trouve dommage de se dire "Rien ne viendra des éditeurs" : ils ont l'expérience qui pourrait leur permettre de faire évoluer leur marché...
Je ne dis pas qu'il ne viendra rien d'eux, mais seulement que je ne pense pas que c'est eux qui porteront les initiatives. Personne n'est moteur pour bouleverser l'environnement dont il tire sa subsistance (en principe). Mais il me semble évident qu'ils sont les mieux placés pour aider les innovateurs à concrétiser leurs idées, de part la connaissance qu'ils ont justement de l'environnement actuel. L'innovateur lui a une forte tendance à prendre ses rêves pour des réalités (et par ex à croire coûte que coûte que son idée a une valeur marchande, alors qu'il ne trouve aucun client, ce qui l'amène à monter plusieurs fois de suite la même entreprise et à faire faillite à chaque fois... ). C'est très très courant les gens qui se lancent dans une activité commerciale non pas après avoir vérifié qu'ils
auraient des clients, mais uniquement à partir d'une idée qui leur semble bonne, à eux seuls.
Nicolas a écrit :Proposer librement une version corrigée du texte pendant cette durée me laisse dubitatif. Cette action va gêner, et certainement impacter la réussite du livre.
Je n'en suis pas certain. Dans un monde théorique où tout le monde aurait connaissance de tout, c'est sans doute vrai. Mais dans la réalité, tous les clients potentiels n'en sont pas, certains juste parce qu'ils n'ont pas connaissance de l'oeuvre. Du coup le marché se réduit faute de visibilité du produit. La distribution libre augmente cette visibilité, et donc le marché, or cette publicité a un coût véritable si on la produit soi-même. Est-ce que le résultat comptable c'est un bénéfice ou une perte ? à mon avis ça dépend de beaucoup de paramètres et il n'y a pas qu'une seule réponse, mais il doit y avoir pas mal de réponses pour laquelle ce résultat est bénéficiaire. Après tout ça fait longtemps que les autres secteurs commerciaux ont intégré le concept de la distribution "gratuite" d'une partie ou de la totalité d'un produit. Il faut juste inscrire la "perte" représentée dans la colonne "investissement publicité". C'est juste que cet argent au lieu d'avoir été dépensé, n'a pas été gagné. C'est un non-argent. Mais ça revient au même. On peut augmenter le bénéfice autant en vendant plus qu'en réduisant les charges.
Je pense à un autre exemple dans la boîte que j'ai créé (rien à voir avec l'édition, c'est un bureau d'étude en construction écologique et passive). Vous me pardonnerez cette digression j'espère, car on est bien dans le même sujet.
Nous sommes sur un marché de niche, notre principal problème au départ c'était que nos rares clients potentiels sachent que nous existons. Or la propagande publicitaire habituelle, sauf à être coca-cola et à inonder la moitié du monde sur tous les supports, ne produit que des résultats infimes pour un coût énorme. Nous avons donc opté pour internet (c'était le début, y'a 12 ans) en nous disant que les gens devraient à l'avenir plus utiliser google que les pages jaunes. Or pour se rendre visible sur internet il fallait proposer du contenu, parce que la page avec l'adresse de la boîte, ça n'attire personne. Nous avons décidé de faire des dossiers qui expliquaient comment on construit des bâtiments écologiques et passifs, et que ces dossiers seraient en consultation libre. A ce stade nos concurrents et collègues nous ont dit qu'on se tirait une balle dans le pied : si on donne à nos clients potentiels les infos qu'ils sont censés nous acheter, de quoi va-t-on vivre ? En fait nous comptions sur le fait que même après avoir lu 10 pages détaillées, le lecteur n'a pas subitement rattrapé 5 ans d'apprentissage et d'expérience. Donc lire ce dossier ne lui permet pas de concevoir sa maison. Et si un lecteur arrive à le faire malgré tout, alors ce n'est pas un client "perdu" puisque de toute façon il aurait été capable même sans nous de se débrouiller tout seul, et ne nous aurait pas fait intervenir. Pour les autres le procédé s'est révélé tout à fait valable : après avoir obtenu toutes ces infos gratuites, le lecteur est convaincu que nous sommes compétents, bien mieux que si on lui avait dit. En somme c'est du show, don't tell. Lui montrer qu'on connaît notre sujet est plus efficace que de simplement dire "nous sommes les meilleurs". Il se dit que si on a pu écrire tout ça, c'est qu'on connait vraiment notre affaire. Ensuite, la lecture lui a permis de comprendre que le sujet est trop compliqué pour qu'il se débrouille seul, et donc, qu'il aura besoin de nous. CQFD. Enfin, le fait qu'on donne tout ça librement inspire une sorte de sentiment de générosité de notre part. ça donne l'idée qu'on n'est pas avares, et qu'on veut participer à plus que juste du business (et nous ça nous apporte un peu de ce prestige dont je parlais plus haut aussi, à titre personnel, parce qu'on pense nous aussi qu'on n'est pas avare et qu'on contribue à quelque chose de positif pour l'humanité, et c'est un peu pour ça qu'on a choisi cette activité et non une autre plus lucrative).
En fin de compte, le travail qu'on a mis à disposition libre, nous a bel et bien coûté de l'argent, au moins le temps passé à le faire, et aussi les frais d'hébergement du trafic généré, et on ne l'a vendu-facturé à personne. Mais cette somme est finalement modeste en comparaison d'un budget de com publicitaire, et en plus nous a rapporté de bien plus grands retours, ainsi qu'une satisfaction non marchande en prime. Bref, cette diffusion libre, est finalement "tous bénéfices". (et pour finir l'histoire, au bout de quelques années, nos concurrents qui nous pensaient cinglés au départ se sont tous mis à nous copier, certains littéralement !
)
Nicolas a écrit :si je lis un livre que j'aime beaucoup gratuitement et qu'on m'annonce ensuite que ce livre est disponible en papier/numérique payant, je ne l'achèterai probablement pas.
Pour moi c'est différent, car je ne vois pas comment je pourrais obtenir une version physique, papier, d'un livre gratuitement. Même si je peux imprimer moi-même un truc numérique, ça ne sera pas gratuit. Or je n'aime guère lire les livres sur écran. Du coup ce qui m'a plu à la lecture numérique, j'ai fortement tendance à vouloir me le procurer en papier. D'autant que j'aime relire, et pas seulement Dune
Nicolas a écrit :Mais il ne faut pas oublier qu'à côté des maisons d'édition, il y a tous les autres acteurs de la chaîne du livre et en particulier les librairies et autres plates-formes (FNAC, Amazon...) qui seront aussi impactées et probablement réfractaires par cette manière de faire...
J'ai l'impression au contraire que ceux-là peuvent être moteur de changement, notamment dans le but de squizer la case éditeur, en faisant faire son boulot par un intermédiaire au rabais, mais en empochant sa part quand même. Ils ont l'argent, la motivation à le faire fructifier, et la visibilité. Mais leurs objectifs ne sont ni ceux des auteurs, ni ceux des éditeurs :/
AgatheK a écrit :Vivre, aujourd'hui, est de plus en plus difficile. Vivre sa passion l'est encore plus.
Mouais. Sauf peut-être entre 1950 et 70, aucune population du monde n'a jamais vécu dans des conditions si bonnes que les nôtres pour "vivre sa passion" dans toute l'Histoire. Même nos pauvres sont extraordinairement riches.
AgatheK a écrit :Hier encore, j'entendais aux infos que les départements étaient proches de la faillite à cause de la baisse des dotations de l'Etat et du nombre d'allocataires au RSA qui explosait.
ce qui plombe les finances publiques c'est pas les aides sociales, c'est la baisse des recettes dues à une très faible activité économique d'abord (et une fraude massive des plus gros acteurs), et le fait que malgré tout on continue d'investir en masse pour étendre des infrastructures coûteuses. Notre argent sert à étendre du goudron par terre et enterrer des tuyaux, c'est ça l'essentiel des dépenses, et non le RSA dont une bonne partie de ceux qui y ont droit ne le demandent même pas par honte sociale de le faire (ou simple ignorance, ou les deux).
ps : j'en profite pour faire un peu ma pub parce que j'ai écris une nouvelle pour l'AT travail, en plein sur le sujet de l'évolution du droit d'auteur, du rapport à la propriété, du revenu inconditionnel etc., du coup si certain sont intéressés pour me faire un retour en off dessus, faites-moi signe
- la v1 off était là :
viewtopic.php?f=23&t=218670