Nana a écrit :Ce qui me perturbe surtout, c'est qu'il me semble qu'un seigneur, à proprement parler, est quelqu'un qui possède des terres, mais qu'on peut être noble sans forcément posséder des terres. Du coup, je me demandais si ça convenait de dire "Seigneur" a tous les nobles, et quand est-ce qu'on utilisait "Messire", "Sieur" et compagnie.
La seigneurie est un objet compliqué. Il s'agit de l'exercice du ban (pouvoir de police et de justice) et de droits fiscaux. La seigneurie est immatérielle ; en pratique, bien sûr, les droits s'exercent sur une source de prélèvements fiscaux, dont le seigneur a la propriété foncière et les usagers la propriété utile. Il peut s'agir d'une terre mise en fermage ou métayage, mais il peut tout aussi bien s'agir d'un moulin, d'un four, d'une forêt, d'un pont. Le seigneur reste l'homme (ou la communauté) qui peut prélever, sur le plan fiscal, des revenus sur l'usage que fait tout un chacun de sa terre, de son moulin, de son four, de sa forêt, de son pont.
Le seigneur n'a pas besoin d'être issu de la noblesse, et beaucoup de seigneurs sont roturiers. Il s'agit de bourgeois, d'abbés, de communautés laïques ou religieuses. Le mot seigneur renvoie davantage à l'état de dépendance envers le détenteur du ban. Ce n'est nullement un titre de noblesse. En revanche, si des terres sont constituées en duché, par exemple, le duc demeure le seigneur d'une partie de son duché, tandis qu'il cède en guise de fiefs, à ses feudataires, différentes seigneuries sur son duché. Les feudataires s'entretiennent sur leurs fiefs (s'il ne s'agit pas de terres, les feudataires sont dits
chasés), charge à eux d'être en mesure de répondre à l'appel du ban lorsque leur suzerain le demandera. Cela répond tout de même à de strictes conditions.
On ne servait du
messire et du
monseigneur qu'à son propre seigneur, qu'il fût noble ou non. On pouvait, par obséquiosité, se dire le dépendant d'un tel en l'appelant
messire. Les nobles sont appelés soit par leur prénom (familiers), soit par leur épiclèse (hagiographes), soit par leur nom (autres), précédé, le cas échéant, soit de la particule et du prénom, soit de la particule et d'un titre. La particule est, très souvent, la manière d'introduire un locatif dans l'onomastique, et beaucoup de roturiers s'en servent ; elle n'indique pas la noblesse. En résumé, le comte Gauvain III de Trouperdu, dit le Lion, sera
Gauvain dans son proche entourage et parmi ses égaux,
le Lion dans ses exploits guerriers pour son passage à la postérité,
monseigneur pour ses tenanciers s'il est présent (qu'ils soient feudataires sur un fief ou fermiers sur une censive),
sire Gauvain, voire
messire le comte, en cas d'absence et selon l'éloignement du locuteur.
Le vouvoiement n'est pas, semble-t-il, le cas général lorsqu'on s'adresse à un noble au douzième siècle. À mon avis, s'il n'est pas stupide de l'appliquer dans un roman, pour représenter le sentiment hiérarchique, il peut être tout à fait bienvenu de manier le tutoiement de temps en temps, à l'égard du même noble, en fonction de la proximité sociale de celui qui parle, et de son degré de révérence envers son interlocuteur.
J'espère avoir pu t'aider !