La mare aux nénuphars

Campé résolument au sommet de la gigantesque pyramide de pierre, le prête emplumé de couleurs, paré de son costume de cérémonie, déposa délicatement un ourson de guimauve chocolatée sur l'autel sacrificiel. L'immense foule à ses pieds psalmodiait des prières ferventes : "Ô Essegé, déesse parmi les déesses, ta mansuétude nous implorons ! Daigne nous abreuver de ta connaissance !"
L'officiant leva soudainement dans un geste théâtral un poignard à la lame d'obsidienne luisante. Les suppliques cessèrent brutalement et tous retinrent leur souffle. Un linceul de silence recouvrit la foule assemblée, pieusement recueillie, jusqu'au dénouement. Puis, sans prévenir, le prêtre abbatit son poignard sur l'ourson en guimauve, le tranchant net en deux.
"Ô grande et belle Essegé, dans ta perfection, accepte ce sacrifice perpétré au nom de ta ton immense grandeur !"
Il prit les deux morceaux de l'ourson en chocolat et se les fourra dans la bouche avant de reprendre en mâchonnant, une extase mystique peinte sur ses traits enfiévrés, les restes de sa pauvre victime :
" Par le destin funeste de l'Ourson Sacré, accorde-nous le bonheur de te voir lever un coin du voile sur l'avenir, Ô toi, Déesse toute-puissante des nénuphars et du chocoatl* réunis !"
A ces mots, les ouailles frémirent de recueillement et tombèrent à genoux face contre terre alors que le prêtre, les yeux révulsés, levait ses deux bras et le poignard d'obsidienne enchocolaté vers les cieux. Tous reprirent en cœur sa supplique en un leitmotiv lancinant :
" Accorde-nous le bonheur de te voir lever un coin du voile sur l'avenir, Ô toi, Déesse toute-puissante des nénuphars et du chocoatl réunis !"

* (NDLA : ouais, on dit comme ça chez les peuplades Paztèques !)