Je mettrai à jour le sujet en fonction de vos réponses donc n'hésitez pas à rajouter des élément si vous en avez de nouveaux, me donner des idées d'exemples plus pertinents ou à critiquer si je ne suis pas claire.
Petites précisions :
- Je parle ici, naturellement, de la question des temps dans un roman écrit au passé (qui utilisera donc majoritairement le triptyque passé simple/imparfait/plus que parfait) alors que les romans écrits au présent utiliseront plus le triptyque (présent / passé composé / imparfait). Je rappelle juste que, dans un roman écrit au présent, le passé simple est quasiment à bannir, même quand on se réfère au passé : il sonnerait très faux, on lui préfère le passé-composé.
- Dans la suite de l'analyse, je vais parler uniquement de la différence passé simple / imparfait mais partez du principe que ce qui vaut pour le passé simple vaut aussi pour le passé antérieur et que ce qui vaut pour l'imparfait vaut aussi pour le plus que parfait.
Imparfait / Passé simple
Description / Action
Action longue / Action courte
Action répétée / Action unique
Habitude / Rupture d'habitude
Action/Description d'arrière plan / Action de premier plan
Temps du point de vue du personnage / Temps du point de vue du narrateur
Description / Action :
C'est un peu la grande différence qu'on étudie au collège entre les temps et dans une certaine mesure, c'est vrai : le passé simple est le temps majoritairement employé pour montrer des actions et l'imparfait le temps majoritairement employé pour faire des descriptions. Sauf que ça ne peut pas suffire puisque toutes les actions ne seront pas montrées avec du passé simple et que bien souvent on va employer un peu de passé simple dans les passages de descriptions. Donc, mon conseil : garder cette distinction fondamentale en tête mais partir du principe que toutes les différences d'emploi mentionnées après sont beaucoup plus utiles pour trancher que celles-ci, puisque les exceptions sont très nombreuses.
Le suremplois du passé simple, révélateur d'un récit trop centré sur l'action :
D'une manière générale, on conseille d'essayer de trouver un équilibre entre le passé simple et l'imparfait qui serait autour de deux tiers d'imparfait et un tiers de passé simple. Bien sûr, le passé simple sera plus employé dans les scènes d'actions donc ce ratio ne sera pas forcément atteint mais en tout cas, une chose est certaine : un récit qui utilise trop le passé simple produira un effet de lassitude au niveau du lecteur et deviendra assez vite monotone.
Pourquoi ? Le passé simple est très factuel : on apprend au lecteur que le personnage a fait ça et ça, puis ça mais on reste à distance. Par opposition, les passages de descriptions (que ce soit des lieux mais aussi des émotions et des pensées des personnages > c'est-à-dire une source majeure d'écriture en show) vont plus employer les formes d'imparfait - sachant bien sûr que les dialogues et les mentions de réactions physiques, d'autres cas de show, peuvent être au passé simple. Souvent, un excès d'emploi de passé simple par rapport à celui d'imparfait peut être un indice qu'on a pas assez pris le temps de s'attarder sur ce que ressent/pense/perçoit le personnage, c'est donc un élément à surveiller. Pourtant, même dans les scènes d'action / de combat, ces passages-là sont cruciaux pour embarquer le lecteur dans la scène !
Action longue vs Action courte
A part les deux derniers cas qui ne sont pas des actions donc ne rentrent pas dans la distinction, on voit bien que la différence entre les deux se vérifie.Comme Mathilde le fit remarquer avec un air presque surpris, il n'y avait pas un bruit : le clapotis de la rivière avait remplacé le torrent des voitures. Quelques mètres devant elle, Amy arracha un brin d'herbe et le porta à ses lèvres.
Justine se retint de rire devant leurs têtes à l'air très inspiré : la scène était d'un cliché ! Ses amies étaient deux fleurs de béton, il n'y avait pas à dire !
Produire des variations dans le rythme :
La distinction entre action longue et brève marche très bien pour mettre en avant tout ce qui est de l'ordre de l'événement, de la surprise : installer un rythme lent et puis soudain le rompre avec des actions courtes. C'est pour ça qu'il est important d'essayer de ne pas trop abuser du passé simple dans les scènes de description ou les scènes au rythme lent : autrement, on perd l'effet de rupture et de saisissement au moment où cette tranquillité est perturbée.
C'est un peu le même combat qu'avec les phrases courtes : un paragraphe entier écrit avec des phrases courtes n'apporte pas grand chose de nouveau au niveau du rythme : tous les éléments finissent par avoir la même importance. Mais un paragraphe avec des phrases globalement longues puis soudain une phrase courte, là d'un seul coup cette phrase lapidaire interpelle (pareil pour les longs paragraphes/paragraphes courts). C'est l'alternance qui créé le rythme et permet à certaines phrases/passés simples choisis de ressortir.
Action répétée vs Action unique
Comme on le voit, j'ai repris le même exemple qu'au dessus mais cette fois-ci, certains des passés simples sont devenus des imparfaits pour montrer que l'action courte (arracher des brins d'herbe) s'est produit plusieurs fois, ou qu'elle s'est étalé dans le temps (se retenir de rire).Comme Mathilde le fit remarquer avec un air presque surpris, il n'y avait pas un bruit : le clapotis de la rivière avait remplacé le torrent des voitures. Quelques mètres devant elle, Amy arrachait des brins d'herbe puis en porta un à ses lèvres.
Justine se retenait de rire devant leurs têtes à l'air très inspiré : la scène était d'un cliché ! Ses amies étaient deux fleurs de béton, il n'y avait pas à dire !
C'est un exemple tout bête mais qui montre bien que les rôles ne sont pas figés et qu'une même phrase peut fonctionner (au niveau syntaxique) tout aussi bien au passé simple qu'à l'imparfait. Parfois, choisir l'un ou l'autre peut avoir des conséquences au niveau du sens - entre nos deux exemples, on voit bien que la scène décrite est légèrement différente) mais parfois, c'est juste une différence au niveau de l'effet produit, et surtout du rythme.
Habitude vs Rupture d'habitude
La différence est assez connue, le passé simple introduit un changement. Là on est clairement dans le schéma narratif classique : une situation initiale à l'imparfait est modifiée par un élément perturbateur au passé simple.Tous les jours, Fabien faisait le même trajet : il sortait de sa maison, passait le pont, hésitait à prendre le sentier à travers la forêt mais finissait par choisir de rester sur la voie principale. Après tout, il savait où il menait au moins. Mais ce jour-là, il décida qu'il était temps d'enfin tester l'autre chemin. Pourquoi ce jour-là ? Ni lui ni moi n'en avons aucune idée. Mais ce qui est sûr, c'est que jamais cette histoire n'aurait eu lieu s'il n'avait pas pris cette décision.
Action/Description d'arrière plan / Action de premier plan
Ce cas rejoint un peu les autres, on est toujours dans l'idée d'une action/description plus sur le temps long que l'événement majeur au passé simple vient interrompre mais le dernier exemple montre bien que la distinction vaut aussi pour une action courte (venir d'attraper la balle) qui normalement aurait été mise au passé simple mais qui est mise à l'imparfait ici pour montrer que l'information importante, c'est cette mi-temps qui est annoncée (action de premier plan) ou au moins, implicitement, la déception du joueur qui se voit retirer sa chance de jouer.Ex : a écrit :Il était dans son bain quand le téléphone sonna.
Il arrosait ses plantes quand son chien vint se précipiter sous le jet d'eau, en écrasant les géranium au passage.
Il venait d'attraper la balle quand l'arbitre annonça la mi-temps.
Temps du point de vue du personnage vs Temps du point de vue du narrateur
Alors là, il s'agit d'une distinction qui est moins souvent mentionnée mais qui de mon point de vue est essentielle à bien comprendre en tant qu'écrivains.
En gros, on part d'une différence d'emploi. Le passé simple est le temps du récit : globalement, en français, on n'utilise jamais le passé simple, sauf dans l'écriture romanesque. Autrement dit, pour un lecteur, passé simple = temps du roman = pas un temps naturel. C'est donc le temps du narrateur (dans les romans à la troisième personne).
Inversement, ça veut dire quoi "passer dans le point de vue d'un personnage" ? Ca veut dire se mettre à sa place, se retreindre à représenter ses émotions, ses perceptions, ses connaissances, sa vision du monde à un moment donné. C'est dire globalement ce que le personnage aurait pu penser / ressentir face à une situation. Or, quelle que soit la situation, jamais le personnage ne va penser sa vie avec du passé simple. Essayez d'écrire un passage de discours indirect libre au passé simple, vous verrez assez vite que ça sonne très mal.
Dans les passages au point de vue du personnage par conséquent, le passé simple ne va être employé que pour montrer les actions factuelles du personnage (Il rougit / Elle se leva précipitamment) et tout ce qui est de l'ordre des pensées du personnage sera montré avec des formes de l'imparfait :
Justine se retint de rire devant leurs têtes à l'air très inspiré : la scène était d'un cliché ! Ses amies étaient deux fleurs de béton, il n'y avait pas à dire !
Le passé simple est donc plutôt le temps du narrateur et l'imparfait plutôt celui du personnage. C'est d'ailleurs une des raisons qui explique qu'une phrase comme "Il remarqua que les fleurs manquaient d'eau" est considérée comme lourde. Généralement, l'un des arguments qu'on avance pour expliquer qu'il vaut mieux retirer toutes ces mentions, c'est qu'elles instaurent une distance entre le lecteur et le personnage et forcent le lecteur à voir le personnage de l'extérieur.
Mais pourquoi est-ce qu'on a l'impression d'avoir cette distance quand on dit "Il remarqua que les fleurs manquaient d'eau" et pas "Il se leva de sa chaise et partit dans la cuisine chercher la suite du repas" ? Justement parce que remarquer est fait partie des verbes de point de vue du personnage (perceptions/pensées/émotions) alors que se lever et partir sont de simples verbes d'action, factuels. Du coup, "Il remarqua" ne peut être dit que par le narrateur. Un narrateur discret, mais un narrateur quand même. C'est pour cela qu'on conseille souvent de le supprimer purement et simplement, comme ça on reste tout du long dans le point de vue du personnage > show qui n'est pas interrompu.
Un autre indice de ça ? Si on rajoute des modalisateurs de point de vue comme les adverbes (ici, on va rajouter l'adverbe bien), ils s'accordent beaucoup plus facilement avec un verbe à l'imparfait qu'avec le même verbe au passé simple : Il se rendait bien compte qu'elle avait l'air claquée, mais qu'est-ce qu'il pouvait faire pour l'aider ? Rien. fonctionne beaucoup mieux que Il se rendit bien compte qu'elle avait l'air claquée, mais qu'est-ce qu'il pouvait faire pour l'aider ? Rien.. On sent tout de suite plus qu'on est dans le point de vue de "il" et on ressent d'autant mieux sa frustration. Sachant que, souvent, supprimer carrément le verbe se rendre compte est encore plus efficace puisqu'on a directement la perception/pensée du personnage.
Autrement dit, dans beaucoup de cas, changer un verbe au passé simple par un verbe à l'imparfait permet de faciliter l'identification du lecteur au personnage (surtout si on rajoute les marques de subjectivité, j'en avais déjà un peu parlé ici - analyse sur la question des points de vue. Pour ceux qui s'intéresserait à la question, du coup les passages à l'imparfait font partie des points de vue interne du personnage (ou des points de vue interne du narrateur) tandis que les passés simples sur les actions sont le propre des visions externes.
J'espère que cette analyse vous sera un peu utile !