Mais oui, çà rappelle les éditeurs à compte d'auteur ou participatifs... mais en même temps cet article peut amener à réfléchir sur ce qu'est la relecture et donc la bêta-lecture...
(fait par reconnaissance de caractères, donc il peut rester quelques fautes.)
Marianne 20120509
J'ai testé le coaching littéraire. PAR VIRGINIE FRANÇOIS
Depuis quelques années, les « coachs » littéraires se multiplient et surfent sur les espérances d’apprentis écrivains en mal d’éditeur. Pros ou imposteurs ?
« Marianne » a mené l’enquête en envoyant à l’aveugle un roman de Robbe-Grillet.
Petites mais alléchantes, leurs publicités se glissent régulièrement dans les pages littéraires des journaux et sur le Wéb.
« Vous écrivez, nous vous accompagnons jusqu’à la publication de votre manuscrit, nous vous trouvons le bon éditeur », assure l’une d’entre elles.
« Vous désirez raconter une histoire qui vous tient à coeur. Faites de votre vie un roman », interpelle une autre.
Depuis une dizaine d’années, les coachs littéraires ont fait une percée spectaculaire dans le paysage éditorial,
offrant une alternative « tendance » aux ateliers d’écriture type Aleph qui, depuis les années 70, tiennent le marché
de 1’apprentissage romanesque ».
Ici, ni réunions de groupe ni exercices imposés autour de cakes maison, mais un accompagnement individuel et volontariste
pour révéler « l’écrivain qui est en soi ».
Ces consultants « littéraires » exploitent deux phénomènes de fond le désir d’écrire d’une large part de la population
(1,4 million de Français auraient un manuscrit dans leurs tiroirs, et un sur trois aurait déjà songé à écrire un livre
– Sondage réalisé en septembre 2009 par OpinionWay et le Figaro. ),
mais aussi, au même titre que les coachs de sport, de nutrition, de management ou de couple, l’avènement du
« tout-personnel » avec, en toile de fond, cette croyance qie chacun possède en soi les potentialités de réaliser
tout ce qu’il souhaite.
Intrigués, nous avons décidé de tester certains d’entre eux, en nous faisant passer pour un auteur en quête d'éditeur.
Première étape, le choix du texte à soumettre.
Histoire de pimenter l’affaire, nous décidons de faire parvenir à nos coachs, qui dans leur promo insistent tous sur leur
grande connaissance de la littérature, un texte paru et jetons notre dévolu sur "Un régicide", roman d’Alain Robbe-Grillet écrit à la fin
des années 4, avant ses premiers romans à succés "Les Gommes" et "la Jalousie".
On peut y lire les pérégrinations mentales et dédoublées de Boris, obsédé par le meurtre qu’il aimerait commettre
sur la personne du roi d’une île à l'étrange climat.
Un livre typique du nouveau roman, sans intrigue véritable, sans psychologie développée des personnages et
dans lequel la narration s’attache surtout à l’organique. Nous scannons les 100 premières pages, les
transformons en fichier Word et réintitulons le tout Boris et le roi.
Deuxième étape, nous sélectionnons six des coachs dont les noms reviennent le plus souvent dans la
presse et sur Internet.
Nous leur adressons, par mail et sous pseudonyme, le fameux manuscrit, en nous faisant passer pour une
prof de lettres qui écrit depuis toujours mais n’osant pas faire lire son texte à des éditeurs par manque de
"confiance en soi".
Nous prétendons aussi être victime d’un « blocage », afin d’expliquer pourquoi nous envoyons seulement la moitié du roman.
Les retours sont presque immédiats.
La première coach à répondre est la plus connue sur la place de Paris.
Elle se revendique comme une professionnelle du monde littéraire qui, depuis trente ans, fréquente l’ensemble
des intervenants du secteur et possède un réseau hors pair de lecteurs qualifiés et d’éditeurs
qui lui "font confiance".
« Votre roman pourrait nous intéresser, écrit-elle. Nous travaillons avec plusieurs maisons d’édition qui pourraient être séduites par vos écrits, pour cela nous aimerions soumettre votre texte à nos lecteurs. »
Cela a tout l’air d’un message standard, et il est peu probable qu’elle ait vraiment pris connaissance du manuscrit.
Puis elle présente ses services et promet que le travail se poursuivra jusqu’à ce que le texte trouve preneur.
Nous voici donc certain de devenir un vrai écrivain. Pour cela, il faudra cependant débourser la coquette somme forfaitaire de 980€ TTC.
La deuxième à réagir est critique littéraire depuis 2004 et lectrice d’une grande maison d’édition.
Moins ouvertement dans la drague, elle se définit non comme coach, mais comme lectrice indépendante.
Elle ne promet rien, mais aligne directement ses tarifs et services.
Compter
120 € pour la lecture du manuscrit intégral,
100€ pour ennchir le récit,
400€ pour un accompagnement personnalisé,
35 € pour un conseil de mise en forme,
50€ pour la lettre de présentation,
60€ pour la démarche de protection du manuscrit,
80 € pour les coordonnées des maisons d’édition.
Sauf que ces quatre derniers services et les informations afférentes sont disponibles gratuitement ou presque.
Il suffit pour cela de consulter en bibliothèque l’annuaire annuel de Livres Hebdo, de se renseigner directement auprès
d’éditeurs lors de Salons du livre, ou de contacter certaines institutions comme la Maison des écrivains et de la littérature (MEL).
Notre interlocutrice joint aussi à son mail deux exemples de fiches de lecture, l’une positive, l’autre négative.
On y découvre des tableaux croisant style, dialogues, structure narrative, intrigue, personnages ou psychologie, alignés sur quatre niveaux de notation :
excellent, bon, moyen, médiocre. Fichtre !
Cela ressemble à s’y méprendre à un formulaire de satisfaction hôtelière et témoigne d’une vision pour le moins formatée de ce que doit être un roman.
Un autre minitableau détermine le degré de facilité de lecture.
De Proust à Musil en passant par Joyce, l’histoire littéraire regorge pourtant de chefs-d’œuvre particulièrement ardus.
La consultante développe ensuite les atouts et les faiblesses, avant de donner un avis général et une sorte de pronostic de publication.
Méticuleux mais terriblement scolaire.
Maladresses de débutant !
Troisième réponse. Cette fois il s’agit d’une ancienne journaliste devenue écrivain.
Elle promet une lecture dans un délai rapide. Deux jours plus tard, elle reprend en effet contact :
« Votre texte est très intéressant. Vous avez un bon potentiel d’écriture, mais il souffre encore des maladresses inhérentes
aux premiers romans. »
Dommage que Robbe-Grillet ne soit plus de ce monde.
D’après elle, il y a là un joli talent de conteur, mais le « rythme est beaucoup trop lent, surchargé de détails et descriptions inutiles ».
Pis, nous « abus[ons] des métaphores » et avons des « coquetteries stylistiques ».
Pour progresser, nous devons « redonner du nerf et du tonus » à certaines parties, mais aussi « simplifier, aller directement aux faits, animer les paragraphes ».
Des suggestions qui évoquent davantage les techniques d’écriture journalistique que la création romanesque,
par essence libre et subjective, même si elle suppose une maîtrise narrative et stylistique.
Le quatrième à se manifester est critique littéraire
Il n'a pas lu notre texte, mais nous demande d’en envoyer l'intégralité en version papier et Web contre 450 €,
en accompagnant notre courrier — gimick horripilant de la télé —, d’un "pitch".
Sans doute pour faire un premier tri et déterminer le potentiel commercial du projet, puisque telle est la vocation dudit « pitch » :
appâter pour faire vendre.
La cinquième, une ancienne correctrice de l’édition, a étudié le début de notre prose et assure pouvoir apporter son concours.
C’est la deuxième à ne pas reconnaître Robbe-Grillet.
Elle établit un devis de 263 €, comprenant conseil littéraire, étude du style avec analyse fine et concrète
(encore heureux !), remaniements éventuels du plan, conseils de mise en pages.
Elle ne perd pas le nord, en tout cas, envoyant même directement son RIB !
Des normes improbables
La dernière nous appelle sitôt notre mail réceptionné. Sa voix est douce et chaleureuse.
Elle a été lectrice pendant dix ans dans une grande maison d’édition et a enseigné la littérature contemporaine à l’université.
Elle a parcouru rapidement nos pages et les trouve « très intéressantes et très écrites »,
même si elle s’avoue d’emblée gênée par la double narration.
Elle nous demande, avant de rédiger (contre 80 €) sa fiche de lecture,
de lui envoyer les différentes pistes envisagées pour la suite en vue de résoudre ce problème de « blocage ».
Elle affirme aussi pouvoir nous aider à être publié.
A la suite de ce coup de fil très réactif, et compte tenu de ses tarifs raisonnables, nous décidons d’aller un peu plus loin avec elle.
Nous voici donc — ce qui ne manque pas de sel - en train de rédiger trois projets de fins possibles à l’oeuvre de Robbe-Grillet.
Quelques jours plus tard tombe enfin sa fiche.
C’est une courte note d’une page et demie, un peu emphatique (« les passages en “je” sont denses, vibrants, dans la chair des instants »),
mais elle témoigne d’une lecture attentive. Vu sa spécialisation en littérature contemporaine,
on aurait pu s’attendre, à défaut d’identifier précisément le texte, à ce qu’elle reconnaisse le style singulier du nouveau roman.
Raté. Deux semaines plus tard, rendez-vous est pris dans un café du Ve arrondissement.
Notre coach est une belle femme brune habillée bohème chic.
Elle est à l’écoute, enveloppante, et chouchoute le client.
Au cours de l’entretien, elle répète ce qu’elle a déjà dit au téléphone et dans sa note.
Elle suggère d’adopter un angle d’attaque « superfort » et de replacer le récit du point de vue de Boris
ou d’un autre personnage, la narration omnisciente lui paraissant « un peu datée ».
Il faudrait aussi développer davantage les personnages, booster l’action, ajouter plus de détails concrets.
Durée de la séance : 45 minutes. Tarif : 37,50 €.
Face au projet surréaliste consistant à réécrire Robbe-Grillet, nous arrêtons là l’expérience.
Premier constat : aucun des coachs n’a eu la puce à l’oreille en parcourant un roman à l’identité patrimoniale pourtant si forte.
Inquiétant.
Deuxième constat leurs conseils — narration simple, intrigues à rebondissements, personnages campés
— semblent obéir aveuglément aux règles présupposées du marché éditorial actuel.
Leur salaire en dépend, mais est-ce vraiment un service à rendre aux auteurs ?
Pour mieux comprendre, nous décidons d’enquêter plus classiquement et recontactons les coachs en notre qualité de journaliste.
« Il est vrai que nous aiguillons les auteurs vers les normes de ce que veulent les éditeurs qui ne font presque plus de littérature de laboratoire »,
finit par admettre l’un d’entre eux.
Sauf que l’édition n’est pas une science exacte et que les éditeurs eux-mêmes ont parfois bien du mal à anticiper les goûts des lecteurs,
comme en témoignent les best-sellers inattendus qui surgissent régulièrement dans les listes de meilleures ventes.
Enfin, les coachs aident-ils réellement leurs poulains à être publiés ?
Quand on leur pose la question, la plupart s’abritent derrière la confidentialité.
D’autres fournissent des noms d’auteurs qui ont en effet été édités mais dans de toutes petites maisons.
Certains, enfin, certifient qu’ils ont déjà permis des publications dans de grandes maisons,
mais que les écrivains en question ne veulent pas voir leur identité divulguée.
Pas franchement encourageant.
Que ceux qui cherchent des conseils éditoriaux sans se ruiner se rassurent,
il existe des « fous » qui donnent un retour de lecture et dispensent leur aide gratuitement.
C’est le cas du CDL (http://www.comite-de-lecture.com), créé en 2006 par Delphine Schilton, psychanalyste et passionnée
de littérature, qui compte une quinzaine de bénévoles dont la démarche est « citoyenne et subversive ».
« Nous voulons justement éviter que les gens perdent leur temps et leur argent avec les coachs »,
explique Deiphine Schilton, avant de s’insurger contre un monde littéraire où « le marché a remplacé la pensée ».
Mais attention, le CDL, qui reçoit un manuscrit par jour, n’est pas tendre et n’hésitera pas à vous suggérer de remiser
définitivement votre prose au placard.
Même si vous écrivez comme Robbe-Grillet.